Patrimoine

La reine et le pharaon : il y a 100 ans, Elisabeth de Belgique visitait la tombe de Toutankhamon

En novembre 1922, la tombe de Toutankhamon est ouverte pour la première fois. A l’époque, la découverte jouit d’un retentissement mondial, et le site archéologique reçoit de prestigieuses visites dans les mois qui suivent. Parmi elles, celle de la reine des Belges Elisabeth et de son fils Léopold, il y a tout juste 100 ans.

On sait à quel point Elisabeth, 3e reine des Belges, était passionnée d’art et de culture. Alors, lorsqu’en novembre 1922, une découverte archéologique retentissante est annoncée mondialement, la curiosité de la souveraine est titillée. Elle est bien décidée, elle ira à la rencontre de ce pharaon dont tout le monde parle.

Le voyage n’est pourtant pas simple à organiser. L’Egypte, royaume indépendant en théorie, est dans les faits sous contrôle britannique. Des mouvements nationalistes tentent de se faire entendre, parfois violemment. Le fait que Howard Carter, un Anglais, dirige le chantier de fouille de la tombe pharaonique n’est pas forcément apprécié dans certains cercles égyptiens. Le site de fouille pourrait ne pas être sûr pour une souveraine étrangère.

Mais il est difficile de refuser quelque chose à la reine Elisabeth, héroïne de la Première Guerre, respectée dans toutes les chancelleries du monde. Il lui faudra attendre plus d’un an après la découverte de la tombe, mais elle finira par se faire inviter en février 1923. Contrairement à l’idée reçue donc, la reine n’était pas présente à l’ouverture de la tombe. Elle ne le sera pas non plus lorsque le sarcophage de Toutankhamon sera ouvert, en février 1924.

L'égyptologue belge Jean Capart

Dans ses valises, elle emmène son fils aîné, le prince Léopold, 21 ans, futur Léopold III. Mais aussi Jean Capart, éminence de l’égyptologie belge et conservateur aux Musées royaux d'Art et d'Histoire, qui n’a qu’un désir : contempler la trouvaille du siècle de ses propres yeux. C’est essentiellement grâce à ses écrits que les détails du voyage nous sont connus.

Le jour du départ en train, sur le quai de la gare, le roi Albert aurait murmuré à Capart :

S’il se présente quelque chose de dangereux, ne le dites pas à la Reine, elle voudrait y aller !

Après une semaine de voyage, traversant la Méditerranée en bateau puis descendant le Nil, la compagnie royale arrive à Louxor. La reine et le prince voyagent sous un nom d’emprunt, les "Réthy". Pourtant, tout le monde sait bien de qui il s’agit, le voyage n’est pas secret, puisque la presse est de la partie. Cet anonymat de façade agace journalistes et Belges expatriés qui se voient refuser l’accès à la souveraine.

Un renard dans le désert

Le dimanche 18 février 1923, le duo royal a rendez-vous avec le passé. Ce jour-là est programmée l’ouverture officielle de la chambre funéraire de Toutankhamon, là où se trouve son sarcophage, et donc sa momie. En réalité, Carter a ouvert la pièce la veille. Mais il est d’usage d’organiser des événements officiels devant un parterre de personnalités prestigieuses et de rejouer l’acte le lendemain.

Au milieu de la Vallée des Rois, Elisabeth est vêtue de blanc, et malgré la chaleur ambiante, elle porte un manteau en fourrure de renard dont elle ne se défait pas, même pour pénétrer dans la tombe où la chaleur est pourtant plus élevée qu’en dehors.

La reine Elisabeth est reçue avec les honneurs devant la tombe de Toutankhamon
La reine Elisabeth est reçue avec les honneurs devant la tombe de Toutankhamon © - archives du Palais royal

C’est Carter lui-même qui sert de guide à la reine et au prince. La compagnie ne voit pas les fabuleux trésors qui ont été stockés durant des millénaires dans l’antichambre du tombeau. Tous les objets ont déjà été déplacés, hormis les deux grandes statues noires qui représentent le pharaon. C’est dans la salle suivante qu’attend l’émerveillement.

Elisabeth et Leopold entrent en premier dans la chambre funéraire. La souveraine ne verra pas le roi légendaire. À ce moment-là, la momie est encore préservée des regards, dans trois cercueils imbriqués comme des poupées russes, eux-mêmes protégés par quatre chapelles dorées elles aussi imbriquées. Il faudra encore des mois pour démonter cet assemblage, soulever la lourde dalle du sarcophage de granit et ainsi mettre au jour le pharaon.

Le prince Léopold et la reine Elisabeth sur le site de la Vallée des Rois
Le prince Léopold et la reine Elisabeth sur le site de la Vallée des Rois © - archives du Palais royal

Capart attend patiemment son tour, car la chambre funéraire est bien trop étroite pour contenir tous les visiteurs en même temps. Lorsqu’il y pénètre enfin, il est médusé. Il écrira :

Je ne puis retenir un cri et, maintenant encore, j’ai la gorge serrée de l’émotion qui me saisit à la vue de ce que j’avais sous les yeux.

Une reine… envahissante ?

Howard Carter ne s’intéresse pas trop à ces visites de marque. Dans ses écrits, il notifie rapidement que "La reine des Belges et son fils, le Prince Alexandre (sic)" l’ont honoré de leur présence.

Trois jours après la visite, les Belges se rendent dans l’entrepôt du chantier, là où tous les objets sont inventoriés, photographiés et conditionnés avant de prendre le bateau pour remonter le Nil et atteindre le Musée du Caire. Elisabeth se montre curieuse de tout, s’approche de la moindre pièce, pose mille questions.

Tant et si bien que les archéologues britanniques sont quelque peu dérangés dans leur travail. La reine reviendra encore plusieurs fois dans l’atelier, ce qui finit par agacer les chercheurs. L’un d’entre eux, Arthur Mace, écrit : "Pour vous dire la vérité, nous devenons tous très fatigués d’elle. […] Les têtes couronnées n’ont pas vraiment de considération pour le peuple".

La reine Elisabeth en visite sur le site de la tombe de Toutankhamon
La reine Elisabeth en visite sur le site de la tombe de Toutankhamon © - archives du Palais royal

Heureusement pour les Britanniques, la souveraine est occupée à d’autres activités : visites de monuments, réceptions, croisières et rencontres en tout genre sont aussi à l’agenda, et la tienne éloignée de la Vallée. La tombe a été refermée le 26 février, avec la fin de la saison des fouilles. Il faudra attendre quelques mois avant de pouvoir continuer son exploration. Le prince Léopold, lui, est parti de son côté. Il veut voir le Soudan et l’Ethiopie avant de rentrer à Bruxelles.

Après plus d’un mois de voyage, et la visite d’autres villes égyptiennes comme Le Caire ou Alexandrie, la délégation belge reprend la mer fin mars. Sa visite aura exacerbé la passion de la souveraine pour l’Egypte antique. Elle jouera un rôle important dans la promotion de l’égyptologie en Belgique, et si la renommée des collections de nos musées et de l’expertise des archéologues belges est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est aussi un peu grâce à elle.

Elisabeth n’en a pas terminé avec Toutankhamon. Elle reviendra plusieurs fois sur le sol égyptien durant le chantier de fouille, au grand dam de Carter et ses collaborateurs. Elle finira même par rencontrer, en tête à tête, la momie du pharaon. Mais ça, c’est une autre histoire.

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