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La guerre de Crimée, entre 1853 et 1856, résonne-t-elle sur la guerre en Ukraine ?

L'oeil dans le rétro

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Cette guerre est souvent oubliée dans la mémoire collective, mais un siècle et demi après ses débuts, elle fait étrangement écho sur l’actualité. Elle se passait du côté de la mer Noire dans ce qui constitue alors l’Empire russe. Le 27 mars 1854, la France et la Grande-Bretagne déclarent ensemble la guerre à la Russie, en conflit depuis le 2 octobre 1853 avec l’Empire ottoman.

Paris regorge de noms de lieux et de monuments qui ont une consonance russe. Il y a le boulevard de Sébastopol qui remonte depuis l’île de la cité vers la gare du Nord. Ou bien Malakoff, une commune de la proche banlieue, au bord du périphérique. Ou encore la statue du zouave du pont de l’Alma qui sert de repère aux inondations de la Seine, selon que l’eau arrive aux genoux, aux cuisses ou aux épaules.

Tous ces noms font référence à la guerre de Crimée. Le premier est baptisé de cette manière en souvenir du siège de Sébastopol. Malakoff est le nom d’une colline et l’Alma celui d’un fleuve. Trois lieux de batailles de cette guerre entre la plus grande armée du monde de l’époque, l’armée russe, et les Turcs, dans un premier temps, dès le 2 octobre 1853, rejoints quelques mois plus tard par les Français et les Anglais.

Quand les deux ennemis historiques s’allient contre la Russie

40 ans après Waterloo où Français et Britanniques se sont durement affrontés, ces deux grands pays, ennemis historiques, deviennent subitement alliés. Pourquoi ? Au milieu du 19e siècle, un phénomène, qui résonne particulièrement en 2023, les réunit : la crainte de l’expansionnisme russe.

Pour comprendre cette avancée territoriale, il faut se pencher sur une carte de l’Europe en 1850. Trois empires dominent le vieux continent : à l’est l’empire russe, au centre l’empire autrichien, et au sud-est l’empire ottoman. Les Turcs ont toujours solidement les pieds en Europe, dans les Balkans c’est-à-dire en Roumanie, Bulgarie, Serbie,… Mais c’est un empire fragile, sur le déclin, et qui perd du terrain face à la Russie. Ainsi, la Crimée a été conquise par les Russes un peu plus tôt à la fin du 18e et ils y ont créé une ville nouvelle, Sébastopol. Ce qu’on appelle la guerre de Crimée débute en 1853 par une offensive russe en Roumanie, avec peut-être l’intention d’aller jusqu’à Istanbul qui portait encore le nom de Constantinople.

Une percée qui effraie Français et Britanniques au point de voler ensemble au secours des Ottomans le 27 mars 1854. En d’autres termes, l’expansionnisme russe vers le sud bouleverse l’équilibre géopolitique du continent.

Carte de l'Europe en 1855.
Carte de l'Europe en 1855. © Sepia Times/Universal Images Group via Getty Images Images

Infliger une leçon aux Russes

Cette alliance franco-britannique envoie 50.000 soldats au secours des Turcs. Une manœuvre efficace : les Russes stoppent leur offensive.

L’heure n’est toutefois pas à la réjouissance. Les soldats français et britanniques s’ennuient et, plus grave, meurent non pas sous les balles russes mais à cause des maladies : le choléra et le typhus font des ravages. Napoléon III et Lord Palmerston, Premier ministre britannique, estiment qu’après avoir envoyé des troupes aussi loin, au lieu de les voir rester l’arme au pied, décimées par les épidémies, autant les commander pour infliger une bonne leçon aux Russes. Les flottes française et britannique débarquent alors leurs troupes en Crimée. Elles battent l’armée russe massée le long du fleuve Alma, d’où le nom du pont parisien, et assiègent Sébastopol. Les états-majors pensent régler l’affaire en quelques semaines, mais comme souvent dans les guerres, la réalité est bien différente : il faudra plus d’un an de combats meurtriers pour venir à bout des défenses russes de cette ville. La guerre de Crimée ne s’achèvera que le 30 mars 1856 par le traité de Paris.

Le début de la fin du régime tsariste

L’Histoire n’a pas oublié ce conflit du 19e siècle, mais il n’est pas resté ancré dans les mémoires des Français, au contraire d’Austerlitz par exemple ou de la bataille de Waterloo. La guerre de Crimée fait figure d’aventure militaire de seconde importance. Elle marque pourtant deux changements majeurs.

D’abord l’importance croissante du matériel militaire : la supériorité franco-britannique sur les Russes s’est affirmée par la plus grande portée de leurs canons et surtout des premiers fusils à canon rayé. La puissance de feu devient un élément clé et celui qui la possède prend l’avantage sur son adversaire, même s’il est supérieur en nombre comme c’est le cas des Russes à l’époque.

Ensuite, cette guerre affaiblit sensiblement la Russie au plan international alors que sur le plan intérieur, le régime restera autocratique, bien plus que le reste du continent européen. C’est le déclin annoncé du régime tsariste.

Les troupes françaises ont bombardé Sébastopol avec des canons de longue portée, gravure de 1900.
Les troupes françaises ont bombardé Sébastopol avec des canons de longue portée, gravure de 1900. © Tous droits réservés

Nicolas Ier et Vladimir Poutine : la Moldavie en ligne de mire

Le pont de Crimée a été attaqué le 8 octobre 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Cette guerre oubliée ressurgit subitement depuis un an et le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine. On se bat à nouveau à proximité de la Crimée, territoire ukrainien annexé par la Russie en 2014.

Cette première guerre de Crimée a, toutes proportions gardées, peut-être quelque chose en commun avec la guerre en Ukraine de 2022-2023 : l’expansionnisme russe, la volonté d’affirmer sa puissance en conquérant de nouveaux territoires. C’est ce qui a poussé le tsar de l’époque, Nicolas Ier, à attaquer les Turcs pour conquérir la Roumanie et la Moldavie. Un lien qui nous ramène à 2023 : la Moldavie, petit pays indépendant, entre Ukraine et Roumanie, où vit une minorité russe, faisait autrefois partie de l’Union soviétique et redoute à ce titre les appétits de Moscou.

Une différence notoire toutefois : aujourd’hui il n’y a pas de soldats français et britanniques qui se battent contre les Russes. Les Ukrainiens bénéficient d’un soutien occidental mais ce sont eux qui se battent, pour conserver leur territoire. Ce qu’on vit aujourd’hui ne restera d’ailleurs pas dans l’Histoire sous le nom de guerre de Crimée, mais de guerre en Ukraine. 

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