Politique

La Loterie nationale n’est pas soumise à la loi sur les jeux de hasard : une anomalie à corriger?

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Par Eric Boever

La récente proposition du ministre de la Justice de limiter fortement la publicité pour les jeux de hasard relance un débat ancien : pourquoi la Loterie nationale n’est-elle pas considérée comme une entreprise de jeux de hasard ? Cela peut paraître bizarre mais c'est vrai, notre bonne vielle Loterie n’est pas soumise à la loi de 1999 qui réglemente le secteur ni à la commission des jeux de hasard qui fait office de gendarme pour les autres acteurs du jeu. Certains politiques voudraient que cela change et que tous les opérateurs soient traités sur le même pied. 

La Loterie, une sorte de service public du jeu au service de la société civile ?

Lors de sa formation, le gouvernement fédéral s’était engagé à lutter contre la dépendance au jeu. C’est dans cette optique que le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne s’apprête à restreindre fortement la publicité pour les jeux d’argent d’ici la fin de l’année. Une fermeté justifiée par le succès grandissant des jeux en ligne, surtout auprès d’une population jeune et masculine dont les plus accros vont jusqu’à dépenser au jeu 42% de leur revenu mensuel. Ce succès est alimenté par les publicités qui se multiplient partout, notamment dans le domaine sportif. A titre d’exemple, 15 des 18 équipes de Division 1 de football sont sponsorisées par des sociétés de paris en ligne. Et le cyclisme est largement concerné aussi, il suffit de voir les publicités qui entourent les courses.

La proposition du ministre ne prévoit pourtant pas de brider les publicités pour les jeux de la Loterie nationale (à part ses paris en ligne Scoore), et pour cause, ce n’est pas de son ressort, mais de celui d’un autre ministère. La Loterie ne relève même pas de la loi de 1999 sur les jeux de hasard, elle bénéficie d’une législation qui lui est propre. Un statut particulier que justifie son porte-parole Jeremy Demeyer : " lors de sa création, il y a 85 ans, on a considéré que la Loterie avait une mission de service public, à savoir canaliser l’attrait du public pour le jeu et l’organiser de manière à éviter les dérives. Et le résultat est là, nos jeux sont assez peu addictifs et la totalité de nos recettes profitent aux joueurs ou à la société civile sous forme de subsides ou de sponsoring. "

En 2011, le paysage a pourtant changé, " le secteur des jeux a été libéralisé, la Loterie a gardé le monopole des jeux de tirage et de grattage mais le secteur privé a fortement développé les casinos, jeux et paris en ligne, notamment sportifs, et on a vu les sommes en jeu exploser, le chiffre d’affaires du secteur a été multiplié par dix, passant de 1 à 10 milliards en dix ans. A partir de ce moment-là, on a vu effectivement apparaître des problèmes d’addiction aux jeux en ligne, ce qui peut justifier les différentes législations propres au secteur, y compris le futur arrêté royal imaginé par Vincent Van Quickenborne. A la Loterie, cet arrêté s’appliquera à Scooore, notre offre de paris en ligne, mais pour nos autres produits, nous estimons avoir dressé assez de garde-fous pour ne pas devoir être concernés par l’interdiction de publicité qui s'annonce. "

Le gendarme du secteur verrait bien la Loterie davantage contrôlée puisqu’elle propose des produits similaires au privé.

En votant la loi réglementant le secteur du jeu en 1999, le législateur a créé la Commission des jeux de hasard, chargée de veiller au bon fonctionnement du secteur. On l’a vu, la Loterie Nationale n’y est pas soumise, mais la présidente de la Commission, Magali Clavie, admet que c’est un paradoxe qui mérite d’être débattu : " la loi de 1999 sur les jeux de hasard a expressément exclu la Loterie de son champ d’action mais c’était au temps du bon vieux Lotto du mercredi soir. Depuis lors, l'offre de produits a explosé, la Loterie propose des jeux de hasard qui ressemblent furieusement aux produits des sociétés privées, la distinction est donc de plus en plus artificielle et on peut trouver anormal qu’il existe deux régimes différents pour des produits presque similaires. Je trouve qu’il faut oser ouvrir le débat sur une harmonisation des règles appliquées à tous les acteurs du secteur, la Loterie y comprise."

