Au programme de cette table d’écoute du dimanche 26 décembre, un sommet du répertoire pianistique, la Fantaisie en fa mineur D940, dont les différentes versions seront commentées par trois pianistes, Julien Libeer, Alexander Gurning et Sergio Tiempo.
Aaaah, le piano à quatre mains : ce sport si particulier qui exige deux musiciens pour un seul instrument, pour un seul son, deux musiciens collés l’un à l’autre sur le même tabouret. Il existe peu de pratique instrumentale plus inconfortable et il existe aussi peu de chefs-d’œuvre écrits pour cette formation, mais s’il est un compositeur qui a pu sublimer cette pratique, c’est bien Franz Schubert.
Sa Fantaisie en fa mineur D940 est l’un des sommets du répertoire pianistique. C’est une pièce d’un seul geste musical d’une petite vingtaine de minutes. Malgré ce titre de " Fantaisie " qui induit le principe d’improvisation notée, on y décèle 4 mouvements distincts qui pourraient être les mouvements d’une grande sonate. Le thème initial qui se révélera cyclique est empreint de mélancolie, il est le ferment de la célébrité de l’œuvre et plonge l’auditeur dans cette ambiguïté si particulière à cette année 1828 qui, outre la Fantaisie, voit naître sous la plume de Schubert une série de chefs-d’œuvre comme le Quintette à deux violoncelles ou les trois dernières Sonates pour piano. Une ambiguïté qui est celle du renoncement, de l’apaisement et de la douleur métaphysique. Schubert se sait malade. Il mourra quelques mois plus tard.
La Fantaisie en fa mineur est dédiée à la Princesse Caroline Esterhazy dont Schubert était probablement amoureux, un amour impossible bien sûr à cause de la mort imminente du compositeur et plus encore pour des raisons de différence de classe sociale. Mais on ne peut s’empêcher de déceler çà et là les indices d’une déclaration d’amour musicale, comme dans ce touchant duo au cœur du Largo qui semble voir dialoguer Franz et Caroline.
C’est malgré tout vers un abîme vertigineux que se dirige le discours musical, refermant la Fantaisie par une fugue dantesque, prélude au renoncement, à la prosternation finale devant la Mort.