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L’Académie française a 389 ans : des lettres de noblesse gagnées au fil des siècles, entre prestige et controverse

Par Pierre Marlet via

Il y a 389 ans, le 13 mars 1634, avait lieu à Paris la première réunion des membres de l’Académie française. Une institution qui a traversé les siècles. Si elle a éprouvé des difficultés à gagner ses lettres de noblesse, elle est toujours présente aujourd’hui. Retour sur les grandes pages de son histoire.

L’Académie française est composée en théorie de 40 membres qu’on appelle des Immortels. Pourquoi ce surnom ? À cause du sceau de l’Académie sur lequel figure une devise que l’on doit à Richelieu "à l’immortalité !". Richelieu, c’est lui qui a voulu créer cette institution sur le modèle d’une autre académie, l’Accademia della Crusca de Florence qui existe toujours aujourd’hui avec deux objectifs : la qualité de la langue italienne et la défense du plurilinguisme en Europe, face à la suprématie de l’anglais. Une suprématie que le cardinal de Richelieu, Premier ministre de Louis XIII, ne pouvait pas imaginer au 17e siècle où c’était plutôt le prestige de l’italien qui concurrençait le français.

Des ouvrages de référence pour harmoniser le français

Richelieu demande à l’Académie française de devenir la garante de la langue française, une mission confirmée par le roi le 29 janvier 1635 par les Lettres patentes. Il s’agit de l’harmoniser, de faire en sorte qu’elle soit compréhensible par tous les Français. Il faut rappeler qu’à l’époque, le Français reste souvent une langue peu utilisée dans les provinces françaises. Il faut aussi qu’elle soit précise et éloquente avec l’objectif d’augmenter son prestige international.

C’est précisément au 17e et au 18e siècle que le prestige du français s’affirme : ce n’est pas nécessairement l’Académie qui en a été le moteur, mais plutôt l’affirmation de la France au plan politique, économique et surtout culturel, avec le français qui devient la langue de Molière. Dans le même temps, Richelieu avait concrètement demandé de rédiger un certain nombre d’ouvrages dont un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique, centrée sur l’art d’argumenter, et une poétique, qui étudie le processus de création.

De rhétorique et de poétique, il n’y en eut jamais. Pour la grammaire, il a fallu attendre… 1930. Cette grammaire a été tellement critiquée qu’elle ne sera jamais rééditée et l’expérience ne sera pas renouvelée. Seul un dictionnaire sera publié, dont la première édition paraît en 1694. Depuis lors, les académiciens s’y consacrent avec constance. On en est à la neuvième édition mais les académiciens travaillent à leur rythme : le premier tome de "A à enzyme" a été publié en 2000 et 23 ans plus tard le quatrième tome, de "quotité à la lettre z" n’est pas encore publié.

Une institution critiquée pour son archaïsme

Ce mode de fonctionnement est parfois décrié. Certains disent que l’Académie française ne sert plus à grand-chose et qu’elle paraît désuète. Le protocole confère en effet beaucoup de cérémonials aux assemblées publiques qui ont lieu une seule fois par an. Le reste du temps, la réunion hebdomadaire du jeudi est à huis clos. Une seule fois l’an sans compter les cérémonies de réception des nouveaux membres qui viennent en habit, avec bicorne, cape et épée sur laquelle est gravée leur devise, tout cela en présence d’un public invité avec les tambours de la garde républicaine.

En juin 2011 lors de la réception de l’écrivain belge François Weyergans, cette atmosphère de solennité a été confrontée à la dérision typiquement belge du récipiendaire. D’abord il a eu l’incroyable audace d’arriver un quart d’heure en retard et puis il démontre un certain sens de la dérision envers la vénérable institution qui l’accueille : "L’épée qui a été conçue pour Maurice Béjart lorsqu’il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, j’ai fait graver une phrase que j’aime bien : Plus je pense, plus je pense".

L’Académie française introduisait Frédéric Mitterrand le 5 février 2020, dans le hall de l’Académie des Beaux-Arts.
L’Académie française introduisait Frédéric Mitterrand le 5 février 2020, dans le hall de l’Académie des Beaux-Arts. © Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images

Un suffrage complexe, les femmes toujours en infériorité numérique

Si chaque académicien doit porter l’épée, les femmes en sont dispensées. Les académiciennes arrivent depuis 1980 avec l’entrée de Marguerite Yourcenar, écrivaine française née à Bruxelles et qui a notamment bénéficié du soutien et de l’influence de Jean d’Ormesson. L’élection à l’Académie n’est pas simple : le vote est secret, il faut une majorité des votes exprimés et auparavant il faut que le siège soit déclaré vacant. Actuellement, cinq académiciens sont décédés depuis 2020, dont par exemple Valéry Giscard d’Estaing et seule une vacance a été déclarée, celle de Jean-Loup Dabadie. Jeudi dernier, les Immortels ont voté pour la troisième fois sans réussir à départager les candidats. Les 40 académiciens ne sont donc aujourd’hui que 35, dont 6 femmes. On reste loin de la parité mais c’est une femme, Hélène Carrère d’Encausse qui a le rôle le plus important puisqu’elle est secrétaire perpétuelle.

L’Académie française jouit d’une image surannée, son rôle est controversé parce que son attitude est généralement très conservatrice au plan du langage. Et pourtant elle conserve un réel prestige. Les Immortels portent donc bien leur nom, ils sont encore là pour longtemps…

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