Ce débat est ancien mais il est réactualisé par l’évolution récente du secteur du jeu. "Comment expliquer par exemple que l’on restreigne le nombre de librairies autorisées à proposer des paris sportifs alors que dans le même temps, les divers jeux de la Loterie se retrouvent dans un nombre toujours plus étendu de points de vente, y compris les supermarchés ? Cela donne une impression de deux poids, deux mesures. Et quand la Loterie justifie son statut spécial en affirmant que ses produits sont moins addictifs que ceux des sociétés de paris en ligne, cela reste à prouver. C’est peut-être vrai à court terme mais quand un jeune prend goût au jeu via des produits à grattage, il se retrouve vite sur internet et la rapidité des opérations comporte un risque d’assuétude, surtout si tout se passe sous l’égide de la Loterie, avec l’aspect légal qui l’accompagne. Donc, ouvrons le débat et harmonisons les règles pour mieux protéger tous les joueurs, ceux des opérateurs privés comme ceux de la Loterie. "

Tous d’accord pour réduire la publicité en faveur des jeux, y compris ceux de la Loterie.

La proposition du ministre de la Justice de fortement restreindre la publicité pour les jeux de hasard a trouvé un écho favorable parmi la majorité des partis de la coalition Vivaldi, à l’exception du MR dont le président s’est dit "totalement opposé" sous motif que cela allait pénaliser de nombreux clubs sportifs, voire tuer le football. La Pro League de foot a d’ailleurs enchaîné en exprimant la crainte d’assister à une réduction des revenus de sponsoring pour les clubs professionnels. Une opposition libérale aussitôt taclée par le PS, Georges-Louis Bouchez étant accusé de confondre son rôle de président de parti et du club de football "Les Francs Borains", sponsorisé comme beaucoup d’autre part des sociétés de paris sportifs.

Sinon, quasi tous les partis ont applaudi l’initiative de Vincent Van Quickenborne d’interdire les spots publicitaires à la télévision, à la radio et dans les salles de cinémas, les publicités dans les magazines et les journaux ainsi que sur les sites web, les canaux numériques et les plateformes de réseaux sociaux. Seront également prohibés les affiches publicitaires, des pubs personnalisées par mail, poste, services de messagerie, SMS ou réseaux sociaux. Bref, ne seront plus exposées à la publicité que les personnes ayant elle-même effectué la démarche de jouer.

Plus fort, de nombreuses formations réclament que cette restriction de la publicité vise aussi tous les jeux de la Loterie, et pas seulement Scoore, sa filiale dédiée aux paris sportifs. Le CD&V par exemple, a déclaré soutenir une interdiction totale des paris sur les jeux. Les Engagés aussi, ont suggéré que la mesure d’interdiction soit étendue à la Loterie nationale au nom de la protection des consommateurs. "La mort du foot ? Et si on pensait aussi aux gens ! ? " a lancé la députée Catherine Fonck. " Les jeux de hasard peuvent être une véritable drogue. Protégeons nos jeunes et nos moins jeunes. Et que le gouvernement fédéral applique aussi l’interdiction de pub pour la Loterie nationale. Un devoir éthique".

Le secrétaire d’Etat Sammy Madhi, en charge de la Loterie, n’est pas contre, déclarant " ne pas avoir d’objection à des règles plus strictes pour la publicité pour les produits de la Loterie nationale, une société ouverte qui fonctionne en vertu d’un contrat de gestion approuvé par le gouvernement et qui s’adaptera aux nouvelles règles dès qu’elles s’appliqueront. Un ajustement est même possible sans attendre le nouvel arrêté royal du ministre de la Justice."

Le changement se produira-t-il avant la fin de l'année comme cette déclaration, soutenue par six ministres du gouvernement, pourrait le croire? Les paris, en ligne ou pas, sont ouverts!

 

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