C'est devenu une mauvaise habitude, et pourtant, on se laisse surprendre à chaque fois. A côté des records qu'elle se plaît à signer (une première place mondiale occupée depuis plus de 3 ans, et une série de 39 matchs avec toujours au moins un but inscrit...), la Belgique est passée maître dans l'art de générer des désillusions proportionnelles aux attentes qu'elle génère. Comme si tout l'amour qu'elle suscitait de ses suiveurs, observateurs et supporters portait nécessairement en lui les germes de son autodestruction. Et finalement, l'on se prend à souffrir plus encore que l'on a aimé. Une véritable tempête émotionnelle dont chaque résurgence creuse un peu plus profondément la douleur.
Difficile de hiérarchiser le mal mais, sur ces 5 dernières années, on peut tout de même dégager un podium (chronologique) : la défaite contre le Pays de Galles en 2016, l'élimination face à la France en 2018, et la défaite de ce jeudi à Turin contre le même adversaire... Deux fois la France. Deux fois ce facétieux voisin si souvent rencontré et si rarement défait en match officiel (jamais, même, dans le cadre d'un tournoi...). Dans les deux cas, la victoire des Bleus n'a pas souffert la moindre discussion. A Saint-Pétersbourg, son évidence a été masquée par la frustration ressentie de ne pas pouvoir atteindre le stade ultime de l'épreuve, et de se persuader que le prix de l'esthétisme devait nécessairement s'accompagner d'un succès. A Turin, cette victoire française est ternie par un grondement, un bouillonnement intérieur, qui nous élève contre notre propre impuissance. Car le succès des Bleus ne doit rien à personne. Aujourd'hui, si l'on ose la métaphore, le Japon c'est nous...
Le scénario de la deuxième mi-temps n'était, à mes yeux, pas le plus prévisible. Essentiellement à cause de (ou grâce à) l'équipe de France. Dont on pouvait légitimement penser qu'elle n'allait pas réussir (ou vouloir) puiser la force de caractère suffisante pour remonter la pente et renverser les montagnes (à portée de vue dans l'ancien Stadio delle Alpi...). Dans un Euro ou une Coupe du Monde oui. Dans cette hybride Ligue des Nations, c'était moins évident. Et pourtant, ce qui a d'abord ressemblé à une approche délibérée de la part de la Belgique (laisser le ballon à l'adversaire et tabler sur ses pertes de balle) s'est rapidement transformé en une manifestation d'impuissance face à une équipe métamorphosée (4 tirs en première mi-temps, 12 en seconde !).
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Et c'est là que nos lacunes sont apparues au grand jour. Une défense débordée de toutes parts (Jason Denayer avait pourtant été excellent en première mi-temps), et un milieu axial "mangé" par l'adversaire alors que l'absence de N'Golo Kanté aurait dû, normalement, lui simplifier la tâche. Mais Axel Witsel s'est montré moins souverain que d'habitude et Youri Tielemans, surtout, est passé à côté de son match. Difficile d'en vouloir à l'intéressé qui, depuis l'Euro, peine à retrouver un niveau que personne ne lui conteste. Plus évident, en revanche, de reprocher à Roberto Martinez son remplacement (trop) tardif.
Et c'est bien le problème récurrent de notre sélectionneur, adepte déclaré de la "flexibilité tactique", de ne pas réussir à renverser le cours des événements quand ceux-ci prennent une direction non-souhaitée. On aurait aimé un peu d'audace, une certaine prise de risque, au coup d'envoi déjà. Faire la part belle, par exemple, à des éléments en forme et engagés sur les pentes ascendantes de leur carrière (De Ketelaere, Saelemaekers,...). Mais Martinez est trop respectueux de ses propres principes, de l'équilibre d'un groupe où la hiérarchie, les services rendus, jouent parfois un rôle trop important. Et quand la réaction survient, elle est généralement trop tardive, et le banc n'a plus le temps de faire la différence, contrairement à ce qu'il réussissait voici peu.
Pour Roberto Martinez, la Belgique "est plus forte qu'en 2018". Son discours de veille de match se comprend aisément, il pouvait difficilement affirmer l'inverse. Plus forte grâce à un réservoir de joueurs plus large et une expérience accrue de la part d'une sélection qui travaille "comme un club". Cet aspect-là n'est pas faux. Mais, en 3 ans, on a surtout l'impression d'avoir perdu en qualité (retraites de Kompany et Fellaini), de constater avec désarroi la course désabusée d'Eden Hazard pour retrouver son meilleur niveau (course à nouveau freinée par une énième blessure !), et de déplorer le manque de relève défensive (Vertonghen et Alderweireld accusent décidément le poids des ans. Et dans le cas du second cité, le championnat qatari ne risque pas d'infléchir la tendance...).
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Euro 2016, Coupe du Monde 2018, Euro 2020 (ou 21), Ligue des Nations 2021. Quatre occasions manquées d'enfin soulever un trophée. Avec ce groupe-ci, il n'en restera qu'une : la Coupe du Monde 2022. Mais comment croire qu'il y parviendra davantage en réutilisant sans cesse les mêmes ficelles, toujours un peu plus usées ?
Faut-il provoquer un électro-choc ? Celui ne viendra probablement pas de l'extérieur. C'est donc de l'intérieur que Roberto Martinez devra se coiffer de sa casquette de directeur technique pour se suggérer... à lui-même de bousculer certaines certitudes établies, et d'oser accrocher quelques nouveaux cadres au mur. Histoire que le "wall of fame" tricolore ne prenne pas trop la poussière et que, d'une exposition temporaire, il se convertisse enfin en une collection définitive.