La neutralité carbone fait l’objet de toutes les attentions, y compris bien sûr dans le monde de la publicité. Mais est-ce vraiment une bonne idée ? L'analyse d'Aurélie Russanowska.
La neutralité carbone ou la réduction des émissions de CO2 sont quasiment devenues au cours de ces 2 dernières années un argument commercial.
Les publicitaires en tiennent, de plus en plus compte. Au sein d'un même écran publicitaire, les messages se multiplient.
- Pour une marque de lait “nous avons choisi d’embrasser le monde autrement avec un tout nouvel emballage dont la production émet 36% de CO2 en moins” -
- Pour un produit de lessive “conçus pour le lavage à froid et si nous lavions tous plus froid en Europe, nous éliminerions l’équivalent C02 de 2 millions de voiture.”
- C’est aussi cette annonce plus corporate de la part de Delhaize la semaine dernière de passer au ticket de caisse électronique en n’oubliant pas de préciser que l’abandon de la version papier génèrera une économie de C02 de 148 tonnes par an.
L’utilisation parfois mécanique de l’argument de réduction de C02 dans les publicités de grandes marques a le mérite de familiariser le grand public avec cette mesure - au même titre que les euros, les kilos, ou le litre ; et avec l’importance de réduire notre empreinte carbone. Mais le risque est clairement la banalisation.
Il convient de rester critique. La réduction des émissions de CO2 n’est pas aussi simple que ça.
Le ticket électronique produit lui aussi du CO2
En effet, ce n’est pas parce qu’on ne l’aura plus en main qu’il n’aura pas d’impact sur la planète. Contrairement à ce qu’on pense, le digital n’est absolument pas synonyme de dématérialisation.
Un email, une vidéo, une chanson, un like et un ticket de caisse sont stockés sur des serveurs, transitent par des câbles sous-marins, des satellites...
La dématérialisation ça n’existe pas
Notre monde n’a peut-être jamais été aussi matériel, sauf qu’on ne le voit pas. On veut posséder sans s’encombrer la vue. Le digital n’est pas “la solution miracle”.
Selon Aurélie Russanowska : " C’est peut-être même un cache-misère. Or ce genre d’annonces se multiplient car ce sont des arguments aujourd’hui auxquels les gens sont sensibles ".
La publicité, émétrice de CO2 ?
L’industrie publicitaire est responsable d’émissions de CO2 à grande échelle. Or il y a peu de contraintes législatives qui entourent cette industrie. On compte sur l’auto-régulation.
L'industrie publicitaire est responsable à 3 niveaux :
- Tout d’abord la conception publicitaire : on réalise des shootings qui réunissent des réalisateurs, des acteurs et des créatifs sur des lieux de tournage à travers le monde.
- Ensuite, la diffusion des publicités au travers de ces millions de posts crées pour les réseaux sociaux, à ces banners digitaux ou tout simplement à ces affiches éclairées toute la nuit.
- Et pour finir, qui dit campagne de communication, dit augmentation des ventes et donc sans doute surconsommation ou surproduction.
La publicité c’est créer de la visibilité et de la notoriété pour un produit, un service, une entreprise, une personne en jouant sur les mots, avec les images. C’est une industrie aussi qui réunit des stratéges, des créatifs, des réseaux, des sociologues, des psychologues qui ont des compétences pour sensibiler les gens ou opérer des changements de comportement au sein de la population, pour trouver des trouver des solutions créatives.
Ces personnes, si elles se consacrent aux enjeux de notre planète, peuvent réellement agir. Selon une étude réalisée au Royaume-Uni au sein des agences, 71% des gens qui y travaillent sont inquiets que leur travail nuise à la planète et demandent une réaction de la part de leur entreprise.
Il existe d’ailleurs une action collective au Royaume Uni pour mettre en oeuvre des solutions concrètes.
Quelles pistes envisager alors pour concilier publicité et transition écologique?
Selon Aurélie Russanowska, il faut tout d’abord un retour aux fondamentaux : communiquer et non innonder, de la justesse pour plus de sobriété nécessaire pour diminuer l’impact. Une vision finalement plus noble du métier de la communication.
Ensuite il faut du courage. Produire des campagnes publicitaires plus respectueuses de l’environnement devient peu à peu le minimum olympique. C’est déjà en œuvre en Belgique heureusement. Mais ce n’est pas suffisant.
Outre un cadre législatif peut-être nécessaire, il faudrait aussi de nouveaux esprits qui puissent rejoindre le secteur. Car il existe des milliers de solutions pour continuer d’exister tout en réduisant ses émissions de CO2 mais il faut avoir le cran de le faire.
C’est par exemple refuser des clients appartenant à la Fast Fashion, refuser de communiquer pour des produits comme les SUV ou refuser de diffuser des messages pour des marques fossiles. The Guardian ne diffuse plus les publicités de ce genre d’entreprises depuis 2 ans.
Une vision plus noble du métier de la communication et du courage tout simplement.