Chroniques

La mémoire de l’inflation

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Par Bertrand Henne

L’inflation atteint un sommet depuis 40 ans, depuis 1983, avec une augmentation des prix de 8.3%. Voilà qui annonce des difficultés pour les ménages, pour les entreprises et potentiellement pour les différents gouvernements, dont le gouvernement fédéral.

Austérité

La mémoire populaire associe l’inflation non seulement à la hausse des prix, mais aussi à des mesures d’austérités. Des économies dans les services publics, des sauts d’index, des coupes dans les dépenses sociales. Enfin l’inflation est aussi associée à l’augmentation du chômage. La triple peine en quelque sorte. Malheureusement pour nous si on se replonge dans nos archives, de 1983 ou l’inflation avait atteint 8%, le gouvernement de l’époque, le gouvernement Martens Gol, Libéral-Sociaux Chrétien, ne pouvaient annoncer que des mauvaises nouvelles.

Voici le genre de discours que l’on pourrait à nouveau entendre si une telle inflation dure plus que quelques mois. Jean Gol en 1982 :

Si aujourd’hui si vous aviez un gouvernement qui se présentait devant l’opinion publique en disant qu’il continue de jouer la politique de Saint Nicolas qui a été menée durant les années de prospérité et, à tort, dans les années ou la prospérité n’était déjà plus là ; on aurait raison de condamner ce gouvernement pour non-assistance à personne en danger.

Marc Eyskens est lui aussi dans un ton churchillien :

Regardez la réalité en face : le nombre de faillites, l’immense déficit de l’Etat, des communes, des entreprises dont beaucoup n’ont plus de rentabilité. Il faut faire quelque chose pour ne pas devenir l’homme malade de l’Europe avec un effondrement chaotique de notre niveau de vie.

Contexte

De la sueur et des larmes, on n’en est pas encore là. Le contexte n’est pas le même. Sauf sur un point : la dette publique, très élevée comme à l’époque, mais dans une dynamique moins inquiétante aujourd’hui. Différence majeure les taux sont aujourd’hui beaucoup plus bas, on parle de taux à l’époque de 10 ou 12%. Aujourd’hui les Etats se financent quasiment à zéro (pour combien de temps ?). Cette différence est en partie liée à la Zone Euro. Autre différence, la situation des entreprises est plus solide. A l’époque les entreprises, surtout le secteur industriel autour de l’acier et du charbon, se sont effondrées en faisant grimper le chômage. Aujourd’hui on est en situation de pénurie de main-d’œuvre (pour combien de temps ?)

Attention. On se compare à la période d’inflation de 1983 qui était le début de la fin d’une crise qui avait commencé avant au début des années 70. Une crise liée à de nombreux déterminants mais qui a explosé avec (déjà) l’augmentation massive du prix des hydrocarbures, le fameux choc pétrolier. C’est peut-être plus à cette période du milieu des années 70 qu’il faut alors se comparer plutôt qu’aux années 80.

Jours difficiles

L’inflation place les dirigeants devant deux maux : la baisse de pouvoir d’achat des ménages d’un côté et la compétitivité des entreprises de l’autre. Si le gouvernement fait tout pour sauvegarder le pouvoir d’achat (jouer à Saint Nicolas aurait dit Jean Gol), il met en danger la compétitivité des entreprises. S’il fait tout pour sauvegarder la compétitivité des entreprises (saigner le peuple aurait dit André Cools) il met en danger le pouvoir d’achat. S’il fait un peu des deux, l’Etat s’endette parce qu’il met la main au portefeuille pour diminuer lui-même les effets de l’inflation, pour les ménages et les entreprises. C’est ce qu’il a fait dans les années 70 l’Etat en prenant sur lui massivement (Etat Keynesien). Ce qui l’a directement conduit au surendettement et dans les années 80 de l’austérité (Etat Friedmanien).

Mais l’histoire ne se répète jamais, elle bégaye à la limite. La crise de 70 n’a pas été celle des années 30. Elle ne se répète pas parce que les conditions ne sont jamais identiques, et surtout parce que nous avons la mémoire. Enfin, espérons que nous avons de la mémoire.

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