Extrait d’un Poème tenu secret de Caroline Lamarche, lu par Laurence Vielle :
Mon cher petit homme
Que j’appelle mon mari
Nous nous sommes encore
Disputés cette nuit
Surtout
Je ne rêve plus de toi
Je rêve que toute seule
Je dois pousser ta voiture en panne
Et toute seule
Conduire les enfants à l’école en bateau sur une mer déchaînée
Et toute seule
Réclamer l’échange d’une robe
Que tu avais choisie pour me faire une surprise
Une robe rouge fluo et blanc virginal
Faussement originale
Très chère et très inadéquate
Et toute seule
Pleurer toutes les larmes de mon corps
Car le gérant du magasin de prêt-à-porter féminin
A décidé une fois pour toutes
Que je ne pourrai jamais jamais
Échanger cette robe
Qui est robe de putain
Et de bourgeoise
Comme il sied aux mal mariées.
Avant tu me disais qui tu aimais
Ainsi je participais un peu
À ta vie de mari volage
Je disais à mes amies
J’ai de la chance
Jamais je ne serai
Jalouse d’une autre femme
Car mon mari aime les garçons.
Quel couple original
Quelle union admirable
Disait-on avec effroi
Combien ont tenu bon
Dans cette situation ?
Je disais moi
Nous sommes plus forts et plus malins
Que les autres
Nous allons à l’essentiel
Tout le monde ferait bien
De faire la même chose
Au lieu de perdre son énergie
À couper les cœurs, les maisons, les chiens et les enfants en deux
Sans compter le cœur des grands-parents
Qui voudraient bien
Vieillir en paix.
Parfois ton aimé venait
À la maison avec des fleurs pour moi
Ou des bonbons
Toujours ces garçons avaient pour moi des égards
J’avais un pouvoir
J’aurais pu les chasser
J’aurais pu empêcher
Qu’ils ne se couchent avec toi dans notre lit
Quand nos enfants étaient avec moi à la plaine de jeux
Un jour, l’un d’entre eux m’a appris
Comment me maquiller
Un autre jour celui qui était pianiste
M’a demandé
qu’est-ce que tu fais ici
À quoi tu sers
Peut-être attendait-il que je dise
Je sers de brave mère, de brave sœur,
De brave gardienne de foyer
À mon mari
Ou peut-être voulait-il dire
Tout simplement
" Dégage ".
L’Allemand, lui, voulait que chaque week-end
Mon mari vienne le rejoindre en Allemagne
Et quand ma belle-mère téléphonait
Je répondais :
Votre fils est parti au supermarché
Et ma belle-mère s’étonnait
Mon fils, pourquoi est-ce toujours toi
Qui doit faire les courses le week-end ?
Que fait ta femme ?
Aujourd’hui tu ne vas plus en Allemagne
Tu ne ramènes plus de garçons à la maison
Tu as donc des égards
Mais tu ne me dis plus rien
Tu pars
Tu vas faire une course, dis-tu
Et puis tu dis aller voir Pablo ou Christian
Comme si je les connaissais depuis toujours
Mais tu ne me dis rien d’eux
Tu ne me les présentes pas
Tu ne me dis pas comme avant
Avec ton air radieux d’éternel petit garçon
Devant un arbre de Noël qui clignote joyeusement
Sans jamais jamais faiblir
Si tu savais comme il est beau
Il est avocat
Il est étudiant en philosophie
Il roule en Porsche
Il a sa propre marque de vêtements
Il dessine des cravates
Il aimerait lire tes livres
C’est un intellectuel
Il prend de la cocaïne
Mais je n’y touche pas
Je te promets
Et je prends toujours
Mes précautions tu sais
Non, tu ne me dis plus jamais ça
Tes garçons n’ont plus de visage
Ils ont une queue, ça je sais
Et quand je proteste tu réponds
Je ne peux pas faire autrement.