Xavier Falques se plonge dans l'histoire tourmentée du violoniste et compositeur belge Charles-Auguste de Bériot (1802-1870) dans C'est arrivé près de chez nous.
Lorsque l’on pense à Charles de Bériot, on l’imagine au bras de la Malibran, récoltant les bravos de scène en scène, de ville en ville. Mais derrière le masque doré de la vie de virtuose, se cachent d’orageuses tragédies.
Jeune virtuose du violon, de Bériot s’impose à Bruxelles, à Paris et partout en Europe. En 1829, à Chimay, il rencontre Marie Garcia, dite la Malibran, du nom de son époux. L’amour entre la chanteuse et le violoniste est un feu ardent qui devient vite irrépressible, au-delà des conventions maritales. Les amants, partenaires en amour et en musique, vivront cette idylle jusqu’en 1835, date de l’annulation du mariage entre Marie et Eugène Malibran. Quelques mois plus tard, la Malibran deviendra Madamede Bériot.
Comment espérer mieux ? Les diseuses de bonne aventure ne pourraient rien ajouter : amour, succès, finances, tout y est… Enfin jusqu’à un maudit jour de septembre 1836. Voilà quelques mois seulement que le couple est marié, après plusieurs concerts, les voilà à Manchester. La soirée se déroule bien et les applaudissements retentissent, mais à peine la prestation terminée, Marie s’effondre… Personne ne comprend vraiment, personne n’imagine encore… la presse y voit "un fâcheux événement qui fera subir quelques changements de programme". Mais de jour en jour, les nouvelles de Manchester s’aggravent, jusqu’au 23 septembre. Ce jour-là, la Malibran âgée de 28 ans s’éteint à bout de forces et, d’après Castil-Blaze, avec enfant. Dans sa longue tribune, Castil-Blaze reprend tout le tragique de la situation qui a mené cette femme à l’épuisement mental et physique, mais il évoque aussi le statut de Bériot. Il écrit :
"Vantez-nous maintenant cette vie d’artiste exempte de soucis, de chagrins ! Montrez-nous ces joyeux troubadours suivant le cours de leurs plaisirs, se livrant à toutes les jouissances ; ils sont toujours contents, car ils chantent toujours. Hélas ! que de cavatines pleines de folie ont été dites dans la perfection par des virtuoses blessés cruellement au cœur. Quand la douleur la plus poignante vous déchire, vous pouvez pleurer au moins ; il faut que l’artiste rie, qu’il chante quelquefois quand le cadavre de sa sœur, de son père, de son fils, n’est pas encore refroidi, quand le vêtement de deuil n’est pas encore taillé".
Voilà qui fut trop difficile à faire pour Charles-Auguste, qui revient sur Bruxelles et décidera un temps d’arrêter sa carrière de virtuose. On pourrait alors se dire, "avec le temps, va, tout s’en va". Peut-être même que ce sentiment était celui de Bériot quand il se décide à remonter sur scène, à goûter de nouveau à l’amour, celui d’avec la pianiste Marie Hueber… mais le sort en aura décidé autrement et la camarde est décidément bien capricieuse : en 1858 décède sa seconde épouse et en 1865 son fils Franz… La maladie ne l’épargne pas non plus, une ophtalmie le pousse en 1852 à démissionner de son poste de professeur de violon au Conservatoire de Bruxelles. En 1858, cette même ophtalmie le rendra totalement aveugle. Enfin, dernier de tous les tracas, en 1866, il devra s’accommoder d’une paralysie de la main gauche, le laissant alors dépourvu physiquement…
Aussi quand vous tendrez l’oreille sur une œuvre de Bériot, de cet homme si charmant, si gai, de cet homme qui semble béni des dieux, sachez que de bénédiction, son histoire est plutôt celle d’une longue et patiente tragédie, où la gloire a toujours son revers.