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Le débarquement de la baie des cochons à Cuba : les conséquences de ce fiasco pourraient-elles inspirer la Russie ?

L'oeil dans le rétro

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Par Pierre Marlet via

Il y a 62 ans, les États-Unis lancent une opération militaire qui se termine en fiasco complet. Elle entraîne d’importantes répercussions sur la guerre froide… et ses conséquences pourraient ressurgir dans le contexte de la guerre en Ukraine. Cet épisode est entré dans l’Histoire sous le nom de "la baie des cochons".

Il fait encore nuit le 17 avril 1961 quand 1400 militants anti-castristes débarquent sur deux plages de Cuba. Deux plages désertes autour de la baie des cochons. Précision étymologique : l’endroit n’a rien d’une porcherie à ciel ouvert. Los cochinos, les cochons, c’est ainsi que les Cubains appellent les petits poissons colorés qui abondent dans les eaux de la baie.

Une opération menée officieusement par les États-Unis

Ceux qui débarquent ce jour-là ont été équipés et entraînés par les Américains. Leur objectif est de renverser le gouvernement de Fidel Castro qui a pris le pouvoir à Cuba deux ans plus tôt. Lui aussi l’avait fait par la guérilla après avoir débarqué dans l’île avec moins de 100 compagnons pour renverser le pouvoir du dictateur Fulgencio Batista. Alors pourquoi une brigade de 1400 réfugiés cubains, bien armée et soutenue par la plus puissante armée du monde ne parviendrait-elle pas à renverser à son tour le régime en place ? C’est ce que croit fermement la CIA qui a orchestré l’opération, entraînant cette brigade d’exilés cubains anti-castristes et leur fournissant la logistique nécessaire. En secret bien sûr puisqu’officiellement, les États-Unis n’ont rien à voir là-dedans.

Mais ils sont bel et bien à la manœuvre. L’opération avait été imaginée en 1960 quand Dwight Eisenhower était encore président. En janvier 1961, c’est John Fitzgerald Kennedy qui lui succède et c’est donc lui qui autorise cette opération.

Il n’est pourtant pas favorable à cette idée. Le régime communiste de Castro à 200 kilomètres de la Floride est un vrai problème pour lui, mais il ne veut pas inaugurer sa présidence par une action armée risquée. Néanmoins, le patron de la CIA, Allan Dulles, sait se montrer persuasif : ce sont des Cubains et non des Américains qui partent au combat et les rapports de la CIA sont formels : dès qu’ils auront établi une tête de pont, le régime de Castro vacillera. Il faut se décider vite : l’Union soviétique s’apprête à livrer des Migs à Cuba et ce renforcement aérien risque de tout compromettre. Malgré ses doutes, Kennedy donne son accord à l’opération.

Des péniches de débarquement américaines échouées sur la Playa Girón, dans la baie des cochons, en avril 1961.
Des péniches de débarquement américaines échouées sur la Playa Girón, dans la baie des cochons, en avril 1961. © Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images

Une défaite cuisante pour les États-Unis et les anti-castristes

Elle sera, selon les termes des archives officielles américaines "a perfect failure" : un échec parfait. Le régime de Fidel Castro ne s’effondre pas. Le soulèvement populaire qui appuierait les exilés cubains comme prévu par la CIA n’a pas lieu, bien au contraire. Le peuple cubain démontre tout son enthousiasme et son abnégation pour le régime castriste, comme en témoigne un reportage de la presse locale sur ce débarquement : "En avant héroïques guérilleros, faites la paix avec la guerre, avec les armes de la liberté", ce sont les paroles à la gloire des soldats de Fidel Castro.

En trois jours, l’affaire est pliée : les combats ont fait en tout près de 300 morts en cumulant les pertes des deux camps. La brigade anti-castriste se rend à l’armée cubaine, qui fait 1200 prisonniers. Pour les Américains, les conséquences sont multiples et désastreuses.

Des conséquences désastreuses pour l’Amérique jusqu’à la fin de la guerre froide

Sur le plan géopolitique, le pays est d’abord pris en flagrant délit de mensonge : "Nous n’avons rien à voir là-dedans" tente dans un premier temps de se défendre l’ambassadeur américain à l’assemblée générale des Nations-Unies. Mais l’évidence de l’implication était telle que le président Kennedy assumera très vite publiquement la responsabilité de l’échec. Un échec qui était aussi une incroyable humiliation pour l’Amérique.

De plus, cet assaut raté jette définitivement Cuba dans les bras de l’Union soviétique, trop heureuse d’appuyer économiquement et militairement un pays qui va ainsi narguer la toute-puissante Amérique à moins de 200 kilomètres de ses côtes.

Sur le plan intérieur, il y aura aussi des conséquences marquantes parce que cet échec est d’abord celui de la CIA. Furieux de s’être laissé entraîner dans un tel fiasco, Kennedy aurait déclaré être tenté, "de répandre les cendres de la CIA aux quatre vents". Il va seulement se contenter de limoger son directeur et son adjoint, mais la méfiance était installée durablement envers la célèbre agence de renseignement. Ce n’est donc pas surprenant si certains ont vu l’ombre de la CIA lors de l’assassinat du président deux ans plus tard, même si cela n’a jamais été démontré.

L’échec de la baie des cochons eut également une autre conséquence : un courant radical au sein de l’armée américaine en a conclu que pour mener une opération à l’étranger, il ne faut pas déléguer cela à autrui, ici en l’occurrence les Cubains anti-castristes. Il faut au contraire y aller soi-même et s’engager totalement. C’est ce courant qui entraînera les États-Unis dans l’engrenage fatal de la guerre du Vietnam qui fut un second échec, sans doute encore plus retentissant.

Plus de 1200 'mercenaires' cubains, opposés au régime de Fidel Castro, sont faits prisonniers par l’armée cubaine.
Plus de 1200 'mercenaires' cubains, opposés au régime de Fidel Castro, sont faits prisonniers par l’armée cubaine. © Tous droits réservés

Cuba, instrument de mesure de la tension USA-Russie

Après ce débarquement raté de la baie des cochons, Cuba est restée sous la domination de Fidel Castro. 62 ans plus tard, le régime castriste est toujours au pouvoir. Est-ce toujours un souci pour l’Amérique ?

La situation n’a plus rien de comparable avec le début des années 60. À cette mission ratée succède la crise des missiles où États-Unis et URSS se regardèrent dans le blanc des yeux… jusqu’au moment où les Soviétiques cédèrent face au spectre de l’éclatement d’une Troisième Guerre mondiale.

Les relations entre Cuba et États-Unis sont restées compliquées, mais depuis la chute de l’URSS, les Américains ne ressentent plus le même danger.

Mais ces derniers temps, le Kremlin mène une offensive de charme diplomatique envers Cuba. Avec l’idée que ce qui les unit, dans le contexte de la guerre en Ukraine, c’est un ennemi commun. Une île à moins de 200 kilomètres des États-Unis alors que l’Otan est plus que jamais aux frontières de la Russie, Vladimir Poutine doit sûrement estimer que cela peut servir. Depuis plus de 60 ans, Cuba reste donc un moyen de mesurer l’intensité de la tension entre Russes et Américains.

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