C'est tout l'enjeu du roman qui s'ouvre sur l'enterrement d'une mère de famille. Contrairement aux siens, elle a fait le choix de revenir à qui elle était vraiment, et laissé des directives pour tenter de réparer une injustice. En mourant elle a fait promettre à son mari de donner la petite maison au bout du terrain à sa fidèle domestique Noire, la seule à avoir veillé sur elle comme une sœur. Vous le devinez cette promesse ne sera pas tenue, ou du moins, elle sera différée.
Cette restitution apparaît évidemment symbolique de bien d'autres spoliations des peuples autochtones et les terres de cette famille sont convoitées par agents immobiliers, des prêcheurs margoulins et d'autres mages à la mode. C'est au délitement d'une nation, d'une nature sauvage, d'une fratrie que nous assistons. Il y a quelque chose de Faulkner dans la combinaison de réalisme et de forces telluriques, de non-dits et de violence sourde, de menace imprécise qui se faufile partout.
Le roman s'ouvre par la voix de la plus jeune des filles, un peu étrange depuis qu'elle a été foudroyée à l'âge de six ans. Il en reste quelque chose, on perçoit, tout au long des pages, une onde, un arc électrique qui va nous mener à un ultime orage. Et puis des voix se superposent, celles du récit et celle de la conscience, le "je" qui se regarde agir avec complaisance, passe au "tu", plus accusateur, le trivial bouscule le sacré, les mensonges dénaturent la vérité et la beauté n'est pas là où on l'attend.
Damon Galgut est un redoutable observateur, impitoyable pour ces êtres fourvoyés, pleurnichant sur leur sort parce que trompés par leurs proches alors qu'ils sont eux-mêmes indignes. Et malgré cela, le roman baigne dans une lumière en demi-teinte, quelque chose de miraculeux et d'en même temps hyper réaliste. C'est fascinant. A la fois totalement politique et absolument intime, procédurier et pourtant magique, cruel mais poétique, avec une vraie compassion pour ces personnages empoisonnés, au sens propre comme au figuré, par un venin intérieur, invisible mais fatal.
"La Promesse" de Damon Galgut, aux Editions de l'Olivier.