Sommet extraordinaire. Historique. Les dirigeants européens n’avaient pas assez de mots hier pour qualifier la venue de Volodymyr Zelinsky à Bruxelles.
À voir les couloirs bondés du Parlement européen hier, à voir l’hémicycle débordant d’eurodéputés, c’est exceptionnel. À voir des chefs d’État et de gouvernement faire la file pour saluer le président ukrainien, oui sans aucun doute cette journée d’hier était historique et extraordinaire. Elle va sans aucun doute marquer pendant longtemps les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine. Mais elle vient aussi acter de façon nettement plus discrète la montée en puissance de plusieurs pays en Europe. Ceux que l’on qualifiait encore récemment dans les couloirs du Conseil ou de la Commission de "nouveaux États membres".
Mais l’on parle des États qui ont rejoint l’Union en 2004 et 2007, ou en 2013 pour le dernier élargissement à la Croatie. On parle de 13 États principalement issus de l’ancien bloc soviétique. Sur le papier, il n’y a pas de classement. Un État membre en vaut un autre. Mais dans les faits, il y avait quand même un peu de condescendance. C’était sans doute plus difficile pour eux de faire valoir leur point de vue. Du style "t’es gentil coco mais ta proposition de revoir la directive sur la sécurité des jouets on en avait déjà parlé en 1987 mais c’est vrai qu’à l’époque t’étais encore derrière le rideau de fer et là-bas les jouets ça n’existait pas… mais c’est gentil de participer au débat…"
C’est à peine de la caricature… parce que depuis des années, qui appuie sur la sirène d’alarme pour alerter du danger pour nos démocraties que représente la menace russe ? La Pologne, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie à qui l’on demandait gentiment d’être moins va-t’en guerre, de ne plus chausser leurs vieilles lunettes du passé pour regarder le futur…
La guerre en Ukraine a donc changé la donne, mais pas complètement. Ça s’est fait progressivement. On l’a encore vu il y a quelques jours. Il a fallu que la Pologne torde le bras de l’Allemagne pour que Berlin se décide enfin à envoyer des chars d’assaut à l’Ukraine.
Il a aussi fallu attendre plusieurs mois pour que le président français change son discours et qu’il passe du "Il ne faut pas humilier la Russie" à "La Russie ne peut, ni ne doit l’emporter" ce qui est nettement moins ambigu. Là aussi c’était depuis le début la position défendue par Varsovie, Bratislava ou Riga.
Aujourd’hui tout le monde est sur la même ligne. Cette visite de Zelensky, c’est finalement l’épiphanie de l’Union européenne sur la question russe. Une révélation que les Nouveaux États membres avaient pourtant prophétisée depuis plusieurs années.
Quand une dirigeante comme la Première ministre estonienne Kaja Kallas dit qu’elle sait ce que les Russes veulent parce qu’elle a vécu derrière le rideau de fer, oui maintenant elle est écoutée. Ou quand la Bulgarie, la Pologne, la République tchèque ou la Lettonie demandent que l’Europe finance les murs qu’ils sont en train de construire aux frontières extérieures de l’Union, ils commencent aussi à être écoutés…
Aujourd’hui c’est même la Pologne et les pays baltes qui poussent pour que les 300 milliards d’euros d’avoirs russes gelés depuis le début de la guerre soient utilisés pour payer la reconstruction de l’Ukraine. Il n’y a pas encore de décision, mais on y arrive.
Doucement mais sûrement. Le centre de gravité de l’Union européenne est en train de se rééquilibrer vers l’Est.