Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre, de Clarice Lispector, traduit du portugais par Aurélie Tyszblat
Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre,
Il m’est arrivé de perdre un amour pour l’avoir caché.
Il m’est arrivé de serrer les mains de quelqu’un par peur
Il m’est arrivé d’avoir peur au point de ne plus sentir mes mains
Il m’est arrivé de faire sortir de ma vie des personnes que j’aimais
Il m’est arrivé de le regretter
Il m’est arrivé de pleurer des nuits durant,
jusqu’à trouver le sommeil
Il m’est arrivé d’être heureuse au point de ne pas parvenir à fermer les yeux
Il m’est arrivé de croire en des amours parfaites
Puis de découvrir qu’elles n’existent pas.
Il m’est arrivé d’aimer des personnes qui m’ont déçue.
Il m’est arrivé de décevoir des personnes qui m’ont aimée
Il m’est arrivé de mentir et de m’en vouloir ensuite,
de dire la vérité et de m’en vouloir aussi.
Il m’est arrivé de faire semblant de me moquer de personnes que j’aimais
avant de pleurer plus tard, en silence dans mon coin,
tant j’avais ri.
Il m’est arrivé de casser des assiettes, des verres et des vases, de rage.
Il m’est arrivé de ressentir le manque de quelqu’un sans jamais le lui dire.
Il m’est arrivé de crier quand j’aurais dû me taire, de me taire quand j’aurais dû crier.
Il m’est arrivé d’inventer une fin heureuse à des histoires pour donner de l’espoir à ceux qui n’en avaient plus.
Il m’est arrivé de trop rêver, au point de confondre le rêve et la réalité…
Je suis déjà tombée un nombre innombrable de fois en pensant que je ne me relèverais pas.
Je me suis relevée un nombre innombrable de fois en pensant que je ne tomberais plus.
Il m’est arrivé d’appeler quelqu’un pour ne pas appeler celui que je voulais appeler.
Il m’est arrivé de courir après une voiture parce qu’elle emmenait celui que j’aimais.
Il m’est arrivé d’appeler maman au milieu de la nuit en m’échappant au milieu d’un cauchemar.
Mais elle n’est pas apparue et le cauchemar fut pire encore.
Il m’est arrivé de donner à des proches le nom d’ami et de découvrir qu’ils ne l’étaient pas.
D’autres en revanche, que je n’ai jamais eu besoin de nommer m’ont toujours été et me seront toujours chers.
Ne me donnez pas de vérité,
parce que je ne souhaite pas avoir toujours raison.
Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi
parce que je vais suivre mon cœur !
Je ne sais pas aimer à moitié,
je ne sais pas vivre de mensonges,
je ne sais pas voler les pieds sur terre.
Je suis toujours moi-même mais je ne serai pas toujours la même !
J’aime les poissons les plus lents, les boissons les plus amères, les drogues les plus puissantes, les idées les plus folles, les pensées les plus complexes, les sentiments les plus forts.
Mon appétit est vorace et mes délires sont les plus fous.
Vous pouvez même me pousser du haut d’un rocher, je dirai :
-et alors ?
J’adore voler !
Les mots de Laurence Vielle :
Ne me donnez pas de vérité,
parce que je ne souhaite pas avoir toujours raison.
Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi
parce que je vais suivre mon cœur !
Quelle force dans ces quelques vers et dans tout ce poème !
Jusqu’il y a quelques semaines, je ne connaissais pas Clarice Lispector.
Ce que je découvre m’émerveille.
Clarice Lispector est une femme de lettres brésilienne. Née en 1920 de parents juifs à Tchetchelnyk, un petit village d’Ukraine et morte le 9 décembre 1977 à Rio de Janeiro, elle est reconnue internationalement pour ses romans novateurs. Elle est également une grande nouvelliste et une journaliste de renom, ayant assuré une chronique nationale de façon régulière.
Bien que le mot écrivain ait un féminin en portugais, Clarice Lispector refusa toujours son utilisation, assurant "appartenir aux deux sexes".