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Le Brussels Cruise Terminal à l’arrêt : la faute au coronavirus ou grand travail inutile ?

Le Brussels Cruise Terminal est à l’arrêt ou presque depuis près de deux ans.

© RTBF

Assis sur un des bancs en béton du Brussels Cruise Terminal, face à l’usine de farines Ceres, Axel, employé dans une des entreprises du canal, profite des rayons de soleil en ce début du mois de novembre. C’est un habitué. "Chaque midi depuis le début de l’été, j’y fais une petite pause", nous dit-il. "Et je vois rarement de bateaux de croisière. C’est souvent calme."

Le site, situé à Neder-over-Heembeek, sur la rive gauche entre les ponts de Buda et Van Praet, est pourtant aménagé en ce sens : 240 mètres de long, 12 mètres de large, équipements d’amarrage modernes… Ce terminal pour bateaux de croisières fluviales a été inauguré en 2018 et financé à hauteur de 5,2 millions par la Région bruxelloise, le port de Bruxelles et l’Union européenne (2,9 millions par les fonds Feder). Une dépense publique importante qui ne convainc pas Patrick Callens, le patron d’un grand magasin de peinture situé juste en face.

J’ai dû voir entre cinq et dix bateaux de croisière depuis 2018

"Depuis que le terminal est installé, sans exagérer, j’ai dû voir entre cinq et dix bateaux de croisière", nous dit celui dont le commerce est ouvert six jours sur sept.

"Comment je peux avancer mes chiffres ? D’abord, parce qu’il n’y a pas de buvette au terminal. Dès lors, lorsqu’il y a des croisières, les passagers qui débarquent et qui ont soif arrivent dans mon magasin où j’ai une fontaine à eau, une machine à café… Ils sont les bienvenus mais cela n’arrive pas souvent. Ensuite, comme il n’y a qu’un emplacement prévu pour les bus, les bus qui doivent les embarquer pour les emmener visiter les lieux touristiques à Bruxelles s’arrêtent sur mon parking. Donc, on voit l’activité de ce terminal au quotidien."

Patrick Callens tient un magasin de peinture juste en face du terminal.
Patrick Callens tient un magasin de peinture juste en face du terminal. © RTBF

Patrick Callens n’hésite d’ailleurs pas à classer ce chantier dans la liste des "grands travaux inutiles" bruxellois. "A mon avis, c’est un travail inutile qui a coûté quelques millions et qui nous a embêtés pendant quatre ans. La construction du terminal, avec les voies cyclables, les abords, cela a duré quatre ans ! Cela m’a fortement impacté."

Le voisin de Patrick Callens est un magasin de mobilier de jardin. Pierre Croix avance un autre bilan chiffré. Mais tout aussi faible. "J’ai déjà vu de l’activité dans ce terminal, oui. Mais pas énormément. Sans avoir compté, sans avoir fait expressément attention, j’ai vu 20 à 25 bateaux. Il y en a peut-être eu plus… Si la question est de savoir si ce terminal sert à quelque chose, je dirai pas à grand-chose jusqu’à présent. Après, il faut voir quels seront les développements futurs."

Les croisières débarquent à Bruxelles

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150 bateaux depuis trois ans et demi : chiffres officiels

Alors, une dizaine de bateaux ? Une vingtaine ? Les données officielles du Port de Bruxelles sont différentes. Depuis avril 2018 et l’inauguration du terminal, "150 bateaux de croisière y ont amarré", détaille Sylvain Godfroid, porte-parole du port. 150 bateaux avec cabines (NDLR : la navette du Waterbus n’est pas comptabilisée) et plus de 19.000 passagers en un an et demi !

Car en mars 2020, la pandémie de coronavirus a réduit l’activité des croisières à néant. En 2020, sur les 68 réservations prévues, quatre bateaux seulement sont venus à Bruxelles. "En 2021, nous avons eu 64 réservations mais 54 annulations finalement. Deux bateaux ont quand même amarré. Huit sont encore attendus en novembre et décembre."

