Le Dieu de la mafia : du silence à la dénonciation, l’Église change son fusil d’épaule

Le Dieu de la mafia : du silence à la dénonciation, l’Église change son fusil d’épaule

Retour aux sources
Par Gérald Decoster

    Dans " Retour aux sources ", Élodie de Sélys accueille l’ancien policier Claude Bottamedi et le criminologue de l’ULg, Michaël Dantinne, pour parler des liens entre mafia et Église, sur base du documentaire " Le Dieu de la mafia ".

    Dès les débuts du Risorgimento, qui mènera à l’unification de l’Italie en 1861 avec pour souverain Victor Emmanuel II, les États pontificaux, remontant à 756 et qui comprennent Rome située dans la Lazio, la Campanie, l’Ombrie, les Marches et la Romagne, ne peuvent que craindre pour leur intégrité…

    « Prise de Rome », le 21 septembre 1870, par Carlo Ademollo (1880), Museo del Risorgimento, Milan.

    En 1870, Rome est rattachée à l’Italie, le 1er juillet 1871, tout est consommé : Victor-Emmanuel II fait de Rome la capitale de l’Italie. Dernier souverain des États pontificaux, Pie IX s’enferme au Vatican. Le Pape interdit aux catholiques italiens d’avoir un quelconque lien avec la vie politique du royaume… L’interdiction ne sera abrogée qu’en 1904.

    Le clergé, particulièrement en Sicile et dans le sud de l’Italie, se tourne alors vers ceux qui ont une réelle autorité et sont, de surcroît, conservateurs : les membres de la mafia. Ce ralliement de l’Église, permettra à la mafia de gagner la reconnaissance de son pouvoir pour une population majoritairement catholique, ainsi qu’une image de respectabilité. Ainsi, les dirigeants locaux de la mafia prendront l’habitude – toujours actuelle, semble-t-il – de participer aux nombreuses processions…

    Le démocrate-chrétien Aldo Moro, sera enlevé et assassiné en 1978 par les Brigades rouges. C’est le pape Paul VI qui présidera la messe des funérailles de cet ami de toujours…

    À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, tandis que l’Italie devient une république, la mafia va s’acoquiner à la Démocratie chrétienne, qui se bat contre le communisme et qui gardera le pouvoir très longtemps. L’Église demeurera muette sur les actes mafieux…

    Il faut attendre Jean-Paul II pour que l’opinion du Saint-Siège change à l’encontre de la mafia. Après avoir mené sa croisade contre le communisme – marquée par la fin du mur de Berlin le 9 novembre 1989, suivie de la chute de l’URSS fin 1991 - le souverain pontife effectue une visite pastorale en Sicile en 1993. À Agrigente, à l’issue de la concélébration eucharistique dans la vallée des Temples, Jean-Paul II reprendra inopinément la parole.

    Jean-Paul II, dans la vallée des Temples près d’Agrigente, en mai 1993…
    Jean-Paul II, dans la vallée des Temples près d’Agrigente, en mai 1993… © Getty Images

    Évoquant ceux qui sont coupables de troubler la paix de cette région, " ceux qui portent tant de victimes humaines sur leur conscience " doivent comprendre que Dieu ne permet pas de tuer des innocents ; il continuera :

    Dieu a dit un jour : " Tu ne tueras point " : l’homme ne peut, aucun groupe humain, mafia, ne peut changer et piétiner ce très saint droit de Dieu !

    Coup de gueule Jean-Paul II contre la mafia en 1993

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    Il demandera aux mafieux de se convertir et au clergé de prendre ses distances avec cette organisation criminelle.

    La réaction ne tardera pas. Des attentats front des blessés et des morts. À Milan, à Florence mais aussi à Rome où, le 28 juillet, des explosions ont lieu devant l’église San Giorgio in Valbro et surtout devant la basilique Saint-Jean-de-Latran, siège de l’Évêque de Rome qu’est le Pape ! Le prêtre Giuseppe Puglisi, qui combat l’enrôlement des jeunes dans la mafia, est assassiné à Palerme en septembre. En 1994, c’est le Père Francesco Valgimigli qui est tué de plusieurs coups portés à la tête. On ne dénonce pas impunément la mafia !

    À Rome, l’église San Giorgio in Valbro, avant et après l’explosion de 1993…
    À Rome, l’église San Giorgio in Valbro, avant et après l’explosion de 1993… © https://www.beatopadrepuglisi.it/2014/10/le-bombe-dellestate-93-e-la-trattativa.html

    Le 21 mars 2014, à la veille de la 19e Journée de la Mémoire et de l’Engagement, le pape François prononce un discours en l’église romaine Saint-Grégoire VII où il exprime sa " solidarité à tous ceux d’entre vous qui ont perdu une personne chère, victime de la violence mafieuse. " Il s’exprimera également au membre de la mafia :

    " Et je sens aujourd’hui que je ne peux pas terminer sans adresser une parole aux grands absents, aux protagonistes absents : aux hommes et aux femmes mafieux. S’il vous plaît, changez de vie, convertissez-vous, arrêtez-vous, cessez de faire le mal ! Et nous, nous prions pour vous. