La "transe" comme outil thérapeutique est étudiée à Liège, mais c'est quoi exactement ?

La "transe cognitive" étudiée sur des patients au CHU de Liège, c'est quoi exactement?

© Artur Debat - Getty Images

Par A. Dulczewski

Sommes-nous tous capables d’entrer en transe ? Cet état second – qu’on associe aux chamans – peut-il être un outil thérapeutique ? Une étude en ce sens vient d’être lancée au CHU de Liège (avec l'ULiège) et sera, pour la première fois, menée avec des patients.

La science s’intéresse depuis peu à la transe en tant qu"'état modifié de conscience". Le point de départ de toutes ces recherches scientifiques est l’expérience de transe, en Mongolie, de l’ethno-musicienne Corine Sombrun, et dont est inspiré le film 'Un monde plus grand'. Pour comprendre la transe, il est nécessaire de revenir dessus.

Corine Sombrun se découvre 'chamane' en Mongolie

En 2001, dans le cadre d’un reportage pour la BBC, Corine Sombrun assiste à une cérémonie chamanique en Mongolie. Au son des tambours, l’ethno-musicienne entre spontanément en transe. A sa grande surprise, elle croit se transformer en loup, hurle comme l’animal et perd le contrôle de son corps. Le chaman mongol annonce alors à Corine Sombrun qu’elle a été choisie par les esprits, que sa réaction montre qu’elle est une chamane.

Sceptique au départ, l’ethno-musicienne se laissera convaincre d’être initiée au chamanisme. Pendant 8 ans, Corine Sombrun fera des allers-retours réguliers en Mongolie pour suivre sa formation. Elle en reviendra finalement avec une conviction : la transe est un état particulier du cerveau. Pour l’établir, Corine Sombrun se tourne alors vers la science.

Collaboration avec des scientifiques

"Elle a eu comme démarche de s’associer avec des scientifiques pour comprendre ce qu’il se passait dans son cerveau quand elle était en état de transe", explique la neuropsychologue Audrey Vanhaudenhuyse, qui coordonne l’étude liégeoise sur la transe avec sa collègue Olivia Gosseries.

En comparant l’activité du cerveau de Corine Sombrun lorsqu’elle est en transe et puis 'hors transe', les scientifiques constatent, en effet, que "le cerveau fonctionne différemment en état de transe", explique Audrey Vanhaudenhuyse.

La majorité des gens ont accès à cet état de conscience modifiée

La transe est alors dite 'cognitive' parce que "décontextualisée de tout rituel ", explique la neuropsychologue. "La majorité des gens ont accès à cet état de conscience modifiée. Mais il y a des sensibilités différentes, qui font que chaque personne va vivre la chose plus intensément ou non", continue-t-elle.

Des vertus thérapeutiques ?

Mais à quoi sert donc la transe ? Cet état modifié de conscience pourrait-il avoir des vertus thérapeutiques ? Au CHU de Liège et à l'ULiège, Olivia Gosseries et Steven Laureys, tous deux chercheurs FNRS, Charlotte Grégoire, ainsi qu’Audrey Vanhaudenhuyse se penchent sur cette question. Lors d’une étude qui doit durer quatre ans, l’équipe comparera les effets de l’hypnose, de la méditation et de la transe sur une centaine de patients qui ont eu un cancer.


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"On connaît bien la méditation et l’hypnose, leurs valeurs ajoutées et leurs particularités", explique Steven Laureys, "mais nous n’avons pas encore assez de recul sur la transe cognitive et nous aimerions offrir une base scientifique".

En comparaison à l’hypnose ou la méditation, explique Audrey Vanhaudenhuyse, "l’état subjectif de la personne en transe est encore différent. Il est vraiment intense et très particulier".

Notre perception de l’environnement est modifiée

La neuropsychologue a elle-même déjà expérimenté cet état. Et explique : "En transe, notre perception de l’environnement est modifiée. On peut percevoir des choses qu’on ne voit pas toujours à l’œil nu. Notre conscience de soi est modifiée. On a l’impression d’être plus en connexion avec les gens à côté de nous, avec la nature, le monde." Par ailleurs, ajoute-t-elle, "par rapport à l’hypnose, qui est très calme, la transe cognitive est très corporelle. Elle va passer par beaucoup de mouvements, de chants, de cris."

Toutefois, précise Audrey Vanhaudenhuyse, même s’il y a certaines généralités, chacun vivra la transe de façon singulière.

Comment entrer "en transe"?

Pour mettre en place leur étude, l’équipe liégeoise a directement collaboré avec Corine Sombrun. Celle-ci a créé des boucles sonores à faire écouter aux patients pour leur permettre d’entrer en transe. "Avec l'aide de deux chercheurs, Corine Sombrun a modélisé des sons sur base des sons des tambours mongols et de vocalisations produites en transe. On en a créé des boucles sonores", explique Audrey Vanhaudenhuyse

Comment les patients entrent-ils en transe ? "La toute première fois, on dit au patient d’écouter les sons, et de laisser venir ce qui va apparaître. Ces sons vont provoquer en lui des sensations corporelles particulières, des mouvements spontanés", décrit la neuropsychologue.

Ensuite, continue-t-elle, "le patient apprendra petit à petit à reconnaître ces mouvements et ces sensations. Les formateurs vont lui apprendre à auto-induire la transe en les amplifiant, en faisant des vocalisations, en criant, en chantant et en bougeant. C’est le mouvement qui installe l’état."

Un état intense qui peut s’avérer dangereux

Les chercheurs restent toutefois très prudents et insistent sur l’importance d’encadrer de telles expériences. "Seules les personnes formées ont accès à ces boucles sonores parce qu’elles peuvent provoquer un état vraiment intense chez le patient", souligne Audrey Vanhaudenhuyse.

"La transe peut être très puissante et peut faire surgir des traumatismes, des émotions négatives. Elle peut provoquer des décompensations et ça peut être dangereux si vous souffrez de psychoses par exemple", prévient la neuropsychologue. Pour cette raison, ajoute-t-elle, "on prévoit toujours d’accompagner les patients avec un médecin et un psychologue."

La transe, un outil parmi d’autres ?

Pour Audrey Vanhaudenhuyse, l’objectif à terme est de pouvoir proposer différents outils pour permettre aux gens d’aller mieux : "Chacun pourrait trouver la méthode qui lui correspond, en fonction de sa pathologie et de sa sensibilité."


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La transe, l’hypnose et la méditation sont "tous des outils différents, mais ils ont aussi des points communs", explique de son côté Steven Laureys, neurologue et chercheur FNRS. “Beaucoup de mes collègues médecins ont des a priori pas nécessairement positifs là-dessus. Certains considèrent que c’est un peu ésotérique. Je le regrette", déplore le neurologue.

"Je prescris moi-même l’hypnose et la méditation à mes patients", continue-t-il, "certains me disent trouver dommage qu’ils aient dû attendre leur burn-out pour découvrir ces techniques."

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