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Lazza Gio : “Ça ne m’intéresse pas du tout d’être de niche”

© Mélanie Musisi

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Par Diane Theunissen

Il est parfois difficile de faire la distinction entre les styles de musique, et encore plus de cantonner les artistes à un genre particulier. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti en écoutant la musique de Lazza Gio, véritable électron libre délicieusement inclassable. Cloud rap, emo rock, breakcore ou encore R&B, l’artiste bruxelloise navigue entre les styles et ne recule devant rien. Rendez-vous ce soir à la Fifty Session pour découvrir ce talent brut !

Salut Gio ! Pour commencer, peux-tu me parler des éléments qui caractérisent ta musique ? 

La question “que fais-tu comme genre de musique”, c’est dépassé. Aujourd’hui, si tu scrolles sur ton feed Instagram, t’es influencé·e par tout. Tu deviens un “j’y fous tout” de tout (rires). Moi, clairement, je suis un “j’y fous tout” de tout ce que j’ai écouté : ça va du breakcore à l’emo-rock. J’avais jamais vraiment l’assiduité pour être dans le “vrai rock” donc j’étais dans l’emo rock : Avril Lavigne, Sum 41, Blink-182, etc. Je suis encore un peu un enfant donc j’ai encore ces références-là ! Ma maman vient du Kenya donc il y a beaucoup cette culture afro du R&B aussi. J’ai aussi passé énormément de temps à la médiathèque à La Monnaie : je faisais vraiment le rat de médiathèque, j’essayais de chopper des choses qui pourraient colorer le projet. Je me suis prise d’amour pour le montage, et un style musical comme le breakcore, c’est vraiment ça. Des groupes comme The Books, par exemple, qui n’ont que des albums avec des fragments de textes et des bouts collés ensemble, je trouve ça magnifique. Je pense que j’ai tout ça comme influences : le rap, le hiphop, le R&B, l’emo rock, et le death metal. Tout ça est condensé dans un projet qui se veut la balle au centre. Un projet qui est pop. Ça ne m’intéresse pas du tout d’être de niche. 

Ton projet n’aurait sans doute pas été qualifié de “pop” il y a cinq ou ou dix ans. Maintenant, c’est possible. Qu’en penses-tu ?

C’est une remarque très pertinente. Aujourd’hui, on passe notre temps à scroller sur Instagram et à entendre plein d’influences. On est des éponges, on absorbe les choses, on absorbe les styles de musique. C’est pour ça que ça n’a plus aucun sens de dire que tu fais du rap ou que tu fais du rock ; c’est comme le fait de demander si t’es un mec ou une meuf, si t’es lesbienne ou si tu l’es pas, ça n’a plus de sens. Ce qui importe c’est que tu marches, que tu respires et que potentiellement que tu puisses vivre un peu longtemps. 

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Tu mentionnes beaucoup les réseaux sociaux. Est-ce qu’ils t’inspirent ? Comment se développent tes idées ? 

Évidemment ! La façon dont tu reçois des réponses ou alors dont tu communiques avec les personnes avec lesquelles tu interagis, c’est fragmenté. Souvent, je me suis nourrie de fragments de choses qui étaient écrites par mail, sur insta, etc. C’est un bout de ce que tu peux avoir en réel. Mais ça fige les choses, étant donné que c’est par écrit. Moi, j’ai cette méchante habitude de supprimer tout ce qui ne me plait pas. Donc j’ai énormément de conversations supprimées, donc j’ai énormément de choses dont je ne me rappelle pas étant donné que j’ai décidé de ne pas en parler. Donc pour répondre à tes questions : oui, ça joue un rôle énorme sur la façon dont j’écris ou sur comment j’envisage les choses. Après, je suis jeune mais je ne suis pas assez jeune que pour avoir été que confrontée à ce genre de communication-là. Je suis née en 1997, je n’ai donc pas directement été sur TikTok (…) J’ai un espèce de dossier rempli de stories qui sont prises hors de leur contexte, je fais des screen shots. Tu peux discuter avec une personne qui va te dire “je ne sors pas ce soir”, dans le flux de votre conversation c’est anecdotique. Mais si tu le cadres et que tu le postes, ça évoque tellement de choses différentes pour les gens, selon leur expérience, leur mood ou même d’où ils viennent. 

Ta connexion aux mots est assez intéressante. Tu as d’ailleurs remporté le concours Du F. dans le texte cette année. Quel impact cette expérience a-t-elle eu sur ton projet ?

La seule raison pour laquelle j’ai fait ce concours, c’est parce qu’il y avait 10000€ à la clé. Il faut savoir qu’à l’époque je n’avais pas un sou et que j’avais besoin de matériel et d’opportunités. Je me suis dit : pourquoi pas ? (…) J’arrivais avec un projet qui était hyper imparfait – et qui l’est encore aujourd’hui –, complètement auto-produit. Mais ce qui est ressorti de ça c’est que je me suis battue. J’ai porté fièrement mon projet imparfait. J’ai rencontré des gens supers. Je n’ai pas juste remporté le premier prix : ce qui est intéressant avec le F dans le Texte, c’est que tu remportes plein de résidences. Plein de choses pleines de sens. Par exemple, ça m’a donné l’occasion d’aller en résidence à la Clairière, et quand j’y suis allée j’ai rencontré le gars qui est à l’initiative du lieu. On s’est liés d’amitié, on se parle tous les jours. Encore la semaine dernière, j’étais à Liège pour une résidence scénique. J’aime bien me dire que dans n’importe quelle interaction sociale, il y a quelque chose à tirer. Il faut y aller, surtout quand c’est offert ! 

