Bruxelles, 1929. La rue aux choux est le témoin d’un changement d’époque. L’innovation s’agrandit, engloutissant un lieu devenu mythique : le diable au corps.
Mais revenons quelques années en arrière. En 1893, après l’arrêt de la publication du Diablotin, les rédacteurs et dessinateurs du journal lancent une nouvelle publication : le diable au corps. Cette revue satirique dans laquelle on retrouve l’esprit typique de la Zwanse bruxelloise ne vivra pourtant que deux années.
La revue disparaît, mais le diable au corps fait peau neuve. Les rédacteurs décident de transformer la maison du 12 rue aux choux. Au rez-de-chaussée, un café sur le modèle des cabarets flamands et au premier étage une salle de spectacle. Sous cette forme, le diable au corps attire de nombreuses personnes et notamment du monde de la culture. Arts visuels, littérature, musique, des artistes, tels Reclus, Courtens ou Ensor, se retrouvent dans cette salle enfumée pour discuter, plaisanter, rêver et "gaspiller le temps en sophismes et en paradoxes".
À ce propos Franz de Wever écrit : "Qui donc n’a connu, à tout le moins de nom, le 'diable au corps' vieux et pittoresque cabaret perdu quelque part rue aux choux, au fond d’un couloir sans fin ? Sa disparition raviva chez la plupart des artistes le souvenir de leurs années d’insouciances ou d’ambitions demeurées […]. C’est là, en ce lieu de refuge pour les artistes — ou les ratés — aux aspects romantiques avec leurs cheveux hirsutes et leurs feutres négligemment cabossés […] que se réunit pour la première fois en 1925, le groupe des synthétistes".
Ce groupe est composé de sept compositeurs bruxellois — tous élèves de Paul Gilson — et ayant en commun la volonté d’intégrer aux structures anciennes les "apports de la musique moderne", en un mot : synthétiser. Pourtant, les synthétistes ne parlent pas d’une seule voix. D’une volonté commune, ils développent tous une esthétique particulière. Bernier s’intéresse au Jazz, Dejoncker à la musique descriptive et Brenta aux grandes masses orchestrales. Mais le compositeur que l’histoire retiendra est Marcel Poot dont la musique est considérée par certain comme l’essence même de la synthèse, évitant le systématisme, privilégiant la multiplicité.
Tout au long du XXe siècle, et au-delà des synthétistes, une partie de la musique belge gardera cette tendance à vouloir concilier différentes époques, à ne jamais faire totalement table rase. Aussi les murs du diable au corps, témoins de mœurs révolues, seront remontés lors de l’exposition universelle de 1958. Symbole, peut-être, que l’évolution ne se fait pas sans une pointe de nostalgie…
Pour aller plus loin :
Wever, Franz (de). Paul Gilson et les synthétistes, 1949.