Chronique littérature

"La Promesse" de Damon Galgut, une promesse trahie à l'image des espoirs d'un pays

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Par Victoria De Schrijver via

A l'occasion de sa venue à Bruxelles, Sophie Creuz a lu "La Promesse",  le dernier roman de l'auteur sud-africain Damon Galgut qui a vu son livre couronné par le Booker Prize 2021 pour la meilleure œuvre de fiction publiée en langue anglaise.

Damon Galgut est un auteur sud-africain. Il sera à Bruxelles le mardi 8 novembre prochain à l'occasion d'une rencontre à la librairie Passa Porta. Tous les livres de Damon Galgut ont été publiés en français et ont été en lice pour des prix prestigieux, dont le Booker Prize qui a couronné celui-ci en 2021, mais c'est à l'occasion de sa venue à Bruxelles et pour cette chronique que Sophie Creuz a découvert l'auteur. 

Un romain plongé dans l'Afrique du Sud

Il est des pays dont on peut difficilement s'abstraire parce que le contexte imprègne jusqu'aux relations interfamiliales, et si les écrivains s'en détournent, on le leur reproche. C'est ce qui est arrivé à Damon Galgut à ses débuts. Comme on a pu reprocher à son compatriote J. M. Coetzee d'écrire des livres qui pouvaient se passer n'importe où, et dont l'apartheid ne faisait pas partie du tableau. Cela fait plus de vingt ans qu'elle a cessé mais ce roman de Galgut y revient par la bande.

Il débute avant la libération de Mandela et des premières élections démocratiques, pour se terminer à notre époque actuelle. Il montre comment la peur a changé de nature et de camp, comment l'espoir s'est mué en arrangements douteux, comment la cupidité et les promesses non tenues ont pourri les relations. Mais sa force est de le transposer sur le plan intime d'une famille de fermiers blancs qui a toujours vécu sans se poser de questions, en s'en remettant à d'autres, et en se laissant séduire par des profiteurs. A l'image du pays, sans doute.

Une promesse

C'est tout l'enjeu du roman qui s'ouvre sur l'enterrement d'une mère de famille. Contrairement aux siens, elle a fait le choix de revenir à qui elle était vraiment, et laissé des directives pour tenter de réparer une injustice. En mourant elle a fait promettre à son mari de donner la petite maison au bout du terrain à sa fidèle domestique Noire, la seule à avoir veillé sur elle comme une sœur. Vous le devinez cette promesse ne sera pas tenue, ou du moins, elle sera différée.

Cette restitution apparaît évidemment symbolique de bien d'autres spoliations des peuples autochtones et les terres de cette famille sont convoitées par agents immobiliers, des prêcheurs margoulins et d'autres mages à la mode. C'est au délitement d'une nation, d'une nature sauvage, d'une fratrie que nous assistons. Il y a quelque chose de Faulkner dans la combinaison de réalisme et de forces telluriques, de non-dits et de violence sourde, de menace imprécise qui se faufile partout.

Le roman s'ouvre par la voix de la plus jeune des filles, un peu étrange depuis qu'elle a été foudroyée à l'âge de six ans. Il en reste quelque chose, on perçoit, tout au long des pages, une onde, un arc électrique qui va nous mener à un ultime orage. Et puis des voix se superposent, celles du récit et celle de la conscience, le "je" qui se regarde agir avec complaisance, passe au "tu", plus accusateur, le trivial bouscule le sacré, les mensonges dénaturent la vérité et la beauté n'est pas là où on l'attend.

Damon Galgut est un redoutable observateur, impitoyable pour ces êtres fourvoyés, pleurnichant sur leur sort parce que trompés par leurs proches alors qu'ils sont eux-mêmes indignes. Et malgré cela, le roman baigne dans une lumière en demi-teinte, quelque chose de miraculeux et d'en même temps hyper réaliste. C'est fascinant. A la fois totalement politique et absolument intime, procédurier et pourtant magique, cruel mais poétique, avec une vraie compassion pour ces personnages empoisonnés, au sens propre comme au figuré, par un venin intérieur, invisible mais fatal.

"La Promesse" de Damon Galgut, aux Editions de l'Olivier.

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