Un jour dans l'histoire

Landru contre les brigades du Tigre

Henri Désiré Landru à son procès

© IM / Getty Images

Henri Désiré Landru, né le 12 avril 1869 à Paris, est l’un des tueurs en série français les plus célèbres. Son procès et ses crimes ont passionné la France de l’après-guerre (la grande), ont confirmé l’efficacité des célèbres brigades du Tigre, et particulièrement du tout jeune inspecteur Jules Belin à qui il n’a fallu qu’une semaine d’enquête pour arrêter le meurtrier. Landru, un escroc de la belle époque qui devient prédateur de femme durant la grande guerre et accède à la célébrité populaire grâce à son procès dans les années 20.

Découverte de ce tueur en série aux 90 identités, 283 femmes convoitées et 11 victimes avérées avec Bruno Fuligni, auteur de Landru : L’élégance assassine aux éditions du rocher, invité d’Un jour dans l’Histoire.

Le dépouilleur de ces dames : Henri Désiré Landru

 

Henri Désiré Landru a été surnommé par la presse " le Barbe-bleu de Gambais " lors de son procès. Le terme de Barbe-bleu fait référence à un conte de Charles Perrault dont le personnage principal, un homme laid doté d’une barbe bleue, a pour fâcheuse habitude d’assassiner ses épouses.

Ce qui représente assez bien le mode opératoire de Landru : charmer des dames, leur faire miroiter un mariage, pour mieux les assassiner et voler leurs biens, enfin.

 

Pendant la guerre, beaucoup de femmes se retrouvent seules et doivent devenir financièrement autonomes. Landru, lui, a pu échapper à la conscription du fait de son âge (45 ans en 1914), ce qui lui livre un terrain de choix : Paris vide de toute concurrence masculine à l’exception des très jeunes hommes ou des vieillards, ainsi qu’un large nombre de proies de choix.

 

Landru avait commencé sa carrière d’escroc en hameçonnant des investisseurs potentiels à l’aide de petites annonces pour financer la production d’un vélo à moteur (dont il était l’inventeur) mais disparaissait vite avec l’argent grâce à l’usage qu’il faisait de noms d’emprunt.

Cette technique se révélera tellement efficace qu’il l’utilisera ensuite pour dépouilleur des braves femmes d’un certain âge, au physique peu avantageux mais aux revenus confortables dont Landru pourra largement profiter… après les avoir assassinées.

 

Après avoir ferré une dame à l’aide d’une petite annonce de genre :

Monsieur sérieux, ayant petit capital, désire épouser veuve ou femme incomprise, entre 35 et 45 ans, bien sous tous rapports, situation en rapport.

Landru vérifiait qu’elle corresponde bien à ses critères : disposant de fonds suffisants et facilement isolable, l’attirait hors de Paris dans sa villa de Gambais dans les Yvelines pour l’y étrangler dans son sommeil et s’approprier ainsi librement tous ses biens.

 

Le Barbe-bleu de Gambais va sévir en toute tranquillité ainsi pendant plus de 5 ans. Cette totale impunité s’explique par l’usage de fausses identités et du contexte de la grande guerre.

Les fausses identités lui permettent à la fois d’échapper à une autre condamnation qui lui assurerait le bagne, étant donné ses nombreuses inculpations pour escroquerie dans le passé. Mais aussi à dissimuler le fait qu’il était en réalité marié, à Marie-Catherine Remy, avec qui il avait 4 enfants. Landru mettait un point d’honneur à fournir à sa famille les moyens de vivre dans un certain standing.

Le contexte de la première guerre mondiale occupait fort la police sur des affaires de contre-espionnage au détriment de ce qui était considéré comme des cas de disparitions de femmes d’un certain âge qui étaient sûrement quelque part à mener joyeuse vie avec un amant quelconque.

 

Jusqu’à ce qu’un jeune inspecteur des brigades du Tigre s’empare de l’affaire et fasse tomber Landru, en 1919.

 

 

Le sauveur de ces dames : Jules Belin

 

Jules Belin est un inspecteur à la première brigade mobile (du Tigre), police d’élite créée par Georges Clémenceau pour répondre à l’évolution exponentielle du crime en bande que connaît la France au début du XXème siècle. Pour ce faire, Clémenceau dote cette nouvelle police de moyens considérables pour l’époque : téléphonie et automobiles.

 

L’enquête débute le 6 avril 1919 à 8 heures du matin, lorsque Belin interroge Mlle Lacoste, femme de chambre et sœur d’une des deux femmes disparues, dont Belin est le premier à penser que les disparitions sont connectées : Mme Buisson, disparue en 1917.

La femme de chambre avait alerté la police à l’époque mais sans grands résultats. Belin impressionne en prenant note du témoignage complet de Mlle Lacoste qui serait en mesure d’identifier l’homme que fréquentait sa sœur avant sa disparition. Mais surtout en lui laissant une carte avec son numéro de téléphone, luxe peu commun en 1919.

 

Par un coup du hasard, Mlle Lacoste croise l’homme en question dans un grand magasin de la rue de Rivoli, quelques jours à peine après avoir témoigné auprès de l’inspecteur Belin. L’homme, accompagné d’une dame, ayant remarqué Mlle Lacoste, détale rapidement et s’enfuit en grimpant dans un bus.

 

Mlle Lacoste appelle l’inspecteur Belin au numéro laissé sur sa carte. Belin fait rouvrir le grand magasin qui a fermé ses portes pour la nuit, et y récolte les informations que Landru y a laissé pour se faire livrer un important service de vaisselle, au nom de Lucien Guillet.

