"La vie secrète de Pablo Escobar" les mémoires de sa veuve, près de 30 ans après sa mort

Couverture du livre – Maria Isabel Santos-Escobar : La vie secrète de Pablo Escobar / Albin Michel

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Par Miguel Allo

Malgré ses crimes, près de trente ans après sa mort, Pablo Escobar s’est imposé comme une figure populaire. Outre les T-shirts à son effigie, les mugs, les posters et les innombrables documentaires, une série Netflix a ajouté une bougie sur l’autel de son imposante postérité.

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Né le premier décembre 1949 et abattu le 2 décembre 1993, au lendemain de son 44e anniversaire, Escobar était l’homme à la tête du cartel de Medellín. Au milieu des années quatre-vingt, il fournissait 80% de la cocaïne consommée aux États-Unis pour un chiffre d’affaires annuel de 21 milliards de dollars. On parlait à l’époque de 70 à 80 tonnes exportées vers les côtes américaines chaque mois. A ce titre, il fut l’un des criminels les plus riches de l’histoire avec une fortune estimée à l’époque à plus de trente milliards.

Mais "celui qui a une queue de paille ne doit pas s’approcher du feu". Ce proverbe sud-américain, Escobar n’a pas su l’entendre. Et son entrée en politique au début des années quatre-vingt a sonné sa fin. Il fut révélé au grand public comme un trafiquant de drogue notoire et poursuivi non seulement par les États colombien et américain mais aussi par les autres cartels en place. En 1984, après l’assassinat du ministre de la justice Rodrigo Lara Bonilla, ses heures étaient comptées. Sauf qu’elles durèrent de longues années.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’à côté de l’homme, il y avait une femme : Maria Victoria Henao (qu’Escobar surnommait Tata), qui maintenant porte le nom de Maria Isabel Santos-Escobar. Aujourd’hui, près de trente ans après la mort du narcotrafiquant, elle raconte dans un livre intitulé "La vie secrète de Pablo Escobar" sa rencontre avec Pablo quand elle n’avait que douze ans et lui vingt-trois, son mariage à quinze ans. Et la façon dont Escobar l’a “élevée” pour qu’elle soit une bonne mère pour ses enfants et une épouse docile. Elle aura tout vécu à ses côtés. Le faste dans l’hacienda de Napolès (avec un zoo et des œuvres d’art signées Dali, Botero ou Rodin). Mais aussi les cavales, les tentatives d’assassinats et les attentats contre sa famille. Elle raconte, dans le livre, la mort de son mari. Et la lente reconstruction en exil en Argentine avec ses deux enfants.

Nous l’avons rencontrée.


L’intégralité de cet entretien sera diffusée dans l’émission "Entrez sans frapper", au mois de novembre prochain sur la Première.


J’ai perdu ma voix

Dès les premières lignes du livre, Maria Isabel Santos-Escobar répond aux questions que beaucoup de lecteurs se poseront forcément en achetant ce livre, mais aussi celles qu’on lui a posées le plus souvent tout au long de sa vie. Pourquoi est-elle restée avec lui ? Comment a-t-elle pu dormir avec ce monstre ? Était-elle complice ou victime ? Pourquoi n’a-t-elle rien fait ou ne l’a-t-elle pas dénoncé ? Au moment d’écrire ses mémoires, elle aussi s’est posé ces questions. Son explication est sanglante : " Parce que je l’aimais ".

Vingt-sept ans après le décès de Pablo Escobar, sa veuve décide donc de s’exprimer. Pourquoi ce long silence ? " J’avais perdu ma voix, dit-elle. La peur m’a paralysé ". Et puis, il a fallu laisser passer du temps. Retrouver une estime de soi.

Elle rappelle aussi qu’à l’époque, elle vivait avec un homme qui faisait en sorte que "tout un Etat lui obéisse, que toutes les personnes autour de lui, lui obéissent" et qu’il était difficile pour une jeune fille de 22 ans de prendre des décisions personnelles. Elle est formelle sur la question : " Il ne me le permettait pas ".

