Dans sa chronique autour de la chanson française, Réal Siellez vous invite à danser avec Fréhel.
"Fermez vos gueules, j’ouvre la mienne". Voilà comment Fréhel s’annonçait en entrant sur les scènes des cabarets parisiens qu’elle a écumés…
Marguerite Boulc’h, de son vrai nom, est née en 1891 et à peine neuf ans plus tard, elle chante déjà dans les estaminets en demandant de l’argent à ses auditeurs bruyants. Voilà qui explique son aplomb et sa proue gouailleuse tout au long de sa carrière, et qui donne les augures d’une très triste vie.
Son père était un ancien cheminot qui a perdu un bras, happé par une locomotive. Sa mère était concierge et prostituée. Autant vous dire que chaque pièce que la petite Marguerite ramenait comptait dans l’économie familiale.
Très vite, elle est repérée pour monter sur scène, et c’est en 1908, sous le pseudonyme de "Pervenche", qu’elle grave son tout premier 78 tours.
A ce moment-là de sa vie, elle épouse un jeune comédien appelé Roberty, ils ont un enfant qui meurt à l’âge d’un an et Roberty l’abandonne pour se jeter dans les bras de la chanteuse Damia. Après leur divorce, Pervenche rencontre le chanteur Maurice Chevalier qui lui-même la quittera pour la chanteuse Mistinguett.
Cette pauvre Marguerite se fait larguer toute sa vie… La raison invoquée par ses hommes et notamment Maurice Chevalier ? Fréhel leur propose un rythme intenable, autodestructeur… Alcool, nuit de débauche, et surtout une chose qui la tiendra dépendante toute sa vie… La drogue dure, la cocaïne entre autres. La "coco" qu’elle chantera également…
Elle se fait enfin appeler Fréhel, pseudonyme qu’elle choisit en l’honneur du cap Fréhel et de la Bretagne dont sa famille est originaire. Elle quitte la France, on la retrouve en Russie, hôte de la duchesse Anastasia, cousine du tsar Nicolas II. La première guerre mondiale la surprend, elle la passera à régner sur la nuit dans la capitale roumaine avant de partir à Constantinople. Drogue, chanson, prostitution deviennent son quotidien. L’ambassade de France la rapatrie en 1922, c’est une femme bouffie et ravagée dont plus personne ne veut. En France, elle est accueillie comme une star d’hier, et l’on organise une soirée à l’Olympia pour lui venir en aide…
Elle redevient une star, mais une star qui incarne l’ancienne gloire, son surpoids est mis en scène comme un déclassement physique "elle qui était si belle", on la voit dans une quinzaine de films des années 30, la plupart du temps dans un rôle de vieille chanteuse sur le retour…
Marguerite à ses débuts est le marqueur de la chanson réaliste et misérable bien avant Piaf, la Fréhel d’entre-deux-guerres sera mise en scène de façon permanente dans la nostalgie du bon vieux temps.
En 1939 dans le film de Claude Orval "Une java", elle chantera le titre qui restera un tube des années 40, et elle permettra sans le savoir au moment de sa création, d’imprimer sur un disque une chanson qui donnera humblement au monde un espace de liberté musette dont il aura bien besoin pendant la seconde guerre mondiale.
La java bleue, c’est son dernier enregistrement, et un tube qui porte mal son nom puisqu’il s’agit plus d’une valse que d’une java… mais un air qui sera repris d’année en année par Germaine Montero, Georgette plana, Régine en 1993, Patrick Bruel en 2002 jusqu’à Jean Jacques Debout en 2013… et bien d’autres.
La java bleue, une chanson de Géo Koger, Noel Renard et Vincent Scotto, Chanté par Fréhel en 1939 sur le 78 tour du même nom c’était dans l’air du temps, ça l’est toujours.