Belin se rend illico à l’adresse : 76 rue Rochechouart, dans le 9e arrondissement de Paris. Mais en arrivant sur place, la concierge informe l’inspecteur que le Monsieur Guillet est parti précipitamment… Belin laisse une carte à la concierge.

 

La concierge rappelle Belin quelques jours plus tard : Guillet est revenu. Mais étant donné qu’il est tard, Belin doit attendre le matin pour procéder à l’arrestation car il est interdit d’arrêter des gens pendant la nuit en France.

 

Au matin du 12 avril 1919, après avoir passé la nuit sur le paillasson de Guillet, Belin procède à son arrestation. Mais Lucien Guillet n’est pas seul. Fernande Segret, maîtresse de ce dernier et de 25 ans sa cadette, vit avec lui et fait un malaise à la vue de son bien-aimé arrêté.

 

Fernande Segret accompagnée de Landru à un mariage
Fernande Segret accompagnée de Landru à un mariage © Tous droits réservés

Dans l’appartement, Belin trouve des carnets qui seront la pièce maîtresse de l’inculpation lors du procès. C’est grâce à ces carnets que la police pourra déterminer le nombre de 11 victimes : 10 femmes et 1 garçon, qui sont classés dans une même colonne en regard de dates et heures qui correspondent aux dates et heures des meurtres. Y sont également consignées toutes les dépenses de Landru : de multiples achats de scies à métaux et des billets de train pour Gambais au départ de Paris : aller-retour pour lui et aller simple pour les dames.

 

Belin se rend à Gambais, dans une villa où il espère trouver 11 cadavres. Il n’en est rien. Seuls les cadavres de trois petits chiens sont retrouvés avec une corde au cou. Ces chiens appartenaient à sa dernière victime : Marie-Thérèse Marchadier. Ces cordes, assez spéciales, sont retrouvées un peu partout dans la villa et Belin en vient à former l’hypothèse que Landru étranglait ses victimes dans leur sommeil, au vu des heures nocturnes indiquées dans les carnets.

Autre élément inquiétant : des cendres pleines de débris humains (morceaux de dent, de petits os) sont retrouvées dans la cuisinière qui, étant de petite taille, ne laisse pas penser qu’on puisse y brûler un corps entier.

Un escalier menant de la cuisine à la cave dévoile une dalle de béton recouverte d’un tas de sable. Belin en déduit que la dalle servait à découper les corps et le sable à sécher le sang.

Le procès : fait de société, joie de la presse

 

En novembre 1921 s’ouvre le procès Landru après deux ans et demi d’instruction. C’est la première grande affaire criminelle depuis 1914. Les années de guerre où les affaires d’espionnage faisaient les gros titres ont lassé le public qui a maintenant soif d’affaires criminelles.

 

Ce qui retient beaucoup l’attention, c’est que Landru n’appartienne pas du tout au monde de la pègre. Qu’il s’agisse d’un homme éduqué, bien habillé, d’un " Monsieur " comme le susurrera une dame dans le dos de la romancière et journaliste Colette sur les bancs de la cour d’assises.

 

 

VOICI LANDRU ! C’est son entrée, et non celle des robes rouges et noires, qui met un peu de gravité dans cette salle petite, dépourvue de majesté, où l’on parle haut et où on s’ennuie parce que la Cour se fait attendre. C’est lui qui attire et retient tous les regards, lui, cent fois photographié, caricaturé, reconnu de tous et différent pourtant de ce qu’on connaît de lui. Voilà bien la barbe, la calvitie popularisée ; le sourcil crêpé, comme postiche. Mais cet homme maigre porte sur son visage quelque chose d’indéfinissable qui nous rend tous circonspects. […] Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n’est point humain. C’est l’œil de l’oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s’il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondable qu’on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l’y trouve pas. […] - Colette

Le procès prendra vite des airs de salle de vente avec les nombreuses pièces à conviction étalées : des perruques appartenant aux victimes, du mobilier Henri II que la police a retrouvé dans une remise à Clichy que possédait Landru. Et le clou du spectacle : la cuisinière où il aurait brûlé ses victimes, escortée par deux gendarmes, tel un accusé.

La cuisinière de Landru gardée par deux gendarmes
La cuisinière de Landru gardée par deux gendarmes © Tous droits réservés

Le Tout-Paris prend le train " Landru " qui fait la connexion entre Paris et Versailles pour venir s’amuser de ce procès. D’autres iront saccager la villa de Gambais. D’autres encore lui enverront des cartes, des mots doux, des photos de victimes possibles avec la mention " ravitaillement, provision de femmes ". Un soldat en permission ira jusqu’à lui écrire : " hommage à Landru, le tombeur des femmes, l’humanité reconnaissante "

Landru devient le vengeur du poilu en somme, il a remis la femme au foyer après la grande guerre. Cette femme qui réclamait le droit de vote et de travailler, qui donnait aux messieurs de retour du front le sentiment que leur sacrifice était bien vite oublié, leur pouvoir perdu au profit de celles qui avaient probablement mené joyeuse vie pendant qu’eux se prenaient des obus sur la tête. Landru devient une icône.

Il usera de cette popularité pour essayer d’éviter la guillotine et défiera sans cesse ses accusateurs de prouver sa culpabilité. En vain puisque le jury le déclarera coupable et le condamnera à mort.

 

Son nom, ses crimes, son procès rocambolesque, mais aussi les exploits des brigades du Tigre restent encore aujourd’hui ancrés dans la culture populaire française.

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