À l’occasion du bicentenaire de la naissance du compositeur français Édouard Lalo, voici une rétrospective sur sa vie et sa carrière, surprenantes et riches en rebondissements. Bien qu’Édouard Lalo soit reconnu aujourd’hui comme l’un des compositeurs importants du XIXe siècle français, il a pourtant dû gagner sa vie comme violoniste durant plusieurs décennies, et c’est seulement dans sa cinquantième année qu’il rencontrera le succès en tant compositeur avec sa célèbre et incontournable Symphonie espagnole.
Un violoniste dans une famille de militaires
Édouard Victor Antoine Lalo naît à Lille le 27 janvier 1823. Selon son fils Pierre, critique musical et musicographe – qui aura souvent tendance à "romancer" la vie du compositeur – la famille Lalo serait venue d’Espagne s’installer dans le nord de la France au XVIe siècle, cette région faisant alors partie du comté de Flandre sous domination espagnole. Le père de Lalo était officier dans l’armée napoléonienne, et Édouard est le premier de sa famille à ne pas suivre une carrière militaire. Édouard Lalo commence sa formation musicale dans sa ville natale où il étudie le violon, et peut-être aussi le violoncelle. Âgé d’à peine 16 ans, et contre la volonté paternelle, il se rend à Paris où il poursuit ses études de violon et de composition.
L’un de ses professeurs est le violoniste Pierre Baillot. Avec ses collègues Pierre Rode et Rodolphe Kreutzer, Baillot, pédagogue renommé, avait publié en 1803 la méthode de violon officielle du Conservatoire de Paris. Il a également composé plusieurs pièces pour son instrument.
À Paris, Lalo doit lutter pour imposer sa vocation musicale : il gagne chichement sa vie en donnant des leçons de violon, en composant des mélodies faciles, et en jouant comme violoniste à l’Opéra-Comique et à la Grande Société Philharmonique de Paris, créée par Berlioz en 1850. Lalo jouait-il dans l’orchestre lors du concert d’inauguration, au cours duquel Berlioz dirigea sa célèbre Marche hongroise ?
Le temps de ses premières compositions
En 1848, Lalo avait déjà rencontré Berlioz, puisque qu’il lui avait présenté deux de ses partitions. Ses premières compositions connues, des mélodies pour voix et piano, datent de cette époque. Durant les années suivantes, hormis deux symphonies vraisemblablement détruites par le compositeur, Lalo écrit essentiellement des mélodies et de la musique de chambre : deux trios avec piano, un quatuor, une sonate et diverses pièces pour violon et piano, ainsi qu’une sonate pour violoncelle et piano. Publiée en 1856, cette Sonate reste étonnamment marginale dans le répertoire du violoncelle, bien qu’elle explore toutes les qualités expressives de l’instrument.
Le Quatuor Armingaud, l’ensemble incontournable fondé par Lalo
En 1855, avec son ami le violoniste Jules Armingaud, Lalo fonde un quatuor à cordes dans lequel il tiendra la partie d’alto, puis de second violon. Le Quatuor Armingaud devient un ensemble incontournable des sociétés de musique de chambre. Il se distingue pour ses interprétations du grand répertoire germanique, notamment Mendelssohn et Beethoven, dont bon nombre de quatuors étaient encore rarement présentés en concerts. Clara Schumann aurait joué avec le Quatuor Armingaud lors de ses tournées parisiennes. Le Quatuor s’implique également dans la mise en valeur du répertoire français de l’époque. Charles Gounod – qui soutenait Lalo et appréciait sa musique – dédia chaque mouvement de son "petit quatuor” à un membre du Quatuor Armingaud.
Instrumentiste à succès, compositeur ignoré
Si l’instrumentiste Lalo remporte du succès au sein du Quatuor, ses compositions ne rencontrent qu’indifférence : découragé, Lalo abandonne la composition durant près de 10 ans. Il ne reprendra la plume qu’en 1865, encouragé par sa seconde épouse, la mezzo-soprano Julie Bernier de Maligny. Pour elle, il compose de nouvelles pièces pour voix et piano : avec Gounod, Bizet, Delibes et Berlioz, il devient ainsi l’un des pionniers de cette nouvelle forme de musique vocale qu’on appellera la "mélodie française".
