Economie

Le contrat Amazon-Arianespace : du pain bénit pour l’industrie aérospatiale belge

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Par Lucie Dendooven

Certains l’appellent le contrat du siècle. Il l’est aussi pour toutes les entreprises belges qui participent à la construction des lanceurs Ariane depuis leurs débuts.

Il s’agit du contrat passé, il y a quelques jours, entre Arianespace et l’entreprise américaine Amazon, consistant à envoyer 600 satellites dans l’espace d’ici à 2026.

Ces satellites vont être envoyés en orbite basse pour diffuser de l’internet à haut débit à l’ensemble de la planète. Arianespace devra lancer dix-huit fusées pour larguer ces petits satellites (ce sont des cubes de 20-30 cm de long). C’est le plus gros marché jamais signé par l’entreprise européenne. Arianespace reste très discrète sur les montants en jeu. Mais à n’en pas douter, il se chiffre à plusieurs milliards d’euros.

Les industriels belges se frottent les mains

"C’est une nouvelle très positive", nous souffle d’emblée Pierre Coquay, directeur du service spatial de Belspo. Il poursuit : "Chaque fois que l’on produit un lanceur Ariane 6, des composants belges sont utilisés. Plus il y a de lanceurs, mieux c’est pour notre industrie spatiale belge. C’est une très bonne nouvelle, dans ce contexte difficile de guerre en Ukraine, car ça consolide le programme de lanceurs européens et le programme spatial européen en général."

Pour comprendre ces enjeux, il suffit de citer les sociétés belges impliquées dans la construction du lanceur européen Arianne 6. La Sabca construit les actuateurs responsables de la trajectoire du lanceur, un rôle essentiel. Safran Aero Booster, de son côté, construit les vannes du moteur tandis que Thales Alenia Space s’occupe du système de sauvegarde du lanceur. En tout, les Belges sont partenaires à concurrence de 3,5% dans le programme Arianne. Et Pierre Coquay d’enchaîner : "C’est du pain bénit pour nos industriels et c’est aussi une forme de reconnaissance mondiale de nos lanceurs européens."

Les lanceurs de plus en plus demandés

© ESA-CNES-ARIANESPACE/Optique Vido du CSG

Face à la concurrence américaine et plus particulièrement des Falcon de la société Space X d’Elon Musk, les lanceurs européens avaient, jusqu’à présent, été décriés. Plus lourds, plus chers et plus polluants car non réutilisables à l’inverse des lanceurs Falcon d’Elon Musk, qui reviennent à leur destination après leur lancement, les lanceurs européens ne partaient pas favoris dans la course commerciale. Mais Jef Bezos, propriétaire d’Amazon, et principal concurrent d’Elon Musk a pris du retard dans le programme de son propre lanceur Blue Origin. Hors de question pour lui, de frapper à la porte de son concurrent, Elon Musk. Résultat, un contrat en or signé avec les Européens.

Hendrick Verbeelen, directeur-adjoint du service spatial Belspo, en convient : "Ce n’est pas le lanceur le meilleur marché dans le monde mais il y a une telle demande de lancements dans le monde qu’Arianne arrive à bien se positionner dans le marché mondial des lanceurs. Le masterplan d’Ariane 6 prévoyait 9 à 12 lancements par an Avec ce contrat signé, nous entrons totalement dans ce qui était programmé à la base."

Un des critères principaux de reconnaissance d’un lanceur, c’est sa fiabilité. Ariane 6 n’a pas encore démontré sa fiabilité puisqu’aucun essai n’a encore été réalisé mais Ariane 5 avait, par contre, très bien démontré sa fiabilité.

A l’avenir, l’enjeu sera l’équilibre entre les vols commerciaux et les vols institutionnels payés par l’ESA, l’Agence spatiale européenne.

Mais Pierre Coquay est très optimiste : "Plus il y a de vols commerciaux, plus on est concurrentiel. On a plus de possibilités d’achat groupé quand on multiplie les vols et on rentabilise mieux le programme Arianne 6. C’est donc un cercle vertueux qui s’installe."

Des petits satellites de communication mais très polluants et dangereux à l’avenir

Nous vous l’évoquions au début, ces lancements serviront à placer en orbite basse des satellites de communication pour diffuser de l’internet à haut débit. Or, du côté des scientifiques belges, ça soulève quelques sourcils. Gaël Cessateur est chercheur à l’Institut royal d’aéronomie spatiale. Pour lui, ces satellites vont polluer une orbite basse située entre 350 kilomètres et 600 kilomètres du sol terrestre. Il nous explique : "Pour les astronomes programmateurs, c’est une vraie pollution et ça a des conséquences directes sur l’observation astronomique car ces satellites sont très visibles dans le ciel. Ils peuvent perturber toutes les expériences scientifiques du ciel très profond. Par ailleurs, ces satellites sont tellement nombreux sur cette orbite basse que s’ils tombent en panne, et ne sont pas désorbités correctement, ils vont devenir des débris de l’espace très dangereux pour la station ISS et la Station chinoise Un petit boulon ou un petit objet quelconque à 28.000 km/h ça peut faire de gros dégâts."

3000 satellites de communication ont déjà été envoyés dans l’orbite basse de la Terre. Mais à terme, il est question d’en envoyer plus de 40.000 dans le cadre du programme Starlink d’Elon Musk et 3286 dans le cadre du programme de constellation Kuiper de Jef Bezos.

"C’est assez effarant", lance Emmanuel Jehin, astrophysicien et maître de conférences FNRS à l’U-Liège. Il poursuit : "D’ici 10 ans, lorsque vous serez sur un bon site d’observation des étoiles sur terre, sur 3000 étoiles, 200 bougeront parce qu’il s’agira de ces fameux satellites de communication. Ça va complètement changer notre vision du ciel. Récemment, j’ai fait une initiation à l’observation des étoiles pour les enfants et le phénomène est déjà très visible."

A l’avenir, des satellites confondus avec des astéroïdes

Le problème ne se pose pas seulement pour les astronomes en herbe, les astronomes professionnels sont aussi concernés. Particulièrement ceux qui sont chargés de la détection des astéroïdes qui croisent la terre.

Emmanuel Jehin s’alarme : "Des astéroïdes de grosse taille pourront toujours être détectés mais les plus petits qui pourraient endommager une ville deviennent indétectables à l’avenir car les satellites bougent et se comportent comme les astéroïdes qui passent près de la terre. L’efficacité de la détection des astéroïdes est donc remise en question."

Les astronomes s’étaient déjà plaints en 2020 auprès d’Elon Musk et il avait fait poser un écran pour empêcher le soleil de se refléter sur l’antenne brillante du satellite. Les satellites sont plus faiblement lumineux mais on les voit toujours.

Emmanuel Jehin d’enchaîner : "Le ciel appartient à tous. Les télescopes qui observent de grandes quantités d’espaces sont pollués par ces satellites. Aujourd’hui 5% des données sont perdues avec l’apparition dans l’image de ces satellites."

Pour ce scientifique, des lois devraient, à l’avenir, réguler ce marché pris d’assaut par les sociétés privées.

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