Belgique

La prolongation de Tihange 3 et de Doel 4 ne garantit pas l'approvisionnement en électricité pour l'hiver 2025-2026

Nucléaire : un accord et pas mal de questions

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Le gouvernement et Engie se sont mis d’accord, ce lundi 9 janvier, pour prolonger de dix ans l’exploitation des réacteurs nucléaires de Tihange 3 et Doel 4. L’objectif est de disposer de ces deux réacteurs à partir de novembre 2026.

Cet accord fixe le cadre de cette prolongation. Il reste des détails, non des moindres, à régler. "Ce n’était pas le but de tout décider", a déclaré le Premier ministre Alexander De Croo, lundi soir, en conférence de presse.

De fait, rien n’a été dit sur ce que l’opération allait coûter. Combien faudra-t-il débourser, notamment, pour la gestion du traitement des déchets nucléaires ? Il faudra encore attendre pour avoir la réponse à cette question.

Et puis, l’accord vise la sécurité d’approvisionnement à partir de l’hiver 2026-2027. Mais qu’en sera-t-il de l’hiver précédent, l’hiver 2025-2026, lors duquel la Belgique ne devrait plus disposer de réacteurs nucléaires en ordre de marche ?

A ce stade, l’approvisionnement en électricité n’est pas garanti pour l’hiver 2025-2026

L’hiver 2025-2026 s’annonce déjà comme un hiver délicat pour l’approvisionnement en électricité de la Belgique. L’accord conclu lundi entre Engie et le gouvernement ne prévoit rien pour cette période, si ce n’est, comme l’a expliqué le gouvernement, "qu’Engie s’est engagé à être partenaire pour combler le trou", comme l’expliquait Jean-Marc Nollet, co-président d’Ecolo ce mardi matin sur La Première.

Dans l’état actuel des choses, au cœur de l’hiver 2025-2026, tous les réacteurs nucléaires du pays devraient être à l’arrêt, même Tihange 3 et Doel 4.

Si l’on veut que les deux réacteurs de Tihange 3 et Doel 4, ceux qu’on vient de décider de prolonger, soient opérationnels pour 10 ans à partir de novembre 2026, il va falloir les préparer. Il est ainsi prévu que Doel 4 soit mis à l’arrêt en juillet 2025 et que Tihange 3 le soit à partir de septembre de la même année. Entre cette période et novembre 2026, les deux réacteurs connaîtront des travaux de maintenance et de mise à niveau pour permettre leur exploitation jusqu’en 2036.

Les autres réacteurs nucléaires encore en activité auront cessé de fonctionner avant la fin de l’année 2025, conformément à ce qui est prévu dans la loi de sortie du nucléaire :

  • Le réacteur de Doel 3 est déjà à l’arrêt depuis octobre 2022
  • Tihange 2 sera mis à l’arrêt le 1er février 2023
  • La centrale de Doel 1 s’arrêtera le 15 février 2025
  • Le réacteur de Tihange 1 cessera ses activités le 1er octobre 2025
  • Doel 2 s’arrêtera pour de bon le 1er décembre 2025

Dès lors, quelle sera la capacité de production disponible ?

Pour anticiper la fermeture des réacteurs nucléaires, le gouvernement a mis au point, depuis 2021, le CRM, un mécanisme de "rémunération de capacité", qui doit permettre à des opérateurs d’investir dans des moyens de productions.

Actuellement, selon ce que CRM prévoit, deux nouvelles centrales au gaz devraient être prêtes pour l’hiver 2025-2026. L’une sera construite par Engie aux Awirs et l’autre par Luminus, à Seraing.

Le CRM prévoit aussi le développement d’autres technologies, telles que des batteries pour le stockage de l’électricité. Il est aussi prévu de compter sur "le travail sur la demande" (Demand side management), c’est-à-dire la possibilité de limiter la consommation de certains clients, par exemple des entreprises, ou de la différer à des moments plus propices pour le réseau électrique.

Enfin, les capacités de production d’énergie renouvelables devraient encore avoir augmenté d’ici là.

Malgré tout, cela pourrait ne pas suffire. En septembre dernier, Elia (le gestionnaire du réseau d’électricité) et Fluxys (le gestionnaire du réseau gazier) ont, à la demande du gouvernement, procédé à une nouvelle estimation des besoins en énergie de la Belgique pour la période 2025-2026. Le rapport que ces opérateurs ont rédigé conclut qu’il manquera entre 900 MWh et 1200 MWh pour garantir l’approvisionnement énergétique du pays au cours de l’hiver 2025-2026. C’est l’équivalent d’un réacteur nucléaire.

Cela s’explique aussi par le contexte actuel. La guerre en Ukraine a rendu certaines alternatives, notamment celles qui dépendent du gaz, plus difficiles, voire plus aléatoires. Importer de l’électricité de nos pays voisins est aussi plus compliqué en raison des problèmes que la France connaît avec son parc de centrales nucléaires.

Quelles solutions pour "sauver" l’hiver 2025-2026 ?

Il reste un peu de temps, un peu plus de deux ans, pour trouver des solutions afin de garantir l’approvisionnement en électricité de l’hiver 2025-2026.

L’une de ces pistes est déjà évoquée dans certains partis de la majorité. On pourrait ainsi décaler l’arrêt de certains réacteurs nucléaires dont la loi prévoit la fermeture en 2025. "C’est clair qu’il faudra reprendre langue avec Engie à propos de trois autres centrales actuellement prévues de fermer. Ce serait peut-être des prolongations, mais plus courtes", estimait lundi soir le ministre David Clarinval (MR)

"Prolonger", "décaler", les termes utilisés varient pour parler de la même chose : garder un peu de capacité nucléaire au moins au cœur de cet hiver 2025-2026. Une option serait ainsi d’économiser du combustible nucléaire, par exemple au cours des étés précédents, pour pouvoir en disposer lors de cet hiver-là dans des réacteurs maintenus en fonctionnement pour l’occasion. "Ce sont des propositions que les écologistes ont faites pour économiser le combustible usé pendant l’été et l’utiliser pendant les 1 ou 2 hivers nécessaires", expliquait Jean-Marc Nollet dans Matin Première.

Des pistes de nouvelles centrales au gaz sont encore envisageables, même si le gaz est aujourd'hui moins intéressant qu'il y a quelques années. Initialement, Engie avait proposé, suite l'appel lancé par le gouvernement dans le cadre du CRM, de construire une centrale au gaz à Vilvoorde. Ce projet n'a pas obtenu le permis des autorités flamandes, mais un recours a été introduit. Un autre projet de centrale au gaz est, lui, porté par l'entreprise Tessenderlo.

Cela dit, un hiver sans réacteur nucléaire ne serait pas forcément inédit. L’hiver 2018-2019 a été, sur ce point, délicat. La Belgique a ainsi entamé l’hiver sans réacteursA l’époque, notre pays a pu compter sur des importations importantes pour assurer son approvisionnement en électricité. Quasiment un quart de l’électricité était venu de l’étranger, notamment de France où les centrales nucléaires ne connaissaient pas encore les problèmes qu’elles vivent aujourd’hui, et de Grande-Bretagne. La douceur de l’hiver avait fini de rassurer sur le risque de pénurie.

A ce stade, rien ne garantit que la Belgique pourrait autant compter sur les importations d'électricité qu'en 2018.  La disponibilité des centrales nucléaires françaises est loin d'être garantie pour l'hiver 2025-2026.

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