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Laurence Vielle

Laurence Vielle lit un extrait d’un Poème tenu secret de Caroline Lamarche

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0Par Laurence Vielle

Laurence Vielle nous dévoile un poème inédit de la poétesse Caroline Lamarche.

Autrice associée au Théâtre National Wallonie-Bruxelles, romancière, poétesse, chroniqueuse, Caroline Lamarche est toutes ces choses, et bien plus. L’artiste belge reçoit le Prix Goncourt de la nouvelle en 2019 pour son recueil Nous sommes à la lisière. En 2020, la Fédération Wallonie-Bruxelles couronne l’ensemble de sa carrière du Prix quinquennal de littérature.

Née à Liège le 3 mars 1955, elle passe l’enfance dans les Asturies en Espagne mais aussi en région parisienne. A 18 ans, elle fait ses études supérieures de philologie romane en Belgique. Elle enseigne le français et se lance dans l’écriture, dans les années 1990. Depuis, l’autrice a signé plus d’une dizaine d’ouvrages. Mais elle écrit aussi des fictions et des documentaires radiophoniques.

Laurence Vielle vous propose un texte inédit de la poétesse, invitée à la Nuit de la Poésie à la Maison Poème ce mardi 21 mars.

Extrait d’un Poème tenu secret de Caroline Lamarche, lu par Laurence Vielle :

Mon cher petit homme

Que j’appelle mon mari

Nous nous sommes encore

Disputés cette nuit

Surtout

Je ne rêve plus de toi

Je rêve que toute seule

Je dois pousser ta voiture en panne

Et toute seule

Conduire les enfants à l’école en bateau sur une mer déchaînée

Et toute seule

Réclamer l’échange d’une robe

Que tu avais choisie pour me faire une surprise

Une robe rouge fluo et blanc virginal

Faussement originale

Très chère et très inadéquate

Et toute seule

Pleurer toutes les larmes de mon corps

Car le gérant du magasin de prêt-à-porter féminin

A décidé une fois pour toutes

Que je ne pourrai jamais jamais

Échanger cette robe

Qui est robe de putain

Et de bourgeoise

Comme il sied aux mal mariées.


 

Avant tu me disais qui tu aimais

Ainsi je participais un peu

À ta vie de mari volage

Je disais à mes amies

J’ai de la chance

Jamais je ne serai

Jalouse d’une autre femme

Car mon mari aime les garçons.


Quel couple original

Quelle union admirable

Disait-on avec effroi

Combien ont tenu bon

Dans cette situation ?


 

Je disais moi

Nous sommes plus forts et plus malins

Que les autres

Nous allons à l’essentiel

Tout le monde ferait bien

De faire la même chose

Au lieu de perdre son énergie

À couper les cœurs, les maisons, les chiens et les enfants en deux

Sans compter le cœur des grands-parents

Qui voudraient bien

Vieillir en paix.


Parfois ton aimé venait

À la maison avec des fleurs pour moi

Ou des bonbons

Toujours ces garçons avaient pour moi des égards

J’avais un pouvoir

J’aurais pu les chasser

J’aurais pu empêcher

Qu’ils ne se couchent avec toi dans notre lit

Quand nos enfants étaient avec moi à la plaine de jeux


Un jour, l’un d’entre eux m’a appris

Comment me maquiller

Un autre jour celui qui était pianiste

M’a demandé

qu’est-ce que tu fais ici

À quoi tu sers

Peut-être attendait-il que je dise

Je sers de brave mère, de brave sœur,

De brave gardienne de foyer

À mon mari

Ou peut-être voulait-il dire

Tout simplement

" Dégage ".


L’Allemand, lui, voulait que chaque week-end

Mon mari vienne le rejoindre en Allemagne

Et quand ma belle-mère téléphonait

Je répondais :

Votre fils est parti au supermarché

Et ma belle-mère s’étonnait

Mon fils, pourquoi est-ce toujours toi

Qui doit faire les courses le week-end ?

Que fait ta femme ?


Aujourd’hui tu ne vas plus en Allemagne

Tu ne ramènes plus de garçons à la maison

Tu as donc des égards

Mais tu ne me dis plus rien

Tu pars

Tu vas faire une course, dis-tu

Et puis tu dis aller voir Pablo ou Christian

Comme si je les connaissais depuis toujours

Mais tu ne me dis rien d’eux

Tu ne me les présentes pas

Tu ne me dis pas comme avant

Avec ton air radieux d’éternel petit garçon

Devant un arbre de Noël qui clignote joyeusement

Sans jamais jamais faiblir

Si tu savais comme il est beau

Il est avocat

Il est étudiant en philosophie

Il roule en Porsche

Il a sa propre marque de vêtements

Il dessine des cravates

Il aimerait lire tes livres

C’est un intellectuel

Il prend de la cocaïne

Mais je n’y touche pas

Je te promets

Et je prends toujours

Mes précautions tu sais

 

Non, tu ne me dis plus jamais ça

Tes garçons n’ont plus de visage

Ils ont une queue, ça je sais

Et quand je proteste tu réponds

Je ne peux pas faire autrement.

 

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