Vous souvenez-vous de cette étude sur la nicotine, parue au début de la pandémie ? Elle affirmait que les fumeurs étaient moins susceptibles de tomber malade du Covid-19. C’est une équipe renommée, celle de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, qui était à l’origine de deux prépublications, publiées à la suite l’une de l’autre, en avril 2020.
L’une des études pilotée par le professeur Zahir Amoura, chef du service de médecine interne dans cette institution parisienne, révélait que seuls 5% des patients symptomatiques atteints de Covid-19 étaient fumeurs au quotidien. L’autre émettait l’hypothèse que la nicotine pourrait être un agent protecteur contre l’infection par le SARS-CoV-2. Parmi les auteurs de cette dernière, le professeur Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste de renommée mondiale, spécialiste des récepteurs nicotiniques.
Depuis lors, cette hypothèse a été démentie catégoriquement. Au contraire, le tabagisme a été reconnu comme un facteur de risque supplémentaire face au Covid-19.
Investigation
Au début de ce mois de juin, deux journalistes d’investigation, Stéphane Horel pour Le Monde, et Ties Keyzer, pour The Investigative Desk, ont dévoilé les liens financiers entre certains des auteurs de ces articles et l’industrie du tabac. Ces journalistes ont publié leur recherche dans le British Medical Journal.
Tout d’abord, rappellent, comme l'a montré un article du Monde en 2012, que Jean-Pierre Changeux, professeur à la retraite au Collège de France, avait reçu de 1995 à 1997 des financements de l’industrie du tabac, via le Council for Tobbaco Research, afin de réaliser des recherches sur les effets positifs de la nicotine. Contacté par les auteurs de cette investigation, le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux a répondu qu’il s’agissait d’une "question sensible (qui) a malheureusement donné lieu à des "fausses nouvelles" à mon sujet", assurant qu’il n’avait reçu aucun financement lié "directement ou indirectement à l’industrie du tabac" depuis les années 90.
Honoraires et conflits d’intérêts
Horel et Keyzer ont aussi mis en évidence le rôle d’un chercheur grec, Konstantinos Farsalinos, le premier à publier sur la thématique "tabac et Covid", avec une prépublication mettant en avance "la prévalence relativement faible du tabagisme actuel" chez les patients hospitalisés pour Covid-19. D’après les journalistes d’investigation, Farsalinos a reçu, dans le cadre de deux études, des honoraires de l’American E-Liquid Manufacturing Standards Association, une association professionnelle de fabricants qui soutient le développement des cigarettes électroniques. Konstantinos Farsalinos déclare aussi, d’après les journalistes, avoir révélé des financements de la Tennessee Smoke Free Association, Flavour Art et Nobacco, fabricants de liquides et de cigarettes électroniques.
Sur Twitter, le médecin répond que "toutes les allégations faites par les journalistes sur des conflits d’intérêts non révélés et des liens avec l’industrie du tabac sont fausses". Il répond aux critiques journalistiques dans un article où il contre-attaque à son tour en accusant les journalistes de soi-disant conflits d’intérêts, sous motif qu’ils sont financés par l’Université de Bath et la Fondation Bloomberg, qui a un programme de réduction des méfaits du tabac…