Belgique

Le dénombrement des sans-abri permet aussi d’en savoir plus sur leurs profils et leurs trajectoires

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Par Marie Michiels

Chez nous, et d’ailleurs dans quasiment toute l’Europe, le nombre de sans-abris ne cesse d’augmenter. Que ce soit dans les petites ou les grandes villes. Pour mieux pouvoir cerner le phénomène grâce à des méthodes de dénombrement, avec entre autres le soutien de la Fondation Roi Baudouin, plusieurs universités et acteurs de terrains unissent leurs efforts.

Nous disposons actuellement de chiffres pour 2020. D’autres, qui touchent davantage de villes belges, sont attendus en mars 2022. Les statistiques mettent en lumière tant l’ampleur du phénomène que le profil type du public cible, tout cela "afin d’élaborer une stratégie efficace de lutte contre la problématique", comme le mentionne la Fondation Roi Baudouin sur son site web. Nous disposons aujourd’hui de chiffres à Bruxelles, en Wallonie et en Flandre, selon une méthodologie commune, ce qui "n’est pas un but en soi", précise Martin Wagener, professeur de sociologie à l’UCLouvain. "C’est une première étape vers un système d’enregistrement plus large. Nous avons la volonté que les Régions prennent de plus en plus en compte cela. Et surtout qu’elles s’articulent entre elles. Oui, la Région bruxelloise est allée très loin. Elle a commencé les dénombrements de sans-abris en 2008. Mais à quoi ça sert si ces chiffres ne sont pas comparables à ceux de la Wallonie et de la Flandre ?".

Des profils très disparates

A Bruxelles (chiffres Bruss’help pour la Région bruxelloise), on comptait 4380 adultes et 933 enfants en situation délicate en 2020. A Liège, on recensait 422 sans-abri. Même constat du côté d’Arlon, avec 149 personnes en situation de logement précaire. À Gand, 1472 adultes et 401 enfants ont été comptabilisés. Dans le Limbourg, 932 adultes et 285 enfants étaient sans-abri. Selon Martin Wagener, "la moitié des personnes sans-abris ou mal-logées sont des femmes et des enfants. Quand on ne regarde qu’en rue, on n’a pas cette impression. On a cette image classique de l’homme avec ses couvertures, sur un matelas avec des cartons, or cette figure-là ne représente qu’un huitième des personnes sans-abris ou mal-logées. Cela m’a toujours posé problème : cette attention sur une catégorie sur laquelle les mannes et les volontés politiques sont ciblées. Ils parlent de problème d’espace public, mais c’est plutôt pour moi un problème de communication. En effet, les vulnérabilités sont beaucoup plus larges". Plus concrètement, ajoute le chercheur, "chez les femmes sans-abris la plupart sont passées par la violence conjugale et dans mes enquêtes qualitatives plus approfondies, toutes ces femmes ont connu des situations de violence grave soit depuis leur plus jeune enfance, soit à un moment donné de leur vie. Il y a donc une thématique beaucoup plus importante qui est la violence – et les violences envers les femmes – dont on parle relativement peu. Et c’est bien là aussi l’intérêt d’avoir des chiffres précis. Pour que les professionnels du secteur, les politiques, mais aussi les médias puissent un peu ajuster leur vue".

Le sans-abrisme caché : un quart des mal-logés

Le dénombrement des sans-abris se fait principalement grâce aux chiffres des utilisateurs de services d’aide. Les travailleurs sociaux des CPAS jouent un rôle très important. "Une énorme partie des sans-abris, précise le sociologue, ont un contact avec le CPAS. Et puis il y a aussi les services classiques (les centres d’urgence, les centres de jour, les maisons d’accueil, les services d’accompagnement, les services d’éducateurs de rue). Chaque service remplit un questionnaire pour son public, avec un code anonyme pour que les chercheurs puissent voir s’il y a des doublons. Souvent, par exemple, une personne a un dossier au CPAS et est accompagnée dans une maison d’accueil. Là on peut trouver un doublon, ce qui permet de ne pas gonfler les chiffres. Cela permet aussi d’analyser quel type de personne est accompagné. L’avantage de cette méthode de dénombrement est par exemple qu’elle permet d’observer qu’il y a environ un quart de sans-abrisme caché dans les villes". Le sans-abrisme caché, ce sont ceux qui dorment temporairement chez des proches, des amis, des voisins. "Il y a en effet beaucoup de jeunes et beaucoup de femmes qui se débrouillent "autrement", en dehors du secteur classique de l’aide aux sans-abris." Pour les chercheurs, ces données représentent un élément important parce que ce sont des personnes qui sont, dans les faits, sans abris.

La moitié des personnes sans-abris ou mal-logées sont des femmes et des enfants

Grâce à ce dénombrement, on peut faire des typologies en fonction de l’âge, du genre et de la durée du sans-abrisme. Femmes et enfants représentent la moitié des personnes sans-abris. "Chez les femmes, explique Martin Wagener, il y a deux grands profils. Tout d’abord les femmes monoparentales avec enfant(s), généralement en fuite suite à un divorce ou autre, et elles ont dû se débrouiller avec leurs enfants. Et puis il y a les femmes sans enfant accompagnant. Et je dis "accompagnant" car il y a pas mal de femmes qui ont des problèmes de dépendance ou de santé mentale et dont les enfants sont placés." Dans le groupe des femmes, la moitié a des enfants et l’autre n’en a pas". Grâce aux chiffres, il a aussi été possible de mettre en lumière le fait que le groupe des jeunes sans-abris est très important.

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