Le biz illégal d’anguilles serait plus rentable que celui des armes, de la drogue et des êtres humains.
3 milliards d’euros ! C’est la valeur annuelle estimée du trafic illégal de civelles européennes vers l’Asie. Les civelles, ce sont les bébés des anguilles. On les élève en bassin et ça donne des anguilles adultes, un plat que les asiatiques kiffent particulièrement. Et comme les anguilles ne se reproduisent pas en captivité, ce sont les civelles qui intéressent les éleveurs.
L’or blanc
Face à un tel succès, les anguilles japonaises, l’espèce répandue à travers l’Asie de l’Est, sont menacées d’extinction. Du coup, les éleveurs de la région se sont mis à importer des des espèces de civelles européennes et américaines pour alimenter leur aquaculture. Résultat, les prix ont flambé, et on surnomme la civelle "l’or blanc".
En 2010, l’Union européenne a décidé d’interdire toute exportation de civelles hors de ses frontières. Depuis 2007, l’espèce européenne fait partie de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Son commerce doit donc être réglementé pour éviter de les exterminer complètement.
Mais puisque la demande est toujours bien présente en Asie, un important trafic s’est mis en place. D’après l’ONG Sustainable Eel Group (SEG), 23% des civelles européennes sont exportées illégalement chaque année vers l’Asie, et principalement vers la Chine. Pour son président, Andrew Kerr, il s’agit du "plus grand crime contre la faune de la planète".
Multiplié par 100
Pour te faire une idée, "un pêcheur européen touche environ 0,1 euro" par civelle, explique Andrew Kerr. "Arrivées à Hong Kong, chacune vaut 1 euro, et après avoir été mise en aquaculture pendant un an dans un élevage chinois une anguille vaut 10 euros, soit au total une multiplication par 100 de son prix en l’espace d’un an. Le profit est plus gros que pour le trafic de drogues, d’humains et d’armes".
Il y aurait eu 108 contrebandiers présumés de civelles interpellés par les polices de 19 pays européens pendant la saison de pêche 2019/2020, selon Europol. Deux tonnes de civelles d’une valeur estimée à 6,2 millions d’euros ont été saisies sur la même période. La pandémie de Covid-19 ayant perturbé le transport aérien de passagers à l’international (jusque-là le moyen privilégié des trafiquants utilisant des "mules"), les contrebandiers privilégient depuis le fret aérien, dissimulant les civelles au milieu d’autres marchandises. C’est un jeu permanent "du chat et de la souris", souligne Andrew Kerr.