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Quels sont tes plans pour 2023 ?

L’année prochaine, je vais faire un album ou un EP – ça dépend de ma volonté (rires) – pour un label français. Ça s’appelle Promesses. J’ai également eu plusieurs rendez-vous avec La Belle Entreprise et Maison Rouge à Paris. Je ne suis absolument pas contre, mais vu que j’ai bossé en solo pendant longtemps, je sais aussi fièrement ne pas me faire séduire par tout ce qui bouge.

Comment ton projet musical a-t-il démarré ?

À l’époque, j’habitais Woluwe – 1200 représente ! – et je cassais les oreilles à toute la maison parce que je faisais des bidouillages sur l’ordi. Je suis très vite rentrée en école d’art, où j’ai fait du graphisme et plus tard de la vidéo, en master. C’est pour ça que je fais mes propres clips, j’adore ça. Peu importe que ce soit le son ou l’image, j’ai une mentalité de montage. Je monte les choses dans ma tête, j’en fais quelque chose. Il se fait que la musique, ça a pris. Cela dit, je ne me considère pas musicienne. Je suis sortie de l’ERG il y a deux ans, et je me suis dit “Gio, il faut que tu choisisses. Quels sont les projets qui t’animent ?”. Je me suis rendu compte que ce qui me tenait debout jusqu’à 3h ou 4h du matin, c’était le son. J’ai passé un contrat avec moi-même : j’ai fait mon premier concert. Au moment où je suis sortie de l’école, TG Gondard de MIDI FISH – un label bruxellois basé à Anderlecht, aux Brasseries Atlas – m’a dit “j’ai écouté les trucs que tu mettais sur SoundCloud, vas-y on fait un projet”. De cette collaboration est née ma première cassette, sortie en septembre 2021. Pour moi, c’était un peu comme un journal intime qui avait été mis en musique. Il fallait que ça sorte. Le projet qui va sortir fin décembre – un EP qui s’appelle You Look Nice Today –, c’est des sons que je travaille depuis février 2022 et pour le coup, c’est vraiment une autre DA. C’est la DA qu’on retrouve dans mes titres et clips “le sport life pt.1” et le “le sport life pt.2”, c’est un truc complet. Le prochain morceau qui va sortir s’appelle "Pierrot", dans le clip je suis habillée en Pierrot. C’est moi qui écris tous les clips, de A à Z, et je me fais aidée au niveau de l’image.

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Peux-tu me dire quelques mots sur cet EP ?

Il y avait un passage entre la cassette ou j’avais une voix plus grave, même sur les sons transitionnels comme "j’arrête la fête", "acqua salata", "la première édition", etc. C’est un trouble esprit, j’étais juste en super mauvaise santé. Quand tu ne fais que boire et fumer, ta voix drop. C’est hyper important pour moi de faire You Look Nice Today, d’être dans ma voix normale. C’est autotuné, mais ce n'est pas "con". Ce n'est pas pour rien que je me suis retrouvée sur les terrils de Charleroi : ce sont des montagnes de déchets, des montagnes de dépôts de charbon desquels on ne peut rien faire et qui d’ailleurs s’embraseront. Le fait que je cours – dans mon imagerie –, ça représente l’effort. L’envie d’aller mieux, la résilience. 

Tu sembles apporter une grille de lecture très vaste avec ce projet.

Je donne la mienne, mais ce n’est pas nécessairement la ligne à suivre. Si les gens entendent autre chose, tant mieux ! Ça veut dire que c’est riche. 

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L’expression musicale a-t-elle un aspect thérapeutique pour toi ?

On pourrait argumenter que oui. Si tu écoutes mes sons, tu dirais que je suis hyper déprimée mais en réalité, je me réveille tous les jours à 7h30 du matin, je fais du sport quatre fois par semaine, etc. Je cache bien mon jeu (rires). J’ai la joie de vivre de ouf, mais j’ai vécu des périodes super dark. Je me raccroche aux peu de personnes que j’ai, et aux fréquents moments de joie et de collaboration que je partage avec elles.

Tu écris la plupart de tes textes en français, mais pour ton track “acqua salata”, tu as opté pour l’italien. Pourquoi ce changement ?

L’italien, c’est ma langue natale. Ça m’est venu naturellement, mais c’est sans doute un refuge. Ça vient aussi d’une envie de fusionner avec certains amis, certaines parties de ma famille, je crois. Si je savais parler la langue de ma mère, le swahili, je ferais des sons en swahili !

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Tu vis à Bruxelles. Est-ce que la ville a un impact sur ta musique ?

Bien sûr. Bruxelles, c’est ma ville, c’est ma vie, c’est mon sang. Quand je vais à Paris – et j’y vais vraiment souvent –, je ne suis jamais aussi contente de revenir à Bruxelles après. Je connais l’odeur de tous les quartiers, je connais les coins, je connais tout. Et jamais on va me faire peur avec l’idée que je ne vais pas sortir de chez moi parce que des gens sont en train de faire flamber des voitures ! C’est ma ville, je l’ai repeinte et je l’ai refaite. C’est ma ville, je la protège et je l’adore. 

Pour finir, peux-tu me parler d’un·e artiste qui t’inspire en ce moment ?

C’est LacopinedeFlipper, c’est une artiste basée à Paris. Elle est juste dans la pièce avec moi, c’est pour ça que je rigole (rires). Il faut ramener ça sur Bruxelles ! 

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