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Le cas Joel Embiid, révélateur du phénomène des naturalisations sportives ?

Joel Embiid avec les Sixers de Philadelphie, contre les Raptors de Toronto

© 2022 Getty Images

Depuis le 13 juillet, la star de la NBA Joel Embiid, évoluant avec les Sixers de Philadelphie, possède la nationalité française. La nouvelle a été annoncée par un décret au Journal officiel (dans lequel sont publiés les textes réglementaires, les déclarations officielles, les lois…) de la République Française.

Le pivot de Philly est pourtant né à Yaoundé, et possède la nationalité camerounaise. Le meilleur marqueur (en moyenne de points, 30.6 par match) de la saison dernière en NBA a pu obtenir la nationalité française, en partie parce que la Fédération française de basketball (FFBB) avait engagé la démarche administrative. La raison est toute simple : la fédération espère que le colosse de 2,13 mètres puisse être sélectionné en équipe de France, avec la Coupe du monde de 2023 mais surtout les Jeux Olympiques de Paris 2024 en ligne de mire.

Déjà vice-championne olympique à Tokyo en 2020, l’équipe de France de Basket aurait très fière allure avec Embiid dans ses rangs.
La possibilité qu’il soit sélectionné fait pourtant débat, même au sein des joueurs de la Team France.
Evan Fournier, l’arrière des Knicks de New-York et de l’équipe de France s’est exprimé sur Twitter en janvier 2018, lorsque la rumeur de la naturalisation d’Embiid commençait à enfler : "Pour moi jouer pour un pays avec lequel tu n’as pas d’attaches c’est dérangeant. L’équipe nationale ce n’est pas juste un challenge sportif. […] Ce n’est pas contre Joel. Ça me dérange quand les autres sélections le font, c’est donc valable pour les Bleus. Ensuite, le respect pour Rudy (Gobert), il est où ? Et les autres qui font des sacrifices tous les étés pour l’équipe de France ? ".

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Fournier fait référence au fait que Joel Embiid puisse être naturalisé par pur opportunisme sportif, et non pas par attachement réel ou familial à la France. L’intérêt entre la France et Embiid serait réciproque : avec le Camerounais, la France aurait une réelle chance de briser la suprématie Américaine aux Jeux Olympiques. Embiid, lui, n’a quasiment aucune chance de titre international majeur avec l’équipe du Cameroun. Mais comme annoncé par les proches du joueur, ce serait bien la fédération qui aurait fait le premier pas vers le joueur.

Les liens qui unissent Embiid à la France sont assez minces, comme il l’expliquait lui-même en 2018 : "Je ne viens pas de France. J’y ai de la famille. Pour l’instant, je n’ai pas eu d’offres, du Cameroun, de la France ou d’ailleurs, mais on ne sait jamais."

D’autres joueurs se sont exprimés sur la situation : Nicolas Batum, capitaine des Bleus depuis 2018 et évoluant avec les Clippers de Los Angeles, a réagi dans un entretien accordé à l’Equipe : "Je peux comprendre que cela dérange éthiquement, mais d’un point de vue basket… Je me mets des deux côtés : joueur-capitaine, mais aussi fan ! Et une raquette Embiid-Gobert, p***n ! Donc voilà, éthiquement, je comprends, mais " baskettement"… ".

Le cas de Joel Embiid est loin d’être le premier en termes de naturalisation dans le monde du sport. Ce ne serait pas non plus la première fois qu’un sportif change de nationalité par pur intérêt sportif et non pas par attachement à une nation, et encore moins la première fois qu’une telle situation divise les observateurs.

Les exemples sont nombreux, mais les règles changent souvent en fonction des fédérations, et des différents sports. Il serait impossible de dresser une liste exhaustive de toutes les disciplines et sportifs concernés. Mais les cas semblent se multiplier, et le phénomène se normaliser.

Depuis longtemps, de nombreux sportifs ont eu à choisir entre deux, parfois même trois nationalités. C’est surtout vrai pour les pays d’immigration : beaucoup ont le choix entre des pays européens et des pays colonisés par les premiers, principalement en Afrique. Lorsque la question de la sélection nationale se pose, par exemple dans le football, les joueurs sont face à un dilemme : choisir le pays de naissance ou celui d’origine. Le Diable rouge Romelu Lukaku, d’origine congolaise mais né à Anvers, aurait notamment pu choisir de jouer pour les Léopards plutôt qu’avec la Belgique.

Mais souvent, bien que les attaches culturelles et sentimentales soient fortes, les sportifs finissent par choisir la sélection avec le niveau le plus élevé parmi celles qu’ils ont à disposition. Les exemples des équipes nationales belges ou françaises en sont représentatifs, avec de nombreux joueurs issus de l’immigration. Les enjeux sont nombreux, notamment financiers, prestigieux, culturels… Les sélections les moins cotées finissent bien souvent par accueillir les joueurs moins en vogue, même si certains font des choix forts, en dépit d’une réussite sportive plus certaine avec une des nations disponibles.

Romelu Lukaku lors de l’inauguration du "Walk of fame" de la RBFA.
Romelu Lukaku lors de l’inauguration du "Walk of fame" de la RBFA. © Tous droits réservés

Certaines nations montent carrément des équipes de toutes pièces : le Qatar l’a fait avec sa sélection de handball. Le petit émirat ne compte que quelques centaines de licenciés dans la discipline, ce qui l’a poussé depuis 2013 à faire appel à de nombreux joueurs étrangers, naturalisés pour leur permettre de jouer sous la bannière qatarie. Les règles de la Fédération Internationale de Handball sont très souples à cet égard, ce qui a permis au pays du Golfe de construire une équipe assez compétitive, des joueurs jusqu’au sélectionneur.

Le Qatar a en effet organisé les Championnats du Monde de handball en 2015, ce qui se devait d’être accompagné d’une équipe solide. Des joueurs ont donc été démarchés, tels que le français Bertrand Roiné, qui avait joué pour les Bleus de 2005 à 2011, en participant à un championnat du Monde. Le règlement l’autorisait à rejoindre une autre sélection, en l’occurrence le Qatar. Il expliquait à l’époque : "Quand on goûte à un Championnat du monde, on a envie d’y retourner. Je n’ai pas touché le moindre euro pour être en équipe nationale [qatarie]. Il s’agit donc avant tout d’un choix sportif". Le Qatar échouera finalement en finale du tournoi, face à l’ancienne sélection de Roiné.

Des exemples existent aussi en Belgique : on peut citer le biathlète Florent Claude, qui concourrait pour la France jusqu’en 2017, avant de représenter le plat pays. Son changement de nationalité sportive s’est opéré à la suite de celui de Michael Rösch, qui a lui opéré une transition de l’Allemagne vers la Belgique en 2014. Florent Claude, mis à l’écart de l’équipe de France, avait accepté une invitation de la Belgique, qui souhaitait se développer dans les disciplines des sports d’hiver. Il participera ainsi aux JO d’hiver de 2018 en tant que Belge, sans résultat probant.

D’autres naturalisés connaissent davantage de réussite : très récemment, Elena Rybakina est devenue la première Kazakhe à gagner un tournoi du Grand Chelem de tennis, après sa victoire à Wimbledon. Sa naturalisation en tant que Kazakhe lui a été salvatrice, puisqu’elle était jusqu'en 2018 de nationalité russe. Sans ce changement, elle n’aurait pas pu prendre part au tournoi, comme tous les Russes depuis le conflit contre l’Ukraine.

La question se posera peut-être un jour de déterminer une réglementation commune aux différents sports, pour déterminer des règles concrètes permettant à un athlète de changer de nationalité sportive. Mais rien n’est moins sûr, sachant que chaque sport est réglementé par une fédération internationale différente.

En attendant, reste à savoir si Joel Embiid endossera un jour la tunique bleue. Le plus malheureux dans cette affaire serait Sacha Giffa, sélectionneur du Cameroun, pour qui le pivot des Sixers pourrait jouer. Il explique sa déception, mais ne perd pas espoir pour autant : "C’est son choix personnel. Peut-être qu’il va nous rejoindre plus tard, c’est ce qu’on espère. Mais si tous les talents font ça, c’est triste pour le continent africain".

Joel Embiid Drops First Career 50-PT Game!

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