Patrimoine

L’archéologie des conflits, une histoire empreinte d’humanité

L’archéologie des conflits permet de retracer l’histoire et le vécu des acteurs de la Grande Guerre notamment. Chaque trace retrouvée permet de mieux comprendre leur quotidien.

© Musée "Flanders Fields"/Ypres

A l'occasion des commémorations de l’Armistice de 1918 et du centenaire du soldat inconnu, nous nous intéressons à l’archéologie des conflits contemporains. Une discipline qui s’est développée voici une vingtaine d’années en Belgique et en France sur les champs de bataille.

L’archéologue va au plus près de l’intime, au plus près de la banalité de la vie quotidienne. Cette archéologie des conflits écrit des histoires de vie, de survie et de mort que l’on ne retrouve pas dans les livres d’histoire. Une série de reportages nous emmène dans la petite histoire oubliée de la grande histoire, de Ypres à l’Argonne, en passant par Tournai.

Ypres
Un champ de bataille sous les arbres

Ypres

Des vestiges de la guerre sur des clôtures

La plaine de Bellewaerde. Une campagne qui révèle bien des secrets.
La ville d’Ypres est tout près, bien visible de l’ancien champ de bataille.

La plaine et la petite crête de Bellewaerde. À l’horizon, Ypres. Tout ce territoire est un immense champ de bataille figé sous la terre. La surface a repris des allures de quotidien, mais pas le sous-sol. En longeant une simple clôture, on découvre des morceaux de rails, de petits trains du front, comme le montre la photo ci-dessous.

Pour ériger cette clôture, le fermier a utilisé un morceau de rail, et un goulot de jarre à rhum…
Pour ériger cette clôture, le fermier a utilisé un morceau de rail, et un goulot de jarre à rhum… © RTBF

Autre détail qui pourrait passer inaperçu sur cette clôture, c’est un goulot de jarre à rhum que buvaient les soldats…

Des vestiges de la Grande Guerre, apparemment, il n’y a qu’à se baisser pour en ramasser dans le coin. C’est pourquoi on peut en retrouver dans ce genre de construction que le fermier a édifiée en utilisant ce qu’il avait sous la main.

Les secrets des reliefs et des trous d’obus

La scène des combats telle qu’elle se déroulait à l’époque.

Un simple coup de pelle ici, et cinq centimètres plus bas, ce sont des vestiges de la guerre qui resurgissent. Voilà le paysage en 14-18 : des réseaux de tunnels de tranchées. Les Britanniques face aux Allemands.

Je travaille avec une truelle numérique !

Binger Stichelbaut et Simon Verdegem sont archéologues. Ils seront nos guides au cours de cette découverte d’une facette insoupçonnée des environs de Ypres.

Ils connaissent parfaitement le sous-sol sans avoir eu besoin de le fouiller : un cratère de dix mètres de large sous les ronces. Grâce aux milliers de photos aériennes d’époque et aux relevés au Lidar, cette technologie laser qui, embarquée dans un avion, dit tout des secrets des reliefs et des trous d’obus.

A l’œil nu, juste un coin de forêt.
Avec le Lidar, les cicatrices du passé se révèlent.
Binger Stichelbaut, Archéologue à l'Université de Gand.

"Avec le Lidar, on peut interpréter un paysage, on peut enlever les arbres, on peut voir ce qui se trouve sous les arbres sans faire des fouilles. Je suis un vrai archéologue, mais j’ai ma truelle digitale. Je travaille avec une truelle numérique !"

Rendre leur histoire aux disparus

D’autres archéologues fouillent, exhument, par exemple dans un tunnel particulièrement boueux. Parmi les trouvailles, un petit sac de cuir et son fermoir, protégés par l’humidité depuis plus de 100 ans.

Un petit sac de cuir et son fermoir protégés par l’humidité depuis plus de 100 ans.

Des bottes et même le pantalon d’un soldat allemand, ainsi que son médaillon touchant d’intimité. Des objets que des soldats ont emportés dans la mort.

