Un jour dans l'histoire

Langue française : le niveau de l’orthographe a-t-il baissé ? Pas si sûr d’après des linguistes

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Par Gérald Decoster via

Le français, cette belle langue, pleine de nuances et pleine de difficultés orthographiques… Son acte de naissance serait le discours prononcé en langue romane, par Charles le Chauve le 14 février 842, à Strasbourg, devant Louis le Germanique, son frère, et contre son autre frère, Lothaire 1er : une prise de parole qui fait partie des Serments de Strasbourg. Plusieurs siècles après cette date, l’usage de la langue française a été régulièrement critiqué. Mais pas vraiment à raison estiment les linguistes Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, auteurs du livre Le français va très bien, merci.

Dès 842, le français s’est construit, il s’est propagé en divers points de l’Europe, il a émigré avec la colonisation et s’est même exporté en Afrique du Nord, dans les Caraïbes, en Amérique du Nord, dans l’Océan Indien… Il a été jusqu’à il y a peu, une langue de cour : la reine Elizabeth II parlait un français parfait, son fils Charles III suit ses traces. Il est langue officielle dans 29 pays, l’une des langues officielles de l’Union européenne… et des Jeux olympiques.

Du fait de son étendue, il y a français et français comme l’expliquent les deux "linguistes atterrés", Arnaud Hoedt, de l’ULB et Jérôme Piron, de l’UCL, co-auteurs de Le français va très bien, merci, chez Gallimard, 2013.

Clôture du 18e Sommet de la Francophonie, Djerba, novembre 2022. Organisation internationale de la Francophonie.
Clôture du 18e Sommet de la Francophonie, Djerba, novembre 2022. Organisation internationale de la Francophonie. © Alex THARREAU/OIF

Invités par Laurent Dehossay, ils dénoncent l’idée d’une langue en danger car, le français : "… varie géographiquement, on a aujourd’hui entre 300 et 350 millions de francophones, c’est vraiment une langue mondiale et il varie également en termes de générations : le français des jeunes n’est pas le même que le français des personnes âgées. Le français varie sociologiquement aussi, on sait qu’on ne parle pas le même français à l’hippodrome de Vincennes ou au PMU… donc en gros, on a une variation permanente. Ce qui nous pose un problème c’est la permanente hiérarchisation de ces formes de français qui souvent s’appuient sur les fantasmes d’une langue qui serait parfaite, meilleure que les autres… Toutes ces formes sont plutôt appelées par les linguistes, des variations et pas des distinctions : la distinction et la variation ce sont des choses très différentes".

Français et anglais : une guerre froide ?

Il est souvent avancé que le français recule, pire, il s’appauvrit du fait de l’irruption de l’anglais en son sein, spoiler par exemple : "On dit spoiler, c’est-à-dire qu’on rajoute un E à la fin du mot pour en faire un verbe. Ça n’existe pas en anglais, donc c’est un processus morphologique, c’est-à-dire rajouter une désinence verbale. C’est un processus qui est purement français… c’est un mot français d’origine anglaise, c’est un emprunt, parce qu’on a emprunté à plein de langues, à plein de moments. Aujourd’hui personne ne va s’offusquer de la quantité d’italianisme dans la langue de la musique classique par exemple, on ne va pas chasser piano, soprano, alto. C’était une situation assez similaire, c’est-à-dire qu’à l’époque, l’italien était une langue dominante culturellement. C’est ce qu’on constate avec l’anglais : beaucoup de mots qui nous viennent de l’anglais s’accompagnent de nouvelles réalités, ils ne viennent pas remplacer un mot français qui n’existe pas et, en général, même quand il y a un mot français qui est assez proche, si on conserve les deux, on a en général une nuance".

Les membres de l’Académie française sont parmi les plus grands défenseurs de la langue de Molière… Hélène Carrère d’Encausse durant son discours d’entrée, 1991.
Les membres de l’Académie française sont parmi les plus grands défenseurs de la langue de Molière… Hélène Carrère d’Encausse durant son discours d’entrée, 1991. © Luc Castel/Getty Images

Il est parfois bon de revenir aux origines des mots. Spoiler vient de l’anglais spoile, gâcher, mais "plus de la moitié du lexique anglais est d’origine française : 'spoliare', c’est latin. Il est passé par le français et puis est passé en Angleterre, comme le mot 'management' qui vient de ménager en français donc en fait souvent c’est plutôt un prêté pour un rendu…".

Les jeunes ne savent plus écrire… vraiment ?

Dès 1909, l’écrivain et critique littéraire français Émile Faguet disait que les jeunes écrivaient mal…

C’est oublier qu’en France, comme en Belgique, le spectre éducatif des professeurs de français s’est considérablement étendu : argumentation, expression orale, littérature, histoire de la langue. Donc, "si vous ne faites que de l’orthographe pendant toute votre scolarité, vous aurez un niveau sans doute supérieur à celui d’aujourd’hui, mais il faut dire que quand on compare le niveau d’orthographe des jeunes aujourd’hui, c’est l’orthographe de tous les jeunes, alors qu’à l’époque de nos grands-mères, tous les jeunes n’allaient pas à l’école".

Entre mathématiques et émoticônes, les élèves savent encore écrire…

En comparant les résultats d’une dictée, Les arbres, de Fénelon, faite à la fin du 19e siècle et rééditée dans les années 1980, on se rend compte que, "le niveau a considérablement monté. Alors, on a continué à faire cette dictée tous les 7 – 10 ans, et là, on constate effectivement une certaine baisse de niveau. Mais si on va un peu plus loin dans l’analyse, on constate que ce sont plutôt des fautes moins graves qu’avant. Par exemple, quand vous prenez la dictée du 19e, les fautes très courantes c’est de mal couper les mots, on colle le déterminant, on colle deux mots ensemble. Ce type de faute là a plutôt disparu et ce qu’on constate ce sont des mots qui se prononcent de la même façon, qui sont écrits de la même façon, ce qui est quand même un peu moins grave".

Internet et réseaux sociaux, ennemis du français ?

Les nouveaux médias seraient-ils l’une des sources du déclin supposé du français ? "Non, les linguistes, aujourd’hui, sont épatés par ce qu’on appelle les nouveaux écrits dialogiques privés… Il faut savoir qu’avant l’avènement d’internet, la forme la moins formelle qu’on avait d’échange écrit, c’était la carte postale ou le post-it sur le frigo. Mais depuis internet, on peut dialoguer par écrit, ce qui n’existait pas avant, donc on a vraiment l’avènement d’une nouvelle langue qui est à la fois écrite et matinée d’oral et qui, en plus, s’est vue additionnée de toute une série de techniques graphiques comme les émoticônes, les émojis et les gifs – ou les giffes – et donc cette richesse s’additionne à tous les moyens d’expression des jeunes et des moins jeunes aujourd’hui".

Les francophones peuvent être fiers de leur langue : "l’amour de la langue, c’est aussi l’amour de ces multiples facettes, de son foisonnement et aussi la nécessité de la rendre accessible à tous, que tout le monde puisse avoir un outil 'comme un cheval à sa disposition' disait Nina Catach, cette grande linguiste, et qu’on puisse célébrer la diversité des usages".

Dans Déclic sur La Première, Jean-Marie Klinkenberg revenait également sur cette évolution de la langue française et sa variation permanente.

Le grand invité

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