Les compositions de Lalo reconnues par ses pairs
En 1866, Lalo s’attelle à la composition de son premier opéra, Fiesque, basé sur une pièce de Schiller. Fiesque remporte le 3e prix du concours d’opéra organisé par la direction du Théâtre Lyrique de Paris en 1869, mais, malgré tous ses efforts, Lalo ne parviendra jamais à faire jouer son ouvrage. La création de Fiesque, en version de concert, ne sera finalement donnée qu’en… 2006 ! Et il faudra attendre encore un an pour en découvrir sa première version scénique.
Lalo réutilisera toutefois des extraits de son opéra pour sa Symphonie en sol mineur ou son Divertissement (1872), qui fut son premier succès comme compositeur.
S’ouvre alors une période particulièrement féconde : Lalo compose le Concerto en fa pour violon (1873), le Concerto pour violoncelle (1877), la Rapsodie norvégienne et le Concerto russe (1879), et son ballet Namouna (1882), une commande de l’Opéra de Paris. Namouna ne fut pas bien reçu par le public, mais lui apporta la reconnaissance et l’enthousiasme de ses pairs : Fauré, le jeune Debussy, ou Chabrier, qui venait de composer sa célèbre rhapsodie España.
Exotisme et triomphe
Si Chabrier composa España après un séjour enchanteur en Espagne et la découverte de la musique espagnole et andalouse, Lalo, lui, ne mit jamais le pied en terre ibérique. Il nous offre cependant un magnifique voyage avec sa Symphonie espagnole et ses rythmes de habanera, de mauresque et de malagueña. Écrite en 1874, juste après le Concerto en fa, cette "symphonie" est en fait un concerto pour violon, découpé en cinq mouvements. Dédiée à son ami le virtuose Pablo de Sarasate, qui la mettra au cœur de ses tournées internationales, cette œuvre chatoyante, pleine de vie et de contrastes, apportera à Lalo une notoriété qui dépassera les frontières.
À la même époque, Lalo commence à composer son deuxième opéra, Le Roi d’Ys, inspiré d’une légende bretonne. Après l’échec de Fiesque, il compte bien prend sa revanche dans le monde lyrique. Et il gagne son pari : créé en 1888 au Théâtre du Chatelet, Le Roi d’Ys remporte un véritable triomphe ! Il sera joué 100 fois au cours de l’année à Paris, puis à Genève, Amsterdam, Anvers, Bruxelles et Rome. Le livret sera très vite traduit en hollandais, allemand, italien, tchèque, russe et roumain.
La consécration
Pour Édouard Lalo c’est la consécration. Reconnu par ses pairs et par le public, il gagne aussi la reconnaissance officielle de la nation : il est promu officier de la Légion d’honneur le 1er janvier 1889.
Durant les dernières années de sa vie, il compose un concerto pour piano, une pantomime (Néron), et commence un nouvel opéra, La Jacquerie, dont seul le premier acte sera achevé.
Lalo s’éteint à Paris le 22 avril 1892 d’une maladie du cœur, à l’âge de 69 ans. Il repose au cimetière du Père-Lachaise.
Édouard Lalo nous laisse environ 70 œuvres : mélodies, musique de chambre, opéras et musique symphonique, essentiellement concertante. Son orchestration solide, parfois un peu lourde, est marquée par la tradition germanique (on le taxe de “wagnérisme”). Mais son style se caractérise aussi par son dynamisme rythmique, son intérêt pour les folklores (emblématique dans la Symphonie espagnole, mais que l’on retrouve aussi dans la Fantaisie norvégienne, la Rhapsodie norvégienne, le Concerto russe, Namouna et Le Roi d’Ys) et – comme le souligne son biographe Georges Servières en 1897 – par "des élans sincères de passion ardente, une originalité caractérisée par le choix des harmonies, le pittoresque des rythmes, le coloris d’une orchestration éclatante ou délicatement nuancée."