Demander pardon

En 2012, le fils de Pablo Escobar a présenté le documentaire "Les Péchés de mon père" dans lequel il demande pardon pour les crimes de son père. Aujourd’hui, après toutes ces années, celle qui n’a jamais quitté le baron de la drogue a trouvé le courage de demander pardon à son tour. Elle rappelle qu’elle et sa famille ont payé un prix très élevé pour exister en raison de toutes "ses erreurs". Ce geste, elle le fait, entre autres, pour qu’on puisse lui donner un espace dans la société qui lui a "si longtemps été nié". Un espace pour elle. Et ses enfants.

Se confronter à l’histoire et découvrir des années de violence

Lorsqu’elle rencontre Pablo Escobar, celui-ci n’est qu’au début de sa "carrière" criminelle avec notamment du trafic de cigarettes ou des enlèvements contre rançon. Au milieu des années septante, il ouvre la voie vers les États-Unis. Que savait-elle de tout cela ? Comment pouvait-il justifier à l’aube des années 80 les énormes sommes d’argent en sa possession ?

Maria Isabel Santos-Escobar vivait alors dans une culture machiste ou "on n’autorise pas les femmes à donner leur avis ou à poser des questions". Par ailleurs, dit-elle, son rôle était celui d’être femme au foyer, de prendre soin de ses enfants et de les éduquer.

Sans entrer dans les détails, elle rappelle aussi que son mari a d’abord été reconnu comme entrepreneur dans l’élevage, notamment. Compte tenu du statut qu’il s’est forgé, il a pu aussi intégrer le monde politique. Pendant presque 8 ans, il était une personne appréciée. Mais ensuite, le gouvernement a mené ses enquêtes "et toi tu ne peux pas dénoncer ce que tu ne vois pas devant tes yeux". Ces seules sources d’information étaient les nouvelles et ce qui se disait en public sur son mari et de toute façon : "J’étais comme enfermée dans ce monde des mandats de l’église qu’il fallait respecter comme épouse et comme mère".

Et puis, après toutes ces années, d’abord de luxe, puis de traques, de menaces, de violence et d’horreur, elle confie qu’il lui aura encore fallu 25 ans pour se confronter à cette histoire, enquêter et approfondir tout ce qu’elle avait vécu. "J’ai été horrifiée de toute cette violence".

Il est évidemment assez peu probable qu’elle n’ait rien su des activités criminelles de son mari. L’hacienda de Napolès où elle vivait était en effet remplie d’hommes de main armés jusqu’aux dents. Mais c’est la parole minimum qu’elle est prête à livrer aujourd’hui.

L’impact de la série Netflix

Au début du livre, la veuve insiste sur le fait qu’elle aimait Pablo Escobar. Mais elle parvient aussi à dire que son mari était un psychopathe. Ces mémoires sortent quelques années après l’énorme succès de Narcos sur Netflix. Si la plateforme tente de montrer le criminel qu’a été cet homme, cela n’a pas empêché le trafiquant de drogue sanguinaire qu’il était de devenir une icône, voire un héros pour certains. A-t-elle écrit ce livre pour remettre les pendules à l’heure et que pense-t-elle du fait que son mari soit devenu une icône pour certains ? " Je n’aime pas ça ! " Et elle tient à souligner que son fils "réalise un travail énorme avec les nouvelles générations. Il s’est entretenu avec plus de 500.000 jeunes au Mexique et ailleurs dans le monde pour leur monter que Pablo Escobar n’est pas un héros et ce n’est pas une histoire à répéter".

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Pour terminer cette rencontre, nous avons demandé à Maria Isabel Santos-Escobar si elle avait de bons souvenirs avec son mari et si oui lequel était le plus beau ? "J’ai vécu plusieurs beaux moments. L’un des plus beaux, ça a été la naissance de mon premier enfant".

Quant aux plus mauvais moments avec lui ? Elle en a eu beaucoup, mais elle se rappelle, par exemple de, "l’attentat terroriste de l’immeuble Monaco avec 700 kilos de dynamite". Rappelons que ce bâtiment était à l’époque le bunker du baron de la drogue colombien. Et puis aussi "les 10 années enfermés, cachés, en raison de toute cette horreur, avec mes enfants et sans savoir ce qui allait arriver".

Enfin : "Une guerre c’est la désolation. Elle génère horreur et terreur dans ta vie et celle de tes enfants. Il n’y a pas de mots suffisamment précis pour décrire ce que j’ai vécu".

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L’intégralité de cet entretien sera diffusée dans l’émission "Entrez sans frapper", au mois de novembre prochain sur la Première.


 

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