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La théorie du conséquentialisme pour illustrer les protestations face au 'zéro covid' en Chine

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La Chine fait face à des tensions politiques croissantes depuis plusieurs jours. En cause, la politique zéro Covid. Une politique que le régime a pourtant présentée comme beaucoup plus efficace que celle menée par les démocraties occidentales mais qui semble se retourner contre lui aujourd’hui. Il y a peut-être une leçon philosophique à tirer de tout ça, John Stuart Mill avait peut-être raison…

L’Anglais John Stuart Mill est un des plus grands philosophes de l’histoire, un des pères du libéralisme politique. On lui doit notamment la défense du droit des femmes, ou de la liberté d’expression.

Ce qui est intéressant, c’est que John Stuart Mill est ce qu’on appelle un conséquentialiste et même un utilitariste. C’est-à-dire qu’il mesure le bien-fondé d’une action ou d’une décision politique, ou même d’un régime politique à son utilité, à son efficacité. L’utilité étant le bonheur, ou le bien-être pour le plus grand nombre.

En d’autres termes, Mill et cette école de pensée ne justifient pas par exemple que la démocratie est bien en soi parce que les humains seraient naturellement des êtres libres, mais parce que la démocratie est le régime qui maximise l’utilité, le bien-être collectif, parce que c’est le régime le plus efficace pour rendre les gens heureux.

Un régime chinois qui cherche le bonheur… à n’importe quel prix

Cette philosophie de Mill peut s’appliquer au régime Chinois car le régime est lui aussi conséquentialiste.

Lui aussi considère que le but d’un régime c’est de rendre le maximum de gens heureux. Et le régime chinois a décrété depuis toujours que la liberté n’était pas le bon moyen d’y arriver. Pour lui, le meilleur moyen c’était un pouvoir fortement centralisé. Et il ne cesse de mettre en avant ses réussites, par exemple le fait que la classe moyenne en Chine est passée en 20 ans de 20 millions de Chinois à 400 millions. Une performance remarquable. Ou qu’il y a eu beaucoup moins de morts du covid qu’en Occident, et que les Chinois ont pu retrouver leur liberté courant 2020 alors qu’en Occident on était en plein confinement et en pleine récession.

Face à une telle démonstration, beaucoup dans les démocraties occidentales ont défendu la liberté, la démocratie, en assumant que peut-être oui nous étions moins efficaces que les dictatures mais qu’au moins on respectait les droits humains. Un argumentaire démontrant qu’il ne faut pas mesurer la démocratie à son efficacité mais au respect des droits, à la tolérance, à l’égalité des citoyens devant la loi. Autant de valeurs qui doivent être défendues pour elle-même et pas pour leurs conséquences. Des valeurs qui à nos yeux sont supérieures au calcul d’efficacité et même souvent universelles. C’est cela qui mène à mettre un brassard arc-en-ciel au Qatar.

La démocratie plus efficace que le régime autoritaire car elle apprend plus vite de ses erreurs

Mais la réflexion du conséquentialisme de Mill va plus loin. Ce débat entre conséquentialistes et déontologistes est d'ailleurs un des plus importants encore aujourd’hui en philosophie morale et politique.

En l’occurrence ce qu’il se passe en Chine, pourrait plaider pour le conséquentialisme de Mill. Que dit Mill dans son livre le plus célèbre, On Liberty, De la liberté ? Que la liberté d’expression cause plein de problèmes, mais que c’est le moins mauvais des systèmes pour atteindre la vérité. Le choc des idées, les débats sont pour lui beaucoup plus efficaces que l’intervention de l’État pour atteindre la vérité. Or, la circulation de l’information et la vérité, on le voit dans cette épidémie de covid en Chine comme en Europe, semblent donner un facteur déterminant d’efficacité.

Lorsque l’information est cadenassée ou canalisée, comme en Russie et en Chine, les populations ont beaucoup moins adhéré au vaccin.

Lorsque l’information est cadenassée, les populations font beaucoup moins confiance aux dirigeants.

D’une manière générale on remarque qu’une information qui circule permet de limiter la corruption, de remplacer les dirigeants lorsqu’ils sont mauvais, et permet aux citoyens d’exprimer leur mécontentement.

Une des leçons de Mill c’est que laisser s’exprimer toutes les opinions permet à une population, à une organisation humaine d’apprendre de ses erreurs, et ça, c’est peut-être bien la clé de l’efficacité.

© Kevin Frayer/Getty Images

Un principe applicable à la déroute de l’armée russe

Autre exemple en cours, l’histoire nous le dira, c’est la guerre en Ukraine.

Un général français faisait récemment l’analyse que tous les revers et les problèmes que l’armée Russe a connus en Ukraine se résumaient en fin de compte à la faible circulation de l’information dans l’armée. Qu’une armée ne peut s’améliorer que si elle cultive en son sein la liberté de critiquer ses supérieurs, ses choix, ses tactiques, parce que c’est comme ça qu’une armée s’améliore. En Russie personne n’ose parler, la corruption domine…

Oui, la démocratie a peut-être de beaux restes face aux dictatures. C’était la conviction profonde de John Stuart Mill, la démocratie est le meilleur régime non pas parce qu’elle est meilleure en soi, supérieure moralement, mais surtout parce qu’elle est au bout du compte, plus efficace. Elle apprend plus vite de ses erreurs que les dictatures. En tout cas jusqu’ici…

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