Les bottes et le pantalon d’un soldat.
Les bottes et le pantalon d’un soldat. © Musée "Flanders Fields"/Ypres
Un médaillon ayant appartenu au même soldat.
Un médaillon ayant appartenu au même soldat. © Musée "Flanders Fields"/Ypres

On a pu rendre à la vie une histoire au-delà de leur mort.

L’archéologie raconte le quotidien de soldats que la grande histoire n’a pas écrit. Le cimetière de l’Irish Farm, à Ypres, c’est là que les corps des soldats du Commonwealth, redécouverts par les archéologues, sont réenterrés avec les honneurs militaires.

Le cimetière de l’Irish Farm.
Il comprend 753 tombes de soldats réenterrées avec les honneurs militaires.

Depuis 20 ans, on en a retrouvé 753. Des soldats de toutes les nationalités, 43 ont été identifiés. L’archéologue Simon Verdegem est le spécialiste de ces recherches autour des soldats retrouvés :

Simon Verdegem, archéologue, société Ruben Willaert.

"J’essaye autant que possible d’entretenir la mémoire. Afin de leur rendre leur identité, leur histoire. Même les inconnus ont encore une histoire au travers des faits historiques que nous avons trouvés. Même si on n’a pas retrouvé le nom, on a pu rendre à la vie une histoire au-delà de leur mort."

Cette proximité avec la mémoire toute proche fait de l’archéologue des conflits un archéologue à part, parce qu’il rencontre les familles et les descendants :

Simon Verdegem, archéologue, société Ruben Willaert.

"Cela crée aussi un lien à partir du moment où on les trouve, on travaille très intensément. On est très proche de ces restes humains, auprès de l’histoire qui se révèle. Comment sont-ils arrivés là ? Qui sont-ils ? Que s’est-il passé ? Pourquoi ont-ils disparu ?", nous raconte Simon.

Séquence JT 1930 du 12 novembre 2022

L'archéologie des conflits : Ypres

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Tournai
Un abri oublié

Tournai

Un endroit insoupçonné

C’est parti pour la descente…
C’est parti pour la descente… © RTBF

Nous restons en Belgique, mais cette fois-ci pour prendre la direction de la Wallonie et de la province du Hainaut. Et plus précisément dans la ville de Tournai.

Nous nous dirigeons vers les entrailles de la terre. Sur la place Crombez, en pleins travaux, des marches de brique apparaissent. C’est exactement le chemin que pouvaient emprunter les habitants de Tournai en cas d’alerte, dès 1943. Une lampe de poche est indispensable. L’obscurité et l’humidité saisissent.

Notre archéologue nous guide vers l’entrée de l’abri.
Une lampe-torche est indispensable.
Des galeries à angles droits, pour réduire l’impact d’une éventuelle explosion.
L'obscurité et l'humidité règnent dans ces galeries.

Michèle Dosogne, archéologue pour la Région wallonne commence à nous décrire les lieux : "C’est un ouvrage qui est construit en chicane avec des galeries qui se succèdent à angle droit, l’objectif étant de couper le souffle d’un projectile qui exploserait à proximité et donc limiter les pertes humaines. A la fois le souffle et puis le retour, le phénomène inverse par la suite."

Là, à portée de main, l’Histoire… L’œil de l’archéologue fait toute la différence :

Michèle Dosogne, archéologue pour la Région wallonne : "Ces éléments de remploi proviennent très probablement d'édifices dans les environs qui avaient déjà été bombardés."

"Idéalement, on imagine du béton, et c’est le cas notamment pour cette voûte. Par contre, tous les murs qui soutiennent la voûte, eux, sont construits en pierres. Ces éléments de remploi proviennent très probablement d’édifices dans les environs qui avaient déjà été bombardés."

Un passé explosif

Tournai a en effet été bombardée à maintes reprises, comme on le voit sur ces rares images d’archives ci-dessus, et il faut imaginer le bruit des sirènes. Cent personnes pouvaient trouver refuge dans cet abri.

Michèle Dosogne confirme : "Des gens venaient ici s’installer, que ce soit en journée, dans le noir en cas d’alerte, guidés par des bénévoles formés pour cela. Mais effectivement, ils venaient trouver abri ici."

