Eco-anxiété, peur de la crise économique, stress lié à la crise énergétique… beaucoup de choses nous poussent à la déprime. Pourtant, les crises peuvent aussi devenir un moteur créatif pour faire face, voire même rebondir. Que peut-on construire sur cette peur de l’avenir ?
Le mouvement, pour sortir de la peur
Face à la multitude des crises et des sources d’anxiété, on se sent souvent paralysé, on est dans l’inaction, dans la stupéfaction. La peur peut pourtant être moteur de changements.
Mais pour que la peur serve de moteur, il faut un déclencheur. Ce qui peut l’amener, c’est le mouvement, explique Philippe De Leener, professeur à l’Ecole de Sciences politiques et sociales à l’UCLouvain.
Quand on est pris par la peur, on est sidéré. Mais quand le corps est en mouvement, et s’il est en mouvement avec d’autres, automatiquement on est dans l’action et dans la projection, dans quelque chose qui est devant soi.
Du coup, la peur se dissipe et peut s’adjoindre à quelque chose de positif et constructif : je fais quelque chose, je suis dans quelque chose qui est en mouvement et qui me met en mouvement.
A condition d’être avec d’autres. Le problème contemporain vis-à-vis du climat, c’est que les gens vivent la peur seuls ou déconnectés d’une relation avec d’autres. D’autres dont on sent le corps, la chaleur.
L’importance du collectif
C’est cette notion de l’autre qui a amené tant de personnes dans les rues, pour le climat. Mais en 2019, le Covid a malheureusement stoppé une dynamique assez impressionnante et qui se serait amplifiée, parce que l’aspect collectif est important, souligne Olivier Luminet, directeur de recherche auprès du FRS-FNRS, professeur de psychologie à l’UCLouvain et à l’ULB, auteur de 'La psychologie des émotions' (Ed. De Boeck Supérieur).
"On se rend compte que les gens sont tous assez sensibles aux questions climatiques, mais ils ont l’impression que les autres le sont moins. Donc, ils n’osent pas s’engager dans le mouvement, parce qu’ils pensent que les autres ne le feraient pas autant qu’eux."
L’exemple des autres, c’est essentiel. On va faire des actions d’autant plus que l’on voit son meilleur ami ou son voisin entreprendre ces actions. La manifestation est l’occasion d’entraîner des mouvements collectifs.
Parce que les gens, en termes de connaissances sur le changement climatique, sont déjà assez loin. Le problème est plus dans une certaine dynamique nécessaire pour en faire une priorité, et dans le fait que les gens ne se rendent pas assez compte que leur inquiétude est partagée.
En Belgique, on voit que les gens qui nieraient l’existence du changement climatique forment vraiment un noyau extrêmement réduit.
La culture populaire peut-elle amener un changement de modèle ?
Pour Valérie Martin, cheffe du service Mobilisation et Médias de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, en France), la fiction peut être un très bon vecteur d’interpellation, de sensibilisation, parce qu’elle va nous aider à changer nos imaginaires.
On a besoin de récits qui nous donnent envie de croire dans le futur, qui nous encouragent à passer à l’action.
Il faut des actions concrètes pour accompagner ce passage à l’action. On peut apporter des solutions alternatives via des ressources complémentaires, du type :
- on ouvre un site internet qui répond à des questions suscitées par l’œuvre, on fait des vidéos, etc., pour une prolongation d’expériences.
- on crée des espaces d’échange avec le public pour promouvoir l’œuvre, via des cinés débats par exemple.
Le récit populaire comme facteur d’intelligibilité
Philippe De Leener croit très fort au récit populaire par le peuple, par les gens ordinaires, par ceux qui vivent les situations. Cela leur permet de mettre de la distance avec leur vécu.
Un exemple de culture populaire par le peuple, c’est le théâtre action. On peut le faire dans les écoles : "Mets en scène ce que tu racontes, ce que tu penses." Il en sort des choses parfois étonnantes.
En Afrique, il a l’occasion de travailler avec des mouvements populaires de la société civile ou avec des mouvements paysans. "Souvent, pour analyser une situation qui paraît incompréhensible, on organise une situation de mise en scène. Dites et vivez devant nous ce qui se passe chez vous, en vous."
Il en sort plein de choses au niveau de l’expression et de l’intelligibilité.
Il y a un vrai déficit d’intelligibilité, au-delà de toute l’information. Quand je dis intelligibilité, je dis clairement ceci : c’est la question 'pourquoi' ? Pourquoi ça ? Pourquoi comme ça et pas autrement ?
En mettant en scène soi-même des situations que l’on vit, parfois catastrophiques – guerre, sécheresse, famine…- et en l’exprimant par le corps ou par la communication avec d’autres, il en ressort un surcroît d’intelligibilité qui serait inaccessible autrement.
Transformer la peur
La peur est la première étape, mais elle doit être très rapidement transformée en une énergie constructive.
Au niveau médiatique, il faudrait pouvoir mettre en avant les solutions et les initiatives, plutôt que les problèmes. C’est humain, il y a un biais naturel à s’orienter vers les choses qui ne vont pas bien. Un changement de paradigme est nécessaire, affirme Olivier Luminet.
Le sondage du magazine Imagine montre que ce sont les aspects positifs qui sont mis en avant comme étant moteurs. Encourager quelque chose plutôt que de sanctionner.
"Je pense que malheureusement le politique est encore trop dans la sanction : on va taxer ce qui est mauvais pour l’environnement, en premier réflexe, par exemple."
Ne manquez pas la suite de l’émission en podcast ci-dessus !
Et retrouvez ici le sondage du magazine Imagine demain le monde
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