2022 s’annonce plus radieuse avec déjà "55 réservations. Mais rien ne dit qu’il n’y aura pas de nouveaux désistements ou de nouvelles mesures sanitaires." En tout cas, pour les responsables du port, le démarrage de l’activité reste positif. "150 bateaux sur un an et demi avant la pandémie : c’est un bon début avant le coup d’arrêt lié au Covid et pas seulement à Bruxelles mais dans le monde entier. Toute l’activité de croisières a été touchée. Ce qui explique le peu de bateaux depuis 2020."

Le Cruise Terminal n’est pas au cœur de la ville

Les ambitions du Port de Bruxelles autour de ce terminal ne sont pas minces : une étude prévoit le débarquement de 35.000 passagers par an à l’horizon 2030 au Brussels Cruise Terminal avec des retombées économiques annuelles de cinq millions d’euros. Avant l’inauguration du terminal, 12.000 passagers débarquaient à Bruxelles mais au quai de Heembeek (zone à destination industrielle), plus proche du centre-ville.

CroisiEurope, un des acteurs des croisières fluviales qui propose des circuits entre Amsterdam et Bruxelles (ville d’arrivée ou de départ), confirme ne pas être fan du Brussels Cruise Terminal, pour cette raison. "L’idée en tant qu’opérateur de croisières fluviales, notre force, c’est d’être amarré au cœur des villes. Au quai de Heembeek, nous sommes au cœur de Bruxelles, ce qui n’est pas du tout le cas au Cruise Terminal", nous explique Axel Araszkiewicz, porte-parole. C’est alors du quai de Heembeek que les touristes embarquent dans des bus pour ensuite visiter la Grand’Place, le Manneken-Pis ou encore l’Atomium.

"Le quai de Heembeek est peut-être un plus proche du centre", réagit le porte-parole du Port de Bruxelles. "Mais la réaction de cet opérateur est le reflet d’une certaine habitude, remontant à avant la construction du terminal. CroisiEurope trouve peut-être cela plus pratique. En tout cas, la position du Port de Bruxelles, c’est d’utiliser en priorité le Cruise Terminal qui est conçu pour, où il est plus agréable de débarquer. Il faut admettre que, oui, quand il y a trop de bateaux de croisières, nous sommes obligés d’en amarrer au quai de Heembeek. C’est de la responsabilité du port de déterminer les lieux d’amarrage, c’est lui qui délivre les autorisations." Le port rappelle que le projet du Cruise Terminal a été élaboré en collaboration avec les opérateurs de croisières.

Le bâtiment du Cruise Terminal, qui devait accueillir un établissement Horeca, est vide depuis 2018.
Le bâtiment du Cruise Terminal, qui devait accueillir un établissement Horeca, est vide depuis 2018. © RTBF

Le Cruise Terminal connaît cependant un échec : celui de l’exploitation du bâtiment. Il est inoccupé depuis 2018. "Au départ devait s’y installer un restaurant. Accord avait été signé."

Un établissement Horeca qui ne vient toujours pas

Mais la période d’incertitude post-attentats a refroidi le futur exploitant qui s’est désengagé. "Nous avons cherché d’autres affectations. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple. Nous sommes toujours en train d’y réfléchir. Nous essayons de l’utiliser pour des occupations plus temporaires. Nous avons par exemple des demandes d’associations locales de Neder-over-Heembeek dans le cadre d’expositions. Mais le but est d’en faire, à tout le moins et après aménagements, une salle polyvalente dans le cadre de séminaires ou d’événements par exemple. Même si l’objectif est d’en avoir un autre usage. Tout cela est encore en discussion avec différents partenaires."

On le constate : le Brussels Cruise Terminal a encore du mal à sortir de l’eau. Le contexte de pandémie ne lui a pas facilité la tâche. Les attentes sont nombreuses, au regard de l’investissement qui aurait, selon le député régional et ancien administrateur du port Geoffroy Coomans de Brachene (MR-opposition), été sous-évalué. "Le budget initial de 5,9 millions d’euros a été largement dépassé. Il a atteint les sept millions d’euros", dit-il.

Le libéral a en tout cas décidé d’interpeller Alain Maron (Ecolo), le ministre de tutelle du port. Le député parle également de prévisions de fréquentations "particulièrement optimistes" voire "irréalistes pour ce lieu déconnecté et quelque peu perdu en zone portuaire".

Le port de Bruxelles gère cette infrastructure.
Le port de Bruxelles gère cette infrastructure. © RTBF

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