Economie

La "Fed" vole au secours de Silicon Valley Bank : petit historique des interventions des banques centrales

Le siège de Silicon Valley Bank à Santa Clara en Californie

© NOAH BERGER / AFP

Panique sur les marchés après la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), la 16ème banque américaine avec un bilan de 209 milliards de dollars et 8500 salariés, spécialisée dans la "tech". Victime d’une mauvaise gestion avec trop d’obligations en perte de valeur, mais surtout de la hausse des taux. C’est la plus grande faillite d’une banque depuis la crise financière de 2008.

Conséquence : les déposants viennent retirer leurs avoirs, étranglant la SVB. La banque centrale américaine, la "Fed" (Réserve fédérale américaine) réagit et s’engage à mettre à disposition des fonds pour permettre aux établissements qui en auraient besoin de faire face aux demandes de retraits. Ce n’est pas la première fois que la Fed intervient de la sorte, ni des autres banques centrales comme la BCE au niveau européen, voire le FMI pour l’Afrique ou l’Amérique latine. Retour sur une série d’interventions marquantes.

2023 : Silicon Valley Bank, coincée par sa politique de crédit

Depuis quatre jours, le système financier américain tremble. Jeudi, une petite banque régionale, Silvergate Bank est la première à céder. Elle est spécialisée dans les cryptomonnaies, qui sont victimes d’une série d’accidents industriels comme l’implosion de la plateforme d’échange FTX, suivie d’une vague de retraits.

Le soir même, Silicon Valley Bank se retrouve confrontée aux mêmes problèmes : des retraits inattendus causés par le ralentissement de la "nouvelle économie", mais aussi sa politique de profiter des taux extrêmement bas qui se révèle assez risquée et surtout le resserrement monétaire brutal décidé par la Fed.

Le siège de Silicon Valley Bank à Santa Clara en Californie
Le siège de Silicon Valley Bank à Santa Clara en Californie © NOAH BERGER / AFP

SVB vend à perte un portefeuille massif de 21 milliards de dollars de titres financiers pour assurer ses réserves en cash. Effet direct : le lendemain les retraits explosent, car les dépôts ne sont garantis que jusqu’à 250.000 dollars par client et par banque. La trésorerie est négative et l’action en bourse s’effondre avant d’être suspendue.

Malgré l’intervention de la Fed, qui promet que les clients pourront retirer la totalité des dépôts de SVB, d’autres banques accusent le coup, et la New-Yorkaise Signature Bank est fermée d’office ce lundi.

La Fed déploie sa puissance financière illimitée et offre de prêter aux autres établissements qui pourraient en avoir besoin pour honorer des retraits. Objectif : redonner confiance.

2007 : endettement excessif des ménages

Tout ceci fait évidemment penser à la crise bancaire et financière de 2008, mais il y a des différences importantes.

En 2007, les ménages américains à faibles revenus connaissent des difficultés pour rembourser les crédits logements. Ce sont ceux qui ne peuvent avoir recours aux taux d’intérêt préférentiels (en anglais "Prime Rate") et empruntent à de moins bonnes conditions ("Subprimes"). Il faut dynamiser l’économie, la frénésie s’empare de la construction immobilière. Les Américains s’endettent pour acheter des biens de plus en plus chers. Cet endettement s’appuie sur des taux bas pratiqués depuis 2001 avec la crise boursière des valeurs internet. Ce sont des crédits gagés par une hypothèque et souvent proposés avec des taux révisables après quelques années, question d’offrir au départ un tarif alléchant.

Mais la Fed relève ses taux directeurs : de 1% en 2004 à plus de 5% en 2006. C’est le piège, la bulle éclate. Les charges s’alourdissent et pour ceux qui défaillent, c’est pire encore : l’immobilier s’effondre, leur habitation vaut moins que prévu en vente forcée. Un million de familles perdent leur logement. Au-delà de la catastrophe qui s’abat sur les ménages emprunteurs, les prêteurs sont aussi en difficulté. Cela commence à l’été 2007 avec une vague de non-remboursements. C’est le début de la crise des "subprimes".

Mise aux enchères d’une enseigne Lehman Brothers à Londres
Mise aux enchères d’une enseigne Lehman Brothers à Londres © AFP – BEN STANSALL

Le 15 septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers fait faillite, déclenchant une panique inédite depuis 1929. Vu le poids économique des Etats-Unis, la panique se propage dans le reste du monde.

2008 : intervention massive des banques centrales

Les pouvoirs publics vont réagir. Les banques centrales injectent plus de monnaie dans l’économie, les Etats augmentent leurs dépenses pour atténuer les effets de la crise comme le chômage et pour soutenir l’économie.

La Fed baisse très vite ses taux directeurs dès 2007, la Banque centrale européenne attend 2008, car elle se soucie plus du risque d’inflation. A l’automne 2008, la crise s’aggrave, on parle de krach comme en 1929, et il faut des interventions plus massives des Etats et des banques centrales pour sauver le système bancaire. Plusieurs institutions sont en cessation de paiements et la Fed les sauve in extremis comme la compagnie d’assurances AIG, certains sont rachetés par des concurrents, d’autres liquidés comme Lehman Brothers.

Pour offrir des liquidités, les banques centrales allongent les facilités de refinancement, proposent un recours plus facile au financement en devises. Elles baissent également de manière exceptionnelle leurs taux directeurs (en février 2010, à 1% pour la BCE ; 0,25% pour la Fed ; 0,5% pour la Bank of England ; 0,1% au Japon).

Mais il faut plus : des moyens non conventionnels comme l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation, des interventions sur les marchés, des prêts à 3 mois aux banques en Europe, des achats d’obligations d’Etat aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.

En Europe où des défaillances apparaissent notamment chez nous en Belgique pour Dexia ou Fortis, les États interviennent en octobre 2008, avec des plans de grande ampleur comprenant à la fois des garanties étatiques pour le refinancement et des mesures de recapitalisation menées par les États, pouvant conduire de facto à la nationalisation de banques. La Banque centrale européenne (BCE) sort le chéquier : elle injecte des liquidités auprès des banques pour une somme record de 155,85 milliards d’euros.

Les États-Unis lancent le plan Paulson, du nom du secrétaire du Trésor, qui met en place une structure qui reprend aux institutions financières leurs actifs toxiques (notamment les dérivés de crédits subprime).

Les effets des interventions des banques centrales restent limités, les pertes sont immenses et le marché du crédit affaibli. Mais aux Etats-Unis, le rebond économique est assez rapide. En Europe, les problèmes s’enchaînent avec la crise des dettes publiques dans la zone euro.

Différences entre la crise actuelle et 2008

Tout d’abord depuis 2008, les dépôts sont plus garantis qu’à l’époque et les banques sont plus solides, explique Philippe Ledent, expert économiste chez ING. Le but de la Fed, c’est d’éviter la perte de confiance, "d’éviter qu’un problème isolé ne devienne un problème de confiance parce que c’est beaucoup plus difficile à maîtriser".

Au passage, Philippe Ledent y voit un rappel à la Fed du risque qu’il y a à remonter rapidement et brutalement les taux : cela a un impact sur l’économie et la sphère financière.

Les risques de contagion sont limités, ajoute Erik Joly, économiste en chef chez ANB AMRO à la VRT. "C’est une banque régionale avec une clientèle très spécifique, l’industrie tech. Selon lui, il n’y a pas d’interdépendance avec les autres grandes banques américaines. "De plus, il ne faut pas oublier que les banques du monde entier ont considérablement renforcé leurs coussins de fonds propres depuis la crise bancaire".

Autre différence avec 2008 : cette fois les autorités américaines ne vont pas venir renflouer la banque en faillite. La secrétaire au Trésor, Janet Yellen, exclut ce dimanche un renflouement de SVB : "Pendant la crise financière, des investisseurs et des propriétaires de grandes banques systémiques ont été sauvés… et les réformes mises en place signifient que nous n’allons pas recommencer". Et le président américain Joe Biden s’est dit "fermement déterminé à demander des comptes aux responsables de ce gâchis".

1929 : krach de Wall Street et grande dépression

Si on remonte encore le cours de l’histoire, la comparaison peut se faire avec le krach boursier de 1929. Les causes ressemblent un peu à la crise des subprimes : le secteur privé s’endette, c’est la déflation par la dette due à une politique monétaire laxiste encourageant la constitution d’une gigantesque bulle spéculative sur les marchés d’actions américains à la fin des années 1920. En 2008, la bulle spéculative s’est concentrée sur l’immobilier et le crédit.

Panique à Wall Street : une de presse
Panique à Wall Street : une de presse © RTBF

D’autres causes ont mené à ce jeudi noir du 24 octobre 1929. Les limites de production de masse face à la saturation de la demande et les désordres monétaires et financiers issus de la Première Guerre mondiale. 80 ans plus tard, les tensions trouvent leur source dans les divergences entre les pays s’endettant pour consommer et importer (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne) et les pays épargnant pour investir et exporter (Chine, Japon, Allemagne).

En 1929, les banques font faillite, les épargnants sont ruinés. La crise financière au départ se propage en crise économique, avec chômage, migrations, misère.

À l’origine, la réponse du gouvernement américain de l’époque est libérale : il laisse d’abord les entreprises faire faillite sans intervenir, ce qui aggrave la crise. Après l’élection du président Roosevelt, c’est le New Deal, la relance économique. Un virage keynésien. L’Etat intervient au contraire, finançant des programmes d’aide sociale, la construction de routes, de barrages, pour augmenter le pouvoir d’achat des particuliers et relancer la consommation et la croissance.

Interventions du FMI

Au niveau mondial, le Fonds monétaire international intervient aussi face aux crises d’endettement de différents pays : comme au Mexique en 1982 et en 1994, en Asie du sud-est en 1997, en Russie ou au Brésil en 1998, en Turquie en 2000, en Argentine en 2001 ainsi qu’en Grèce en 2010 et au Portugal en 2011.

Sur le même sujet : extrait du JT du 13/03/2023

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