Murmures du monde

La musique rock cambodgienne des années 60 et 70

© Capture écran YouTube

Fusion de rock occidental et de mélodies traditionnelles, la scène rock cambodgienne était l’une des plus passionnantes de la région, dans les années 60 et 70. Remontée dans le temps et voyage en Asie dans Murmures du monde

Quelques années avant l’arrivée au pouvoir des Khmers Rouges en 1975, le Cambodge pouvait se vanter de posséder l’une des scènes rock les plus florissantes de la région. Elle se distinguait par son énergie brute, son exubérance, et fit les beaux jours de Phnom Penh jusqu’à la prise de pouvoir de Pol Pot qui y mettra brutalement fin, exécutant les artistes qui n’avaient pas eu le temps de fuir le pays…

Hélène Van Loo vous propose de vous plonger dans ces musiques à partir des quelques cassettes et bandes sonores qu’il a été possible de retrouver, souvent cachées au péril de leur vie par des passionnés de musique.

Place aux artistes les plus connus de l’époque, dont Sin Sisamouth, Ros Sereysothea ou encore Pan Ron, aux côtés des groupes de revival dynamique Dengue Fever et The Cambodian Space Project, dont la musique est un hommage aux musiciens de l’âge d’or.

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Les musiciens de l’âge d’or

Presque éradiqués à l’époque des Khmers rouges, les sons pop et rock du Cambodge vivent dans la mémoire des survivants et des exilés comme des trésors chéris d’un passé perdu.

Dans les années 1960 et 1970 Phnom Penh, traverse alors une parenthèse d’insouciance. La société urbaine vibre d’une scène musicale joyeuse et métissée, ouverte aux influences extérieures.

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"Cette année, j’ai 16 ans… Il n’y a pas de craintes à avoir, la vie est comme une fleur qui sent bon. Qu’est-ce que l’amour ? Est-ce amer, aigre ou sucré ?” 

Il suffit parfois de quelques mots sur un air entêtant pour résumer toute une époque. A l’instar de la chanteuse Ros Sereysothea et de son tube Chnam Aun Dop-Pram Mouy (“J’ai 16 ans”), les interprètes et paroliers des années 1960 ont su retranscrire l’atmosphère de cette période du Sangkum. A cette époque, le prince Norodom Sihanouk avait réussi à créer une atmosphère propice à l’épanouissement des artistes. En raison de ses liens étroits avec la France, le Cambodge a accueilli les tendances venues de l’Occident, y compris le rock’n’roll.

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Après l’indépendance en 1954, Norodom Sihanouk encourage donc les arts et l’ouverture à la culture occidentale.

Le pays connaissait déjà la variété française, de Charles Trenet à Edith Piaf, mais aussi la musique afro-cubaine comme le cha-cha-cha, par l’intermédiaire de disques importés depuis Cuba et l’Amérique du Sud et puis il y a aussi les nombreux orchestres philippins qui jouaient cette musique dans les hôtels ou les bars. 

Le chanteur Sinn Sisamouth est un pionnier du rock cambodgien et considéré comme une des grandes stars de l’époque.

La chanteuse qui s’impose alors comme la plus populaire, celle qui va devenir la nouvelle coqueluche du public, s’appelle Ros Seresyothea. Elle est née dans une famille pauvre et se révèle vers l’âge de cinq ans en se mettant à chanter dans les rizières.

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Ros Seresyothea qui, à l’instar de nombreux artistes, applaudit lorsqu’en 1970, un coup d’État renverse Sihanouk !

La situation est devenue intenable. L’incapacité de Sihanouk à contenir hors des frontières le conflit vietnamien lui fait perdre son crédit aux yeux des classes urbaines. En mars 1970, un coup d’État a lieu et Sihanouk est déposé par l’assemblée nationale au profit du général Lon Nol, un de ces anciens ministres incarnant une droite nationaliste et favorable à un rapprochement avec les Etats-Unis. S’instaure alors la république Khmer. Quant à la chanteuse Ros Seresyothea, comme d’autres musiciens, elle met son talent au service du nouveau pouvoir.

A cette époque malgré la guerre qui se rapproche, Phnom Penh continue de vivre dans une relative insouciance.

Les premières cassettes audios apparaissent sur lesquelles on copie les musiques diffusées par la radio nationale ou bien les 45 tours. Musicalement, l’influence américaine gagne en ampleur. Les radios destinées aux GI, qui font la part belle au rock et à la soul, diffusent auprès des groupes cambodgiens.

En 1974, Sihanouk se rapproche de la Chine et des communistes cambodgiens. Des communistes qu’il baptise lui-même les Khmers rouges. Ces derniers utilisent son aura persistante auprès de la plupart des campagnards pour recruter de nouveaux adeptes. Bientôt, Sihanouk se trouve pris au piège de cette alliance. Les Khmers rouges n’ont aucune intention de partager le pouvoir avec lui…

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Phnom Penh tombe aux mains des Khmers rouges

Finalement le 17 avril 1975, Phnom Penh tombe en trois jours. Les 3 millions et demi d’habitants de la capitale sont jetés sur les routes. Le nouveau régime s’est maoiste-fanatisé et dicte la fin de la propriété privée, l’abolition de l’argent. Tout ce qui est associé à l’occident est pourchassé. Il suffit parfois de porter des lunettes pour être passé par les armes. Les habitants des villes sont envoyés travailler dans les rizières. La majorité mourra d’épuisement et de malnutrition.

En 1979, les Khmers rouges seront délogés à leur tour par le Vietnam comme le chantera en 1983 le Banteay Ampil Band constitué par les réfugiés cambodgiens, stationnés à la frontière thaïlandaise.

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Le chemin de la reconstruction sera long. En 1979, capitale fantôme depuis quatre ans, Phnom Penh est progressivement réinvestie par les survivants. Entre-temps, tout a été détruit.

Quant à la scène musicale qui avait irrigué Phnom Penh durant les années 60 et 70, certains groupes actuels s’en emparent parmi les musiciens exilés à l’image du groupe de Dengue Fever, formé à Los Angeles en 2001…

Cinq musiciens qui ont découvert par hasard Sin Sisamouth et Ros Sereysothea et décident de former un groupe avec la chanteuse cambodgienne Chhom Nimol, qui se produisait jusque-là dans les mariages cambodgiens de la côte ouest. Le succès dépassera vite le premier carré des fans de Long Beach, fief de la diaspora cambodgienne aux Etats-Unis.

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Alors, qui devons-nous remercier pour la survie de cette musique presque entièrement éradiquée par les Khmers rouges ? Le peuple khmer lui-même qui cachait des archives ou les emmenait à l’étranger et les gardait comme des trésors d’un passé perdu.

Lorsque le pays a commencé à s’ouvrir dans les années 1990, les disques vinyles ont retrouvé le chemin des marchés locaux et des communautés d’expatriés via des sorties de cassettes et, lentement mais sûrement, cette musique a commencé à s’infiltrer dans la conscience d’un monde plus vaste.

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