Quand on parle de la vaccination, il n’y a pas que le nombre de sujets qui peut poser question, il y a aussi la manière d’en parler. Exemple avec ce texte d’un présentateur diffusé sur l’une des radios de la RTBF récemment. Le journaliste y évoque la première dose de vaccin qui a été administrée à une grande partie des patients à risque. Et voilà ce que dit le présentateur : " De quoi voir l’avenir moins morose, même s’il faut rester vigilant et adresser un message clair à la population pour qu’elle se fasse vacciner ". " On ne doit s’identifier aux organisateurs de la campagne de vaccination, admet Johanne Montay. On doit éviter d’être dans l’émotion au niveau de nos phrases et de nos commentaires qui pourraient induire qu’on donne l’impression qu’on est dans une adhésion ".
Autre exemple, l’utilisation du " on " dans des phrases comme " on devrait atteindre ", " une projection qui dépasse ce qu’on attendait ". Le risque, c’est évidemment de penser que la RTBF fait la communication du gouvernement. Or c’est justement ce que certains d’entre vous nous reprochent. " Nous devons rester indépendants. Nous devons garder notre ligne. On ne peut pas inciter ", réagit la responsable éditoriale Sciences-Santé.
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Autre élément de langage utilisé quelquefois sur nos antennes : " Bonne nouvelle ". Qu’il s’agisse de l’efficacité d’un vaccin, d’un nouveau vaccin mis sur le marché, l’accélération de la campagne de vaccination, ces deux mots sont plusieurs fois sortis de la bouche de journalistes de la RTBF, peut-être inconsciemment d’ailleurs. " Comme on dit ‘bonne nouvelle, le soleil est de retour’. Est-ce que c’est une bonne nouvelle ? Pas pour tout le monde, remarque notre collègue Jean-Christophe Willems. Il y a des gens qui sont allergiques, mais globalement, on sait que quand il y a du soleil, on est plus heureux. C’est un peu la même chose ici. "
" Ce n’est pas à nous de dire aux gens ‘allez-vous faire vacciner ou pas’, mais qu’on se rende compte que, statistiquement, les objectifs sont en passe d’être atteints pour pouvoir permettre ce qui est perçu par un grand nombre de personnes comme une bonne nouvelle, le journaliste doit rester neutre, mais c’est un fait objectif que c’est perçu comme quelque chose de positif ", réagit de son côté le directeur adjoint de l’information.
Il faut préciser qu’il n’y a jamais eu d’intention d’inciter à la vaccination. Ce n’est pas notre rôle en tant que média, mais force est de constater que c’est comme ça que ça peut être perçu pour certains d’entre vous. "En ce qui me concerne, je ne dis jamais 'Bonne nouvelle' parce que j’estime que ce n’est pas à moi de dire 'Bonne nouvelle', mais c’est vrai que quand on dit 'la vaccination avance bien', ça sous-entend que ça répond à ce que les autorités attendent. Ce n’est pas de la promotion, mais c’est relayer le message que les autorités veulent faire passer. On doit faire attention", reconnaît Diane Burghelle-Vernet, présentatrice du Journal Parlé de 18h sur La Première.
Ce vocabulaire est utilisé de manière probablement inconsciente. "Je pense que c’est inconscient parce qu’en tant que journaliste, on est aussi des citoyens", soutient Diane. Et au sein de la société, tout le monde va dans ce même sens. " Je n’irai pas jusqu’à jeter la pierre dans la manière dont les phrases sont tournées parce qu’on est humains, confirme Raphaël Jungers. Ça joue, mais bien au-delà de la presse, l’ensemble de la population a fondé ses espoirs de salut dans la vaccination ! Je trouve personnellement que c’est une bonne nouvelle qu’on approche des 70% de vaccinés ".
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Mais néanmoins, cette communication " monolithique vers un objectif unique ", comme la désigne le responsable du Laboratoire de Mathématiques Appliquées de l’UCLouvain, aurait des effets pervers, " même si c’est mû par des sentiments nobles ", tempère-t-il. D’abord, celui de stigmatiser les personnes qui ne veulent pas se faire vacciner. " Les gens qui voient que certains refusent de se faire vacciner vont se dire que ce sont des égoïstes ", estime-t-il.
Deuxième effet pervers, celui de ne pas s’attarder sur les autres solutions qui permettraient de quitter cette crise sanitaire, selon Raphaël Jungers qui constate qu’" il y a d’autres solutions, qui ne remplacent pas le vaccin, car c’est sans doute notre arme principale contre le virus, mais ce n’est pas l’arme absolue et unique. " Il pointe notamment l’hygiène de vie ou à l’alimentation. Enfin, " que va-t-on dire aux gens lorsqu’ils vont se rendre compte que malgré le fait qu’ils se soient fait vacciner, le virus est encore là ? ", s’interroge le membre de #Covidrationnel. " Je crains qu’à ce moment-là, on atteigne un niveau de frustration grave ", conclut Raphaël Jungers.
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