Des banquettes de bois, constituées de planches sur des murets de briques, à peine abîmées par le temps.
Une citerne à même le sol pour constituer une réserve d’eau.
Le "petit coin".

Dans la quasi-obscurité, tout le monde prend place sur ces banquettes de bois, des planches sur des murets de briques à peine abîmées par le temps. Il y a également une citerne pour constituer une réserve d’eau, un petit coin pour un pot de chambre et une sortie de secours : une cheminée avec ses échelons de métal.

La sortie, une cheminée garnie de barreaux pour constituer une échelle.
Au bout du dispositif, le retour à la lumière.

À Tournai, il y a en tout dix abris de ce type. Cet abri en pleine guerre froide dans les années 50, reprend du service. On le voit ci-dessous sur cette carte postale. Là encore, on pose devant son entrée. On peut même y lire "Abri".

L’entrée de l’abri telle qu’elle existait en 1950.
L’entrée de l’abri telle qu’elle existait en 1950. © Archives E.Carpreau
L’entrée représentée sur une carte postale.
L’entrée représentée sur une carte postale. © Archives E.Carpreau
On posait devant l’entrée pour de jolies photos… Sur le coin gauche, on aperçoit la mention "Abri".
On posait devant l’entrée pour de jolies photos… Sur le coin gauche, on aperçoit la mention "Abri". © Archives E.Carpreau
Michèle Dosogne, archéologue pour la Région wallonne.

Dans les années nonante, on le remblaie et le voilà aux oubliettes… Mais son avenir à l’heure actuelle est toujours incertain : "Pour l’instant, il est possible qu’il puisse être conservé. Tout dépend un petit peu toujours du projet, des besoins, du type de travaux et d’aménagements qui vont avoir lieu."

Si vous passez aux abords de cette place Crombez en face de la gare à Tournai, vous pourrez apercevoir les barrières de protection pour situer au moins l’emplacement de cet abri oublié…

Séquence JT 1300 du 10 novembre 2022

Archéologie des conflits : Tournai

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

L'Argonne
Reconstituer le quotidien des soldats

L'Argonne

Une ville dans la forêt

L’Argonne est une région naturelle de la France, qui chevauche les départements de la Marne, des Ardennes et de la Meuse, à l’est du bassin parisien.
Au sein de l’Argonne, la forêt nous livre les traces de son passé.

C’est une région de forêts, d’étangs, de collines. Pas plus de 350 mètres d’altitude. Des villages, tous reconstruits après 1920. Nous sommes ici en Argonne, avec ses crêtes stratégiques et la mémoire de combats acharnés dès l’été quatorze. L’archéologue Yves Desfossés a exhumé les traces de ce passé douloureux, interrogeant le sous-sol, reconstituant le quotidien de soldats que la grande histoire n’a pas écrit. Il sera notre guide de la région :

Yves Desfossés, conservateur régional de l'archéologie en Champagne-Ardenne, spécialiste de l'archéologie de la Grande guerre.

"Donc là, on vient de rentrer dans la forêt d’Argonne, sur le côté Est. On est au milieu de la forêt, dans le sud du département des Ardennes, à la limite de la Meuse et de la Marne. Ici, on ne perçoit plus finalement que la présence du cimetière qui est installé par les Allemands très très rapidement. Alors c’est un petit cimetière. Je crois qu’ils sont un peu plus de mille, mais on ne perçoit plus le fait qu’à l’époque de 1914, fin quatorze à fin 1918, on est dans une ville, en fait !"

Des tombes de soldats dans la forêt de l’Argonne.
Des tombes de soldats dans la forêt de l’Argonne. © RTBF

Les militaires, finalement, ce ne sont que des civils, sous l’uniforme.

Partout, effectivement, les cicatrices de la Grande Guerre hantent le paysage dans cette forêt dense qui n’a cessé de revivre depuis 1918. Les souvenirs ont disparu, mais les bois conservent la mémoire des hommes des deux camps. Yves Desfossés nous raconte la genèse de cet endroit très particulier :

"On est dans un grand camp de repos allemand !", explique-t-il. "Il faut imaginer que le front est à peu près à huit kilomètres d’ici. On est dans ce qu’on appelle le camp du Borrieswald, donc la forêt de Monsieur Boris ! Et Monsieur Boris, en fait, était le chef d’Etat-major de l’unité au début de la guerre. Le but ici était de recréer une espèce de vie civile. Les militaires, finalement, ce ne sont que des civils, sous l’uniforme. On va par conséquent essayer de créer les conditions de cantonnement les plus agréables pour bien se reposer. Et puis surtout vivre dans des conditions qui changent de la vie au front. On va dès lors installer très rapidement une petite ville, qui va accueillir de 2000 à 3000 habitants et qui est parfaitement préservée et cachée par la forêt !"

Le camp du Borrieswald, au sein de la forêt d’Argonne, en 1916.
Le camp du Borrieswald, au sein de la forêt d’Argonne, en 1916. © Tous droits réservés

Le décryptage de l’archéologue

La forêt de l’Argonne regorge de traces du passé.
La forêt de l’Argonne regorge de traces du passé. © RTBF

Nous partons à la reconnaissance de ces lieux singuliers. Mais pour cela, il nous faut le regard affûté de l’archéologue qui peut lire le paysage de fosses et de bosses envahies de lierre, de ronces et peuplé de biches, de cerfs et de faons :

"Ici, vous avez typiquement l’emplacement d’une cabane.", raconte Yves Desfossés en plein milieu de la forêt. "On a creusé dans le talus pour dégager une plateforme qui fait une dizaine de mètres de long sur quatre ou cinq mètres de large. Cela correspond aux zones d’habitation. On a aussi les zones avec les douches, les étuves pour que les gens puissent nettoyer leurs vêtements. On a aussi une espèce de zone industrielle où on va stocker tout le matériel qui est nécessaire pour alimenter le front : les rouleaux de barbelés, le bois, le béton. Les camps, en fait, sont très bien installés."

Carte postale du camp de Borrieswald, 1916. Un amphithéâtre naturel avec des chemins à flanc de coteau qui accueillent des quartiers d’habitation.
Carte postale du camp de Borrieswald, 1916. Un amphithéâtre naturel avec des chemins à flanc de coteau qui accueillent des quartiers d’habitation. © Tous droits réservés

Tout ceci a l’air de découler d’une logistique bien calculée :

"On sent quasiment un geste architectural, c’est-à-dire qu’on va profiter, notamment pour le grand camp de repos, d’un amphithéâtre naturel où on va créer trois chemins à flanc de coteau, dans lequel on retrouve tous les emplacements des petites maisons en bois qui accueillaient une dizaine de combattants. Et donc, là, on le sait, il y a un peu plus de 150 maisons dont vous avez à peu près 1500 hommes qui stationnent sur le secteur."

Ici aussi, le Lidar a fait preuve de son utilité

Ce camp de repos allemand de 150 hectares a été repéré par des recherches avec un Lidar. Embarquée dans un avion, cette technologie laser dit tout de la topographie. Les archéologues interprètent les clichés et ensuite passent à la fouille. Yves Desfossés a ainsi mené des campagnes, découvrant l’organisation quotidienne du camp :

"Il y avait des secteurs sur lesquels on avait des questionnements. Et le fait d’avoir cette topographie extrêmement précise, jusqu’à voir un trou au sol de 25 cm de profondeur. Sur un plan à grande échelle, on arrive à se dire :"Ah ben là, finalement, je pense que c’était le bon secteur" et on veut aller vérifier telle fosse ou tel dépotoir pour voir si notre hypothèse est bonne et parfois, on a des surprises."

Au jour le jour

Selon Yves Desfossés, l’archéologie des conflits a son rôle à jouer parmi les autres disciplines de l’Histoire :

"C’est complémentaire, c’est-à-dire que l’archéologue, ce n’est pas la peine qu’il aille enfoncer des portes ouvertes qu’on connaît bien par l’historiographie, les archives, les choses comme ça. En revanche, il va apporter sa petite pierre. On va être plus dans le détail, plus dans la vie quotidienne. Et finalement, c’est là où on a le moins d’informations !"

Un chemin de fer au beau milieu des bois.
Un chemin de fer au beau milieu des bois. © RTBF

Autant de réalités concrètes sont ainsi détaillées : la cabane du dentiste, le cinéma, les écuries et même le tracé du petit train pour le ravitaillement…

Ce que l’on retrouve, ou pas, donne également toutes sortes d’indices sur les circonstances de l’époque, du lieu ou encore des protagonistes en présence :

"On sait que les Allemands ont des problèmes d’approvisionnement, notamment en cuir. Donc si vous voulez, là, il y a quand même 3000 Allemands qui vont stationner pendant plus de quatre ans. Si on a trouvé deux paires de chaussures complètes et surtout des bouts de cuir en fait, qui sont taillés dans tous les sens pour récupérer du cuir réutilisable, c’est tout. Par contre, les Américains, ils vont venir passer un bon mois. On a une fosse où on a 200 paires de chaussures américaines parce qu’on n’est pas dans la même économie de guerre. C’est-à-dire, moi j’ai l’impression qu’il y a un type qui est arrivé, il avait un camion de chaussures ; la première unité qu’il a croisée, il a dit : "Vous changez tous de chaussures !" et ils ont tout foutu dans un dépotoir. Et on retrouve ça après"

Un décor de carte postale

Carte postale du camp de Borrieswald, 1916.
Carte postale du camp de Borrieswald, 1916. © Tous droits réservés

Il était considéré comme le plus beau, le plus confortable.

Le camp de Borrieswald, en pleine guerre, a même été photographié pour en faire des cartes postales. Il était considéré comme le plus beau, le plus confortable. On y voit des soldats dans leur cabane, leur potager, des jardinières aux fenêtres, les officiers au mess : tables de bois, nappes blanches et service à table. Il y a même, sur une photographie de 1916, un soldat tiré à quatre épingles, serviette blanche sur le bras, pour le service.

Carte postale du camp de Borrieswald, 1916. On y aperçoit un soldat faire le service dans le camp, serviette au bras, comme dans un véritable restaurant.
Carte postale du camp de Borrieswald, 1916. On y aperçoit un soldat faire le service dans le camp, serviette au bras, comme dans un véritable restaurant. © Tous droits réservés

Les archéologues ont également retrouvé 90 kilos de vaisselle de faïence dans les ruines du mess des officiers et oubliés de tous depuis.

"Ici, nous sommes devant des tables où j’ai sorti en fait tout le vaisselier du mess des officiers, qui a été brisé suite à l’incendie du mess en 1918. Par exemple, là j’ai un bec verseur, certainement de cafetière. Puis il y a des choses en forme de coquille Saint-Jacques pour présenter sur la table."

La vaisselle et les verres brisés en disent long sur les habitudes alimentaires quotidiennes.
Un inventaire plutôt complet !

Mais il y a également beaucoup de débris de verre :

"Ça, c’est du verre qui a fondu suite à l’incendie du mess. On a ici une salière, des verres… de tous types. Ça va du verre ballon au petit verre avec un pied décoré pour l’apéritif ou les alcools forts. On a aussi tous les restes des couverts avec les couteaux. Voilà, ça permet de renseigner assez précisément les us et coutumes des utilisateurs du mess. On a aussi des éléments de charnière, pour notamment les portes et les volets qui garnissaient le mess. Et puis on a par exemple retrouvé des bouts de fonds en faïence à capsules pour bouteilles de bière. Elles ont une particularité, c’est qu’elles sont marquées aux armes du deuxième bataillon du 120ᵉ régiment de Lanvern, qui est en fait le dernier bataillon qui a occupé le camp avant que celui-ci ne brûle. En fait, chaque bataillon avait ses bouteilles consignées et pouvait les retrouver, ce qui donne une indication supplémentaire sur les derniers utilisateurs du camp."

Redonner une identité

Une barricade de tranchée.
En pleine tranchée, l’enfer d’un conflit qui, la plupart du temps, s’embourbait dans ces recoins encaissés du champ de bataille.

Des champs de blé et de betteraves à perte de vue : la Champagne. Sur une des crêtes, voici le site de la Main de Massiges. La ligne de front, les tranchées dès 1915. Les Allemands et 50 mètres plus loin, des réseaux de tranchées, des postes d’observation. Les face-à-face, les assauts, les tirs.

Avec seulement trois lettres visibles, on a pu reconstituer son nom complet.

Une association dégage le site. On s’y plonge, étreints par le passé, plus réel que jamais. Ici, les archéologues sont appelés parce qu’on y découvre des corps de soldats, ensevelis par l’explosion d’un obus ou inhumés avec les moyens du bord par les camarades d’infortune. Ici, Yves Desfossés a fouillé et redonné une identité à un soldat oublié depuis plus de 100 ans. Après de longues recherches il peut à présent raconter son histoire :

Redonner une identité, un visage et un nom aux acteurs du passé.
Redonner une identité, un visage et un nom aux acteurs du passé. © RTBF

"Il a été déséquipé. On a pris ses objets personnels et on l’a enterré. Et par un heureux hasard de circonstances, en fait, sa plaque d’identité, il l’avait fait monter sur une sorte de bracelet de montre. Elle était très corrodée, mais là encore, il a un nom assez simple et avec seulement trois lettres visibles, on a pu reconstituer son nom complet, qui était Albert Badur. Il est mort à l’âge de 21 ans. Il était originaire d’un petit village à côté de Sainte-Mère-Eglise, en Normandie. Et en 2013, on a retrouvé son corps et il a été inhumé de nouveau, de même que tous les inconnus français, dans une nécropole de Minaucourt, qui est un peu plus loin. En fait sa famille n’a pas souhaité récupérer sa dépouille. Sa lointaine cousine avait déclaré : Il sera mieux à côté de ses compagnons de combat."

Un archéologue à la rescousse

Depuis 1935, les autorités françaises ont arrêté de chercher les corps des soldats. Les grands travaux du TGV, des constructions d’autoroutes ou de zonings industriels ont, depuis 30 ans, nécessité une archéologie préventive. C’est à ce moment-là que l’archéologie de la Grande Guerre s’est développée. Des centaines de milliers de soldats gisent, encore oubliés. Deux jours avant notre rencontre, Yves Desfossés est appelé. Les restes d’un soldat allemand apparaissent sous le bras d’une pelleteuse :

Yves Desfossés, conservateur régional de l’archéologie en Champagne-Ardenne, spécialiste de l’archéologie de la Grande guerre.
Yves Desfossés, conservateur régional de l’archéologie en Champagne-Ardenne, spécialiste de l’archéologie de la Grande guerre. © Tous droits réservés

"Il s’agit d’un soldat que j’ai été amené à fouiller mardi dernier dans l’Aisne. Il a quasiment tout son équipement. Vous avez les restes du masque à gaz avec encore le cuir un peu conservé. On savait qu’il y avait un sac à dos dans la fosse parce qu’on a retrouvé des éléments de sacs à dos. Il avait encore son ceinturon, ses cartouchières et sa baïonnette accrochée au côté ! Pour ce qui est du ceinturon, le cuir, souvent en présence de pièces métalliques, se conserve assez bien. Et puis on a finalement tout ce qu’il pouvait porter alors, notamment, ce sont les restes des boutons de sa vareuse. Puis il y a la couronne prussienne gravée sur le bouton, et aussi il y avait un peigne. Vous voyez, il y a plein d’éléments. Il y a une petite chaînette avec je ne sais pas, peut-être un chapelet et il y avait les restes de sa plaque d’identité, mais qui était en aluminium et très corrodé qui malheureusement ne sera pas exploitable. Il avait deux gourdes avec lui. Donc on a tous ces éléments qui permettent de mieux préciser le contexte de disparition de l’individu."

Depuis vingt ans, l’archéologie dite des conflits recherche les interstices de la vie et de la mort, dessine et écrit l’histoire des hommes et des femmes dans la banalité de leur quotidien de guerre. Un travail avec la mémoire, la vie et rien d’autre…

Transversales sur l'archéologie des conflits, du 7 novembre 2022

Transversales

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous