Cinéma

Le Cinéma dans le Cinéma de Woody Allen

Woody Allen et Diane Keaton sont au cinéma et au Cinéma dans "Annie Hall"

© United Artists

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Par Nicolas Buytaers

À 85 ans, le réalisateur américain nous propose son 50e film intitulé "Rifkin’s festival", en salles chez nous depuis ce mercredi. Cette comédie sur le couple est aussi une belle déclaration d’amour au Cinéma. Une déclaration réalisée à partir de scènes connues et rejouées à la manière de… Woody Allen.

Mort Rifkin est un intellectuel du Cinéma. Il le pense avec son âme, il le vit avec ses tripes. Sa femme Sue est attachée de presse. Le Cinéma, elle le vit également intimement. Trop intimement peut-être. Mort la soupçonne d’être la maîtresse d’un jeune réalisateur français à la mode. Quand celle-ci se rend au Festival du Film de San Sebastian, en Espagne, où ledit réalisateur défend son nouveau film, Mort décide de l’accompagner afin de vérifier si, oui ou non, il se passe bien quelque chose entre eux. Et là, sous le soleil espagnol, dans cette ville de Cinéma magnifique, entouré de tous ces films, Mort revit toute son existence à travers quelques grands classiques du 7e Art et de ces scènes qui ont marqué l’Histoire…

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Voilà comment nous pourrions résumer ce "Rifkin’s Festival", le nouveau Woody Allen, le 50e de sa filmographie. Un film composé d’autres films vu que le réalisateur new-yorkais s’y est amusé à retourner les plus belles scènes de "Citizen Kane" d’Orson Welles (la boule à neige, Rosebud, tout ça tout ça), "Jules et Jim" de François Truffaut (la balade à vélo), "Le Septième sceau" d’Ingmar Bergman (la partie d’échecs) et plein d’autres encore.

Wallace Shawn et Christoph Waltz alias Mort et La Mort dans une partie d’échecs digne du "7e sceau"
Wallace Shawn et Christoph Waltz alias Mort et La Mort dans une partie d’échecs digne du "7e sceau" © Apollo Films
Bengt Ekerot et Max von Sydow alias La Mort et Antonius dans la célèbre partie d’échecs du "7e sceau"
Bengt Ekerot et Max von Sydow alias La Mort et Antonius dans la célèbre partie d’échecs du "7e sceau" © Svensk Filmindustri

Le Cinéma de Woody Allen, c’est comme le Beaujolais nouveau. Il sort un film chaque année et tous n’ont pas le même goût. Certains goûtent la banane et d’autres le fruit rouge. Poussant davantage la caricature et les comparaisons, dans les années 70, le réalisateur névrosé aux films thérapeutiques nous proposait des comédies burlesques comme "Guerre et amour" ; dans les années 80, des drames comme "Hannah et ses sœurs" ; dans les années 90, des mélodrames comme "Maris et Femmes" ; dans les années 2000, des films noirs mais pas trop noirs comme "Le sortilège du scorpion de jade" ; dans les années 2010, il invente le Ciné-Tourisme avec ce concept "1 film-1 ville" soit des films réalisés dans des villes étrangères (donc bien loin de New York) comme "Minuit à Paris". Mais quoi qu’il arrive, à travers tous ses films, non seulement il nous parle de sa vie mais aussi de notre quotidien et surtout de son amour pour le Cinéma. Voici quelques beaux exemples (et une liste non exhaustive)…

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Woody Allen a toujours aimé tourner, retourner et détourner ses films préférés. Et ce depuis son premier long-métrage, "Lily la tigresse" (1966). Pour réaliser ce film, Allen a tout simplement remonté les scènes d’une série B japonaise intitulée "International Secret Police : Key of Keys" (de Senkichi Taniguchi sorti l’année précédente) et proposé de nouveaux dialogues (donc une nouvelle histoire) en postsynchronisation, en doublage, en vo dans le texte. Une prouesse technique pour un résultat délirant.

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Autre film, autre détournement. Dans le merveilleux "La rose pourpre du Caire" (sorti en 1985), alors que son héroïne, Mia Farrow alias Cecilia, s’échappe de son quotidien (nous sommes dans les années 30 en pleine Grande dépression) en allant au cinéma, on voit l’un des personnages du film qu’elle regarde ("La rose pourpre du Caire", vous suivez ?) l’interpeller dans la salle, sortir de l’écran et passer du noir et blanc à la couleur. La scène est magique, tout comme ce film. Encore plus dans les minutes qui suivent où sur l’écran géant de la salle, les autres acteurs de cette histoire de rose pourpre du Caire sont complètement paniqués car l’un des leurs s’est échappé. Pour Woody Allen, le Cinéma sert donc à s’échapper mais quand on s’échappe du Cinéma, que faire ? Les divans de certains psys en ont accueilli des patients pour moins que ça !

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Dans "Hollywood ending" (2002) où il incarne un réalisateur (psychotiquement) aveugle, il règle ses comptes avec le milieu en une réplique devenue culte…

- Je ne peux pas tourner ce film puisque je te dis que je suis aveugle !

- Tu as déjà vu ce qu’on réalise maintenant ?

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Dans "Café Society" (sorti en 2016), Woody Allen revient dans les années 30 et revisite Hollywood. Il imagine surtout les coulisses de ces fêtes incroyables données à l’abri des regards dans les villas somptueuses des stars de l’époque. Entre des producteurs volages, des secrétaires en guise de maîtresses et des gangsters, le réalisateur nous propose un vaudeville beaucoup plus sombre que joyeux doublé d’une réflexion sur l’ego et la morale. Il y a du "Sunset Boulevard" de Billy Wilder derrière tout cela !

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Dans "Un jour de pluie à New York" avec Timothée Chalamet et Selena Gomez, Allen nous parle de ses angoisses de réalisateur mais aussi de scénariste dans cette course complètement folle, entre plateaux de tournage en extérieur, studio et balade en calèche dans Central Park, ponctuée d’une des choses les plus romantiques de la planète (d’après le réalisateur), un baiser sous la pluie !

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Terminons ce petit tour d’horizon avec "Annie Hall" (Oscar du meilleur film en 1977), son chef-d’œuvre (parmi d’autres). Alvy (le personnage qu’il interprète avec une criante vérité tellement il lui ressemble… trop) et Annie (Diane Keaton parfaite en jeune femme délurée) font la file devant un cinéma. Derrière eux, un homme se remémore sa sortie ciné de la semaine dernière et théorise à l’ennui en imposant ses idées à toute la file. "On a vu le dernier Fellini mardi et c’est pas son meilleur. On a l’impression qu’il ne sait pas trop ce qu’il veut dire !" Et patati et patata… De son côté, Alvy/Woody est excédé. Pour couper court à son agacement, Annie préfère lui parler de ses problèmes sexuels. La scène est délicieusement jouissive. Oui, le Cinéma de Woody Allen, il sert aussi à ça : non pas calmer les ardeurs mais bien de prendre un peu de recul et de se détacher de ses soucis au quotidien en riant de ceux des autres et en se disant que, finalement, la vie vaut bien la peine d’être vécue… pour aimer tout simplement !

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