Pourquoi vouloir se plonger aujourd’hui dans les utopies soixante-huitardes ?
Quand j’ai découvert ces projets dans des vieilles revues des années 1970, je me suis dit que ça résonnait avec ce que mes amis architectes essaient de faire en ce moment. Cette envie de collaborer autour d’un projet d’architecture solidaire, de réfléchir à des matériaux locaux, entre autres le bois. Je me disais : "mais mince, ça a déjà été pensé avant nous". C’est intéressant de voir que des thématiques qui ressurgissent aujourd’hui sont exactement les mêmes qu’à l’époque. Et je voulais voir ce qu’étaient devenues ces choses-là, voir comment ça s’était passé et évaluer la réussite ou l’échec de ces utopies.
Pourquoi avoir choisi les projets de Paul Petit, Jean Englebert et Lucien et Simone Kroll, et pas d’autres ?
Il y avait des rapprochements possibles entre ces trois projets. Ils avaient tous repensé complètement le rôle de l’architecte dans le processus de la construction. Plutôt que de dire : "je suis architecte, je crée et construis un projet puis je l’abandonne au client", ils ont impliqué les futurs habitants dans les décisions, en les écoutant et en faisant confiance à leur savoir. Et de manière générale, ils se sont dit que la question esthétique n’était peut-être pas primordiale, mais qu’il est surtout important de savoir comment est-ce qu’on collabore avec les autres expertises avec lesquelles on est en contact. À l’époque c’était assez nouveau. Ils ont questionné le rôle de l’architecte dans la société et dans la construction. Et ça, ça a vraiment quelque chose à voir avec notre époque : revisiter le rôle de l’architecte, le placer moins au centre dans le processus.
Quelle a été l’influence de ces rencontres sur ta propre pratique de l’architecture ?
C’est un peu tôt pour le dire, parce que pour ce film, j’ai fait une pause par rapport à mon travail d’architecte. Ce qui m’a fait du bien parce que réfléchir à son métier pendant qu’on le fait, ce n’est pas vraiment possible. Mais je continue à enseigner, et peut-être que je vais continuer à réaliser des films, parce que la transmission, la médiation sur mon métier, m’intéresse beaucoup. Avec ce film, et grâce au fait d’enseigner, je peux transmettre une idée de l’architecture. Cela m’a convaincu plus encore que l’architecture c’est politique, et c’est un message que je veux faire passer.
Quelle différence entre les utopies d’hier et celles d’aujourd’hui ?
Ce genre d’utopies n’arrêtent pas d’apparaître et disparaître de l’histoire de l’architecture. Là je m’arrête sur les années 1970, où les gens étaient très politisés et voulaient réfléchir à un changement de société. Peut-être qu’on y est à nouveau aujourd’hui même si je ne sais pas si c’est encore possible d’avoir des utopies comme celles d’après 1968. La différence, c’est qu’il faut plus de courage pour le faire, parce que les paramètres sont de plus en plus complexes. À l’époque, par exemple, on n’avait pas conscience de la crise énergétique comme aujourd’hui, alors que maintenant tout tourne autour de ça. Mais je pense que c’est désirable de continuer à réfléchir sur le mode de l’utopie, même si l’on croule sous les défis climatiques et sociaux. Il faut continuer à défendre les idées nouvelles, même les plus folles.
“La Vie en Kit, une aventure architecturale”, un documentaire d’Élodie Degavre à voir ce samedi 19 novembre à 23h15 sur La Trois, et en replay sur Auvio.