Chroniques

L’archipel de la démocratie

Les coulisses du pouvoir

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Par Bertrand Henne

40% des Belges pensent que le pays serait mieux géré si le pouvoir était aux mains d’un seul leader. C’est l’un des chiffres marquant de notre sondage Bye Bye la démocratie réalisé en collaboration avec La Libre et l’institut Kantar. Cette étude montre que la démocratie représentative fait de moins en moins consensus mais que l’opinion est très divisée quant aux solutions à apporter.

Leader unique ?

D’abord les résultats du sondage. A la question notre société serait-elle mieux gérée si elle était gérée par un seul leader ? 60% des Belges disent non, 40% oui. Un chiffre interpellant, mais un seul leader c’est quoi ? Ce n’est pas nécessairement Poutine. En France la cinquième république fonctionne avec l’élection d’un leader unique : le président. Leader unique ne signifie pas dictateur.

A la question quel est le moyen le plus efficace de diriger le pays ? Seuls 4.2% des sondés répondent un dictateur. 34% des gens pensent encore que le système de coalition de plusieurs partis est le meilleur. Après c’est l’archipel de la démocratie. 18% veulent une assemblée citoyenne, 16% veulent un parti unique (ce qu’on a plus connu en Belgique depuis 1958 et Gaston Eyskens), 14% un panel d’expert, 12% des référendums.

Consensus dans l’insatisfaction

La démocratie est donc encore majoritaire en Belgique. Mais quelle démocratie ? Le politologue Yasha Mounk dans un essai célèbre Le peuple contre la démocratie montre que la démocratie peut être libérale (élection + respect des droits) ou illibérale (élections sans respect des droits comme en Hongrie). Notre sondage montre que l’opinion hésite entre ces deux pôles avec une palette de réponses possibles.

Il y a un consensus dans l’insatisfaction face au système actuel. 63% des sondés ne croient plus que les ministres et gouvernement peuvent améliorer leur vie quotidienne. 74% estiment n’avoir pas leur mot à dire sur ce que fait le politique. Mais comment être entendu ? Là commence l’archipel. On note par exemple, une très nette différence nord sud. Au nord on croit encore aux partis, à la représentation politique. 40% des Flamands croient aux coalitions, 18% un parti unique total 58%.

En Wallonie l’idée d’une représentation par les élections est minoritaire. Ensemble les solutions assemblées citoyenne, référendum, panel d’experts sont majoritaires. Signe donc d’une crise de confiance dans les représentants politiques plus importante au sud qu’au nord.

Démocratie directe ou non

Pour faire fonctionner une démocratie plus directe, il faut s’impliquer, les Belges veulent-ils le faire ? Question importante, puisqu’on observe que ces expériences citoyennes sont généralement le fait d’une minorité motivée, mais qui n’offre pas le même niveau de légitimité que l’élection. Les consultations autour du plan de mobilité Good Move à Bruxelles le prouvent assez bien.

Pourtant les sondés répondent qu’ils sont prêts à s’impliquer. 60% au niveau communal, moins au niveau régional et fédéral ou on tombe à 40%. Des chiffres malgré tout étonnements élevés. Il faut évidemment voir ce qu’on entend par implication. Passez deux mois dans une commission citoyenne à réfléchir à la question des droits d’auteur au sein du RGPD ce n’est pas la même chose que s’impliquer par un vote lors d’un référendum, par exemple.

Paradoxe de l’individu en démocratie

Difficile, il faut bien le dire, de tirer une conclusion évidente de tout ça. Ce qui semble confirmé ici c’est une défiance de plus en plus marquée pour la représentation en démocratie. Les causes sont multiples, ce n’est pas l’objet de cette chronique. Mais notons que cette crise de confiance dans la représentation est marquée par un immense paradoxe quasiment indépassable.

Il y a une insatisfaction généralisée : "je ne suis pas entendu", "ma voix ne porte pas". Nous voulons, et c’est bien légitime, que nos opinions soient mieux représentées. Or nos opinions sont de plus en plus diverses et pluralistes. C’est parce qu’on veut être entendu dans nos différences que nous votons pour des partis différents qui sont obligés à des compromis de plus en plus difficiles. Et c’est parce qu’ils font ce qu’on leur demande, des compromis, que nous les reconnaissons de moins en moins et avons moins confiance.

Une partie d’entre ceux qui n’ont plus confiance souhaite donc un retour à un parti unique ou à un leader unique. Mais comment un parti unique pourrait-il représenter mieux le pluralisme de notre société et recréer de la confiance en particulier envers ceux qui n’ont pas voté pour ce parti ? Une autre partie de la population qui n’a plus confiance souhaite des référendums, des panels d’experts ou des assemblées citoyennes. Mais comment des citoyens ou des experts pourraient-ils arriver à des compromis plus satisfaisants que des représentants élus et recréer de la confiance en particulier pour ceux qui veulent un parti unique ?

L’illusion du peuple

Démocratie autoritaire ou démocratie citoyenne sont pourtant face à une même illusion. L’illusion que le pluralisme et les conflits sont produits par la représentation et les élus. En gros, le système représentatif est le problème et en changer est la solution. Cette illusion s’exprime de deux manières. Dans le premier cas la limitation forcée de la représentation par un régime de leader ou de parti unique. Dans le deuxième cas la limitation forcée de la représentation des élus par la mise en place de panels, d’assemblées non élues et de référendums.

Une partie de ces idées pourraient venir renforcer un jour la démocratie, le système représentatif étant par nature imparfait. Mais il faudra d’abord se méfier de cette illusion que les conflits sont créés par la démocratie représentative et ne sont pas déjà là dans la société. Comme si le peuple n'était pas politique, comme s'il n'était pas traversé d'intérêts collectifs divergents et potentiellement irréductibles. Sinon, parti unique, référendum ou tirage au sort citoyen, on risque de renforcer l’archipel et de déforcer encore plus la fonction première de la démocratie : transformer nos conflits en compromis.

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