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Laurence Vielle lit "Une pluie d'oiseaux" de la poétesse Marielle Macé

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Par Laurence Vielle

Ce sont les mots de l'historienne de la littérature et poétesse Marielle Macé que Laurence Vielle interprète dans sa nouvelle capsule vidéo. 

Une pluie d’oiseaux (extrait) - Marielle Macé
éditions Corti 2022

C’est un temps bizarre où les oiseaux,

qui pourtant disparaissent, reviennent :

on y pense plus souvent, on en parle davantage, on tend l’oreille,

on tente de nouvelles conversations, on se cramponne à leurs bienfaits, on les regrette déjà. Comme si on essayait de les entendre mieux au moment même où ils s’en vont.

Car il pleut des oiseaux, il en tombe même de tous les côtés;

sur les plages, les champs, sous les lignes à haute tension,

dans nos oreilles pendant le confinement…

Parfois, c’est comme si les oiseaux pendaient du ciel

et s’étaient mis à voler en " sens averse "

 et ça nous fait pleuvoir avec eux;

ça nous plante l’extinction à l’intérieur;

ça nous dit que nous dépendons de ce qui tombe,

que nous ne tenons parfois qu’à ce fil.

Et c’est un tout nouveau rendez-vous avec l’oiseau.

Les oiseaux sont des voisins  mais des voisins farouches

les oiseaux nous touchent mais sans que l’on puisse tout à fait les atteindre.

les oiseaux apparaissent et disparaissent.

Les oiseaux sont beaux, si beaux, si merveilleusement beaux.

les oiseaux façonnent le printemps et le font advenir

Les oiseaux portent le monde sur leur dos, et la vie au bec.

Les oiseaux offrent une poésie ténue, comme des piaillements,

une joie prise à leur propre ivresse d’être.

Parler oiseaux fait respirer,

une fête verbale ouverte par eux dans nos propres phrasés.

Si grand est le besoin d’oiseaux.

Or voici que les oiseaux tombent, sur des sols pollués,       

dans un présent très inquiétant.

Oiseaux poubelles, oiseaux sous perfusion de modernité,

comme les mouettes d’Argentine qui poursuivent les passants

et déchiquettent à coup de bec les sacs d’ordures.

Les oiseaux sont ces ordures, les oiseaux sont le paysage abîmé.

On leur ouvre le ventre,  on regarde notre pourriture dans un miroir. Il y a quelque chose de pourri dans notre manière de traiter les oiseaux. 

Entendre les oiseaux ne plus chanter,  c’est sentir notre puissance de saccage, notre inquiétude et notre désorientation.

Ces oiseaux qui s’éteignent, ce sont des proches qui s’en vont,

des voisins qui ne se montrent plus,  des parents qu’on a perdus de vue et dont on est en deuil.

Qu’est-ce que ça fait vraiment au monde que les oiseaux donnent de la voix ou qu’ils se taisent ? Qu’est-ce que ça fait aux villes, au temps, aux rythmes, au ciel, aux eaux, aux autres ? Qu’est-ce ce que ça nous fait et qu’est-ce que ça nous fait faire ?

La vulnérabilité nouvelle des oiseaux nous donne des raisons de converser, vivre avec, accueillir ceux qui n’étaient pas admis jusqu’alors au grand banquet des vivants, partager un milieu         et s’entre-tenir.

La vulnérabilité nouvelle des oiseaux nous fait plonger plus profond dans la parole et nous donne des raisons d’affirmer que parler pousse dans le monde et fait repousser la vie jusque sur les terrains les plus secs. Sous une pluie d’oiseaux.

Une pluie d’oiseaux  dans la parole.


Le mot de Laurence Vielle

Marielle Macé née en 1973 est une historienne de la littérature et essayiste française. Et une poète.

Je l’ai rencontrée il y a peu sur l’île de la Giudecca à Venise. Elle regardait une mouette qui se protégeait de la chaleur en enfouissant sa tête sous l’aile. Il était à peu près midi. Elle nous a emmenés dans un restaurant presque clandestin, aux plats distillés au compte-goutte à ceux qui s’asseyent là. Un endroit d’où l’on voit Venise, les oiseaux. La lagune. Les bateaux. Nous y avons bu à son anniversaire. Et nous avons parlé un moment des oiseaux qui tombent du ciel dans notre monde qui explose de chaleur par notre démesure humaine. J’ai savouré " une pluie d’oiseaux " qui ne ressemble à aucun autre essai. Réflexion profonde, parcours inédit et merveilleux dans les chemins du poème, écriture rigoureuse, ciselée, méticuleuse, généreuse et à fleur de peau. Alors je me suis dit, oui, c’est un essai, et c’est un poème. Je me suis prise au jeu de vous faire traverser ce livre immense en quelques lignes, en quelques phrases de Marielle Macé -avec son accord- phrases volées par-ci par-là à cette lumineuse pluie d’oiseaux.

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