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La firme américaine Bain complice de la corruption en Afrique du Sud, affirme un lanceur d’alerte

Le rapport recommande notamment que tous les contrats conclus par Bain avec des entités publiques sud africaines soient réexaminés. Leur valeur dépasserait 110 millions d’euros.

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Par Valérie Hirsch

"Bain ne devrait plus pouvoir bénéficier de contrats en Afrique du Sud. Il faut mettre cette multinationale américaine sur une liste noire !", clame le lanceur d'alerte sud-africain Athol Williams, lors d'une conversation par internet avec quelques journalistes ce vendredi.

Ce métis du Cap a écrit un livre, Deep collusion (non traduit), sur le rôle joué par Bain  - l’une des trois plus grosses firmes de conseils au monde, avec un chiffre d’affaires de 4 milliards de dollars et des bureaux dans 40 pays - dans le vaste réseau de corruption, sous la présidence de Jacob Zuma (2009-2018). 

Mardi dernier, le juge Zondo, chargé d’enquêter sur ces années noires, a remis un premier rapport de 874 pages qui se penche sur la corruption au sein du service des impôts SARS et de la compagnie aérienne SAA. Le rapport recommande notamment que tous les contrats conclus par Bain avec des entités publiques sud africaines soient réexaminés. Leur valeur dépasserait 110 millions d’euros, selon Williams. Hors, jusqu’à présent, Bain n’a remboursé que 9 millions reçu de SARS, en 2014-15, dans le cadre d’un contrat qualifié d’illégal par le rapport Zondo.  

Une culture omniprésente de la peur et de l'intimidation

Ce dernier explique comment la firme américaine a aidé Tom Monyane, un proche de Zuma devenu directeur de SARS en 2014, a démanteler le service des impôts : "SARS a été systématiquement et délibérément affaibli, principalement par la restructuration de sa capacité institutionnelle, par des nominations stratégiques et le licenciement de personnes clés, et par une culture omniprésente de la peur et de l'intimidation. C'est un exemple clair de capture de l'État".

Ainsi, 2000 employés hautement qualifiés ont quitté le service des impôts. Des enquêtes pour fraude fiscale (notamment dans le cadre d’un vaste réseau de contrebande de cigarettes) ont été sabordées et les rentrées d’impôts ont chuté.

En 2018, Bain a engagé Athol Williams, un expert sud-africain en éthique du business, qui avait déjà travaillé plusieurs fois pour eux. "Il y avait déjà une enquête en cours sur SARS et Bain voulait redresser son image. Je tenais cette firme en haute estime et j’ai été atterré de découvrir qu'elle n’avait pas été victime de la corruption, mais complice. La firme m’a offert une grosse somme d’argent pour que je me taise".

Fuir pour se protéger

Apres son témoignage devant la commission Zondo en mars dernier, Williams ne pensait pas être en danger. "Mais d’autres lanceurs d’alerte ont reçu des menaces de mort et en aout, un haut responsable de l'ANC m’a dit de prendre garde. Comme le gouvernement ne fait rien pour nous protéger, j’ai préféré ne pas attendre d'avoir une arme à feu pointée sur ma tête et j’ai quitté le pays."

Williams vit désormais caché, à l’étranger. "S’il y a des poursuites judicaires, je serai encore plus en danger. Je suis déçu que le rapport Zondo ne recommande aucune poursuite, mis à part contre Monyane et seulement pour  mensonge!" Le représentant de Bain en Afrique du Sud, Vittorio Massone, a quitté la firme. "Il a reçu une grosse enveloppe en échange de son silence. Mais les autres responsables sont toujours en place."

D'autres dégâts

Bain a fait porter tout le blâme sur Massone, comme si la firme n’avait pas été au courant de ce qui se passait en Afrique du Sud. Mais c’est impensable, affirme Williams. Bain affirme ne pas avoir réalisé que Monyane poursuivait un "objectif politique personnel. Cette firme internationale devrait présenter des excuses et offrir des réparations. Cela ne suffit pas de rembourser le contrat. Les dégâts subis par le démantèlement de SARS sont énormes et continuent à paralyser le fisc."

D’autres firmes internationales comme KPMG et McKinsey ont participé à la corruption dans le cadre de la "capture de l’Etat". "Mais Bain est la seule à avoir rencontré Zuma et conseillé directement la stratégie de capture. On devrait dénoncer l’impérialisme de ces puissantes multinationales, qui  profitent de la faiblesse des institutions (des pays en développement ). Dans ce cas, c’est pire : Bain a aidé un président corrompu à affaiblir les institutions pour ses propres gains privés."

Le sénateur britannique Peter Hain a demandé au gouvernement de Londres de geler tous ses contrats avec Bain, en attendant la conclusion des enquêtes sud africaines et d’éventuelles poursuites judiciaires.

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