Lailuma Sadid, journaliste afghane : "À chaque fois que l’on ne prend pas les talibans au sérieux, ça devient très dangereux pour le futur"

La journaliste afghane Lailuma Sadid s’est exprimée publiquement lors d’une conférence de presse, face au secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

© Capture d'écran You Tube

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Par Wahou Fayoumi et Eric Destiné, avec A. Lo.

Face à la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, une grande majorité de la population est très inquiètes, voire terrorisée. face au retour, 20 ans plus tard, de ceux qui ont une interprétation très fondamentaliste de la Chariah. Tout particulièrement, la situation des femmes risque de se dégrader, alors que les talibans ont officiellement déclaré s'engager à  "laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l'islam".


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Ce mercredi 18 août, la journaliste afghane Lailuma Sadid s’est exprimée publiquement lors d’une conférence de presse, face au secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. " Des milliers de femmes se demandent ce qui va leur arriver dans le futur. (...) Elles ne savent ni ce qui se passe ni ce qui va leur arriver ". La journaliste essaie de retenir ses larmes. " Ne reconnaissez pas l’émirat des talibans sans aucune condition " a-t-elle déclaré avec beaucoup d'émotions.

J’ai pleuré parce que j’ai senti que nous avons perdu notre espoir

Lailuma Sadid vit à Bruxelles depuis près de dix ans, et elle a accepté de se confier au micro de nos journalistes Wahoub Fayoumi et Eric Destiné. Elle est revenue sur cette conférence de presse : "Je me sens très naïve d’avoir fait ça, parce que j’ai ressenti ce que ressentent les amis, la famille, les femmes qui vivent sous le contrôle des talibans. C’est pour ça que j’ai pleuré hier, parce que c’était tellement triste. À chaque fois que l’on ne prend pas les talibans au sérieux, ça devient très dangereux pour le futur. J’ai pleuré parce que j’ai senti que nous avons perdu notre espoir. Il n’y a pas de lumière dans la vie sombre des Afghans."

Elle est née en Afghanistan et elle a aussi travaillé à Kaboul pendant des années. Elle a connu l’Afghanistan sous le régime des talibans il y a 25 ans. "Je suis née là-bas, j’ai grandi là-bas, je me suis mariée et j’ai deux filles. J’ai étudié là-bas à la faculté de journalisme et j’ai travaillé comme journaliste dans plusieurs médias afghans. Mais j’ai reçu beaucoup de menaces en Afghanistan. J’ai arrêté de travailler avec les médias et j’ai commencé à travailler avec le gouvernement au ministère des Affaires étrangères comme journaliste pour travailler là-bas et ne pas devoir sortir tous les jours pour faire des reportages. Et cela, c’était pour me protéger et rester en vie."


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Elle avait 16-17 ans lorsque les islamistes ont pris le pouvoir à Kaboul et qu’ils ont mis en place un système religieux rigoriste. Jeune étudiante à l’époque, elle a décidé d’organiser des cours en secret pour les autres filles, des filles qui ne pouvaient plus apprendre à lire et à écrire à l’école. Des cours pour, dit-elle, que ces filles afghanes ne restent pas aveugles et prisonnières dans leurs familles. "Il y a  22 ou 23 ans, quand j’ai commencé ces classes secrètes pour les filles, je n’ai pas pensé qu’un jour, les talibans viendraient pour me battre, pour me punir. J’avais reçu plusieurs menaces pour que j’arrête d’apprendre aux filles des choses qui n’étaient pas islamiques. Mais à ce moment-là, j’étais étudiante à l’université et il n’y avait rien d’autre à faire."

Nous n’avions pas le droit de regarder le soleil

"Nous étions comme des prisonnières à la maison, nous n’avions pas le droit de regarder le soleil, de sortir de la maison pour aller à l’école ou à l’université, et même pas pour un examen médical. On ne pouvait pas sortir sans être accompagnées d’un homme. On devait porter la burqa, c’était obligatoire, sinon nous étions punies. J’ai essayé de continuer, mais ils m’ont battue pour la première fois, et j’ai alors appris, je me suis dit : 'Tu dois rester chez toi, arrêter ', et c’est ce que j’ai fait. Mais les mots de mon père sont restés dans mon esprit. Il disait : 'Si les gens dans un pays sont éduqués, ils peuvent changer le monde. Et s’ils ne le sont pas, ça peut être une catastrophe '."

Lailuma en est encore persuadée : aujourd’hui, c’est en éduquant les filles et les garçons que la résistance à l’obscurantisme peut s’organiser. Mais malheureusement, dit-elle, plus de 20 ans après ces expériences traumatisantes, l’histoire semble se répéter en Afghanistan. Elle a obtenu un statut de réfugiée politique il y a une dizaine d’années, mais ses parents, eux, sont restés en Afghanistan. "Je n’ai pas beaucoup de contacts ces derniers jours avec ma famille parce que les connexions Internet ne sont pas bonnes du tout. Mais quand je les ai appelés, ils pleuraient et ils disaient : 'On ne sait pas ce qui se passe '. Ils sont désespérés. Ces derniers jours, ils essaient de contacter le mari de ma sœur, mais ils n’arrivent pas à le joindre. Nous sommes vraiment inquiets pour notre famille. Il y a 25 ans, c’était la même chose. Aujourd’hui, on dit que tout le monde sera autorisé à aller travailler, les femmes aussi, mais je suis sûre que c’est un mensonge. Ils ne changeront jamais de mentalité. J’espère que ça ira pour ma famille, mais je ne suis vraiment pas optimiste."

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