C’est une chanson qui date de 1981. Il fait une liste de toutes les choses dont il ne parlera pas. Un autoportrait à l’envers, en même temps qu’un mode d’emploi. Une technique pour écouter ses chansons.
Et donc qu’est-ce qu’il dit, en ne le disant pas, dans " La peau dure " ? Il dit :
" Bien sûr. Je connais tes plaies, tes blessures. Cyanure. Tes souvenirs ont la peau dure. Fêlure. A chacun son chemin, chacun ses déchirures. Mais je les ressens comme toi. " Arrêtons-nous tout de suite sur " cyanure " - en précisant que, dans le vocabulaire de Daho, tout ce qui tourne autour du poison, de l’empoisonné, du toxique, de la toxicité, de l’intoxiqué, du dangereux et du danger : c’est extrêmement attirant.
" Fracture. Poussé seul sur un tas d’ordures. Torture. Redouter d’être une imposture. Froidure. Qui nous gerce le cœur. Et rouille les jointures. Oui, je les ressens. " " Poussé seul sur un tas d’ordures. " marque la fascination du narrateur pour la figure de l’abandonné, la figure du bâtard – celui qui n’a pas de père et qui grandit comme une mauvaise herbe – une immondice de la société. Le texte de " La peau dure " renvoie autant à Jean Genet qu’à Morrissey qui ont, tous les deux à des niveaux différents, développé une forme de romantisme autour du bâtard et du voyou – celui qui n’est pas à sa place et qui redoute de se faire démasquer (l’imposture).
Ce qui est intéressant dans " La peau dure ", c’est le dispositif du face-à-face. S’il dit " je connais ", " je ressens ", " comme toi " - c’est qu’il a en face de lui quelqu’un qui lui ressemble. Quelqu’un qui serait un jumeau – personnage récurrent dans l’univers de Daho. Ce double, c’est peut-être lui-même (il se regarde dans un miroir et il parle à l’enfant qu’il a été). C’est peut-être un autre – qui a vécu les mêmes violences de l’enfance (fracture, torture, blessures). " Quand les larmes de l’enfance. Toute la vie sont murmures. Où sont l’épaule et les mots qui te rassurent. " L’épaule qui rassure, pour un enfant, c’est celle du père. " Oui, les larmes de l’enfance. Te font le cuir et l’armure. Et assèchent les rivières. Que tu pleurais hier. "
" La peau dure " est une chanson sur l’enfant abandonné qui a construit son socle de vie sur les larmes séchées – peut-être même une chanson sur l’enfance maltraitée (fracture, torture, blessures). Celui qu’il a en face de lui est un frère qui, comme lui, n’a pas connu de père. On sait qu’Etienne Daho n’a pas vraiment connu son père qui a abandonné sa famille quand il avait 4 ans… Celui qu’il a en face de lui est un frère, mais peut-être un fils… Il s’adresse peut-être au fils qu’il a eu et qui a vécu le même abandon que lui. On sait qu’Etienne Daho a eu un fils à 17 ans et qu’il ne l’a pas vraiment connu.
" La peau dure " serait comme un échange d’expériences et de scénarios répétés…
Sur le double (ce jumeau dans lequel il aime se confondre) et l’enfance, Daho a déjà chanté " Retour à toi " :