Pour autant, ce manque de visibilité des sportives a des répercussions sur la société tout entière. Il ne permet pas aux jeunes filles de s’identifier à des modèles qui pourraient ensuite les inciter à pratiquer une activité sportive. "Contrairement aux jeunes garçons qui disposent de nombreux "héros" sportifs, il existe relativement peu d’icônes féminines dans le sport d’élite", constatait le Conseil de l’Europe en novembre 2011.
Une situation qui contribue peut-être à expliquer le faible attrait des femmes pour le sport… Elles sont plus nombreuses à pratiquer qu’avant, c’est vrai, mais elles restent minoritaires. Exemple : "en Fédération Wallonie Bruxelles, 70% des affiliés à des clubs sportifs sont des garçons et les jeunes filles deviennent plus sédentaires à partir de 11 ans", nous rappelle Elise Voillot.
Retransmissions plus importantes
Mais pour en parler, il faut, surtout en télévision, avoir des images. Ce qui était très peu le cas dans de nombreux sports il y a encore quelques années. Aujourd’hui, l’évolution est réelle. En effet, de plus en plus de compétitions féminines sont désormais retransmises. Les organisateurs ont décidé d’y mettre les moyens et de mettre des caméras. "En foot, par exemple, la Fédération belge de football et Proximus ont mis les moyens pour que le championnat de Division 1 féminin soit capté, ça nous permet d’avoir des images", nous explique Pierre Deprez.
Les télévisions sont en train de se rendre compte que quand on diffuse du sport féminin, c’est une audience en plus
Les planètes commencent donc à s’aligner. "Cette volonté de mieux couvrir le sport féminin est partagée par tous, des politiques aux organisateurs évènements en passant par les médias partenaires comme nous, ces choses-là se mettent en place", constate Damien Detry, producteur à la rédaction des Sports. "Les télévisions sont en train de se rendre compte que quand on diffuse du sport féminin, c’est une audience en plus", confirme Catherine Vanden Perre, également productrice aux Sports.
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C’est comme ça que vous avez pu découvrir de nombreuses courses cyclistes féminines sur les antennes de la RTBF en 2010. Une dizaine de classiques féminines, les courses d’un jour les plus prestigieuses du calendrier international de cyclisme sur route, était prévue cette année, mais le Covid19 a modifié légèrement les plans.
Le déclic vient probablement de la Coupe du Monde féminine de football en 2019 en France. Les audiences, dans l’Hexagone, comme chez nous, ont été inespérées. "On a fait plus que doubler les chiffres d’audience (ndlr : en comparaison avec la Coupe du Monde au Canada, quatre ans plus tôt)", détaille Catherine Vanden Perre. Et pourtant, les Red Flames, l’équipe belge féminine de football n’y participait pas. Le match d’ouverture a rassemblé plus de 120.000 téléspectateurs, soit 9.9% de part de marché. Ce qui a poussé la RTBF à retransmettre douze rencontres au lieu des six prévues au départ. La finale entre les États-Unis et les Pays-Bas a été regardée par 167.279 téléspectateurs, soit 18,9% de part de marché.
On est évidemment encore très loin des 1.646.213 de personnes (83,5% de parts de marché) qui se sont branchées sur la RTBF lors de la demi-finale de la Coupe du Monde masculine en Russie en 2018 entre la Belgique et la France. "Le sport féminin ne fait pas encore autant d’audimat que le sport masculin, admet notre collègue Damien. Mais le pari qui est fait, c’est que plus on le met en avant et plus on raconte des histoires autour du sport féminin, plus cette audience va grandir."
On n’y est pas encore… Pour vous donner une idée, en 2017, les sports féminins ont représenté 114 heures et 27 minutes de retransmission, soit 15% des 760 heures de retransmission.
Le public aussi a un rôle à jouer
Mettre en avant le sport féminin, c’est une vraie responsabilité des médias (pas uniquement de la RTBF d’ailleurs), des fédérations, des organisateurs. C’est aussi un travail de longue haleine pour que les gens s’y intéressent. "Malheureusement dans notre société, il y a encore pas mal de préjugés par rapport au sport féminin", constate Ophélie Fontana. "Il faut qu’en tant que spectateur, on change notre comportement, qu’on accepte de découvrir de nouvelles choses", ajoute-t-elle.
Cette étape, certains dans le public l’ont déjà largement franchie. Et nous interpellent face aux déséquilibres toujours présents. C’est le cas de Benoit P, qui nous a écrit en septembre. Notre auditeur est resté sur sa faim en écoutant le Journal des Sports de La Première. "Lors de ce dernier, il n’a quasi jamais été fait allusion à une (équipe) sportive féminine (mis à part en tennis) !", s’étonne-t-il dans un mail adressé à la médiation. Il ajoute : "Le journaliste a abordé le Tour de France (ok vu l’actualité) et le Tour du Luxembourg (épreuve nettement moins courue) mais pas du tout le Tour d’Italie féminin, alors qu’une cycliste belge a gagné l’étape hier !". En fait, la veille, la Belge Lotte Kopecky a remporté l’étape. "Quand est-ce que la RTBF aura une politique égalitaire (le plus possible évidemment) pour tous les sports", s’interroge Benoit P.
Les médias sont à la fois le reflet du monde dans lequel nous vivons et un instigateur de changement
"J’avoue que ça m’a échappé", se défend Pierre Capart, le journaliste qui a présenté le Journal des Sports ce jour-là. "Lotte Kopecky mérite qu’on parle d’elle et c’est ce qu’on fait en général, souligne-t-il. On essaie d’être sensible à ça, mais on a toujours cette contrainte de temps. Des informations peuvent passer au second plan." Précisons aussi que l’actualité sportive était dense ce jour-là et que le Journal des Sports ne dure que 3 minutes, 3 minutes 30.
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Alors oui le chemin est encore long pour atteindre la parité, si un jour on l’atteint, mais la volonté de mettre en avant des sports féminins et leurs championnes semble présente. C’est d’ailleurs notre devoir en tant que média. "Ils sont à la fois le reflet du monde dans lequel nous vivons et un instigateur de changement", martèle Elise Voillot, pour les Femmes Prévoyantes Socialistes.
"Je suis confiante. Ça va se faire petit à petit, s’enthousiasme notre collègue Christine, rejointe par Gaétane Vankerkom. On pourrait le faire plus, mais on a quelques beaux exemples ces derniers temps, conclut-elle. Ça ne peut que s’améliorer et ça va s’améliorer."
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