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Le court-métrage "Hématome" de Babetida Sadjo, un cri pour réveiller la justice

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Une femme danse sur la piste d’une boite de nuit. Les paillettes sur ses paupières font écho à celles de sa robe. Soudain, des images traumatiques remontent à la surface de sa conscience et la perturbent. Judith a été violée lorsqu’elle était enfant par son beau-père. Elle vient d’apprendre que le procès n’aura pas lieu. C’est dans cette même robe qu’on la suit de la confrontation de son violeur jusqu’aux marches du Palais de Justice de Bruxelles.

Voilà pour l’histoire du court-métrage de fiction Hématome, écrit et réalisé par Babetida Sadjo, qui joue également le rôle de Judith, et dans lequel elle adapte sa propre histoire. Un film qui traite, avec une grande liberté de ton et soutenu par une très belle photographie, des conséquences physiques et psychiques de l’inceste mais surtout de l’inadéquation de la justice face aux victimes. "La justice est une femme aux yeux bandés. La justice est aveugle, elle ne verra rien de mes blessures", lance la protagoniste du film.

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Le court-métrage mélange volontairement plusieurs genres. Est-ce une comédie ? Un drame ? " J’ai choisi de créer un film aussi morcelé que je le suis moi, aujourd’hui, en tant qu’être humain à cause de ce qu’il m’est arrivé à 10 ans ", explique Babetida Sadjo aux Grenades. "Couche par couche, on parvient à la voix intérieure de Judith, que l’on entend à la fin du film et qui vient s’éclater comme une vague sur le Palais de Justice, comme un cri pour réveiller la justice."

C’est un sujet tabou. Je vois la manière dont les gens réagissent à mon film, les regards, les commentaires

De justice, il en est beaucoup en effet question, également parce que ce film "est un moyen de me rendre justice, à moi, pour les blessures que je porte. Lors du début du procès de mon beau-père à Liège, je venais d’entrer au Conservatoire de Bruxelles. Je savais que mon passé était foutu et j’avais envie de me créer un beau futur, rempli de mes passions. Je ne voulais pas que ce procès prenne toute la place dans ma vie. Je voulais avancer. Je n’y ai donc pas assisté, mais j’ai témoigné, me disant qu’une fois mon diplôme en poche, je l’affronterai en justice."

Ce ne sera pas possible. "La justice est agencée de telle manière qu’elle estime qu’elle l’a jugé aussi pour ce qu’il m’était arrivé lors du procès qui lui a été intenté par ma sœur. Car j’ai témoigné, j’ai été ‘entendue’. Il ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits. Je n’étais pas au courant de cela. Il faudrait commencer par informer correctement les victimes, créer une cellule par exemple qui leur explique leurs droits et notamment ceux qui sont irréversibles."

C’est comme cela qu’a germé l’idée de faire un film. "Je me suis dit que j’avais ce diplôme, que j’avais l’art. C’est l’un des moyens les plus extraordinaires pour toucher les autres êtres humains", continue la réalisatrice. J’aimerais sensibiliser les gens sur cette assignation au silence qui pèse sur les victimes. Mon agresseur a finalement pris 5 ans de prison avec sursis pour avoir brisé deux petites filles… il est en liberté parce que la loi fait une différence entre la pénétration et l’attouchement, mais quand tu es une enfant, il n’y a pas cette différence. Mon traumatisme est inquantifiable. Si on veut une société meilleure, il faut rembobiner et écouter ses enfants qui ont été victimes."

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Après 15 ans devant la caméra, Babetida Sadjo passe derrière la caméra. "Je le fais pour la petite fille que j’ai été. J’ai déjà réalisé un documentaire, ici je voulais vraiment en faire une fiction pour avoir plus de libertés et pour ne pas que cette histoire me colle à la peau. C’était mon fantasme de confronter mon violeur mais je ne l’ai jamais fait dans la réalité. En même temps, je savais que cela n’allait pas être facile. Il y a peu de femmes réalisatrices et elles reçoivent de moins grands enveloppes pour réaliser leurs films."

Je me suis dit que j’avais l’art. C’est l’un des moyens les plus extraordinaires pour toucher les autres êtres humains

Elle recevra plusieurs refus de financement. "Mon film combine quatre tares, selon moi. D’abord, il parle de pédocriminalité, et personne ne veut en parler. Sa protagoniste est une femme noire. Elle remet en question la loi. Et à la fin du scénario, elle prend sa revanche", observe-t-elle. Et si elle a accepté d’apporter des changements au scénario, Babetida Sadjo a refusé de modifier cette fin. "Je me suis regardée dans la glace et je me suis dit :Aie le courage de ne pas faire demi-tour, de ne pas édulcorer ça’. Je veux montrer que la justice s’intéresse beaucoup aux auteurs mais pas du tout aux victimes et que c’est dangereux. Je me suis demandé pourquoi l’État belge ne regardait pas de mon côté pour voir comment j’allais. On n’est pas du tout entourées psychologiquement."

Néanmoins, elle s’attend à ce que sa carrière en "prenne un coup". "C’est un sujet tabou. Je vois la manière dont les gens réagissent à mon film, les regards, les commentaires. On me dit que c’est culotté de faire ça. On verra bien…"

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Après avoir été projeté au Brussels Short Film Festival, Hématome a été proposé à différents festivals. Babetida Sadjo aimerait aussi pouvoir le projeter dans des écoles pour créer du débat avec les adolescent·es sur ces questions. Pour que son cri réveille la société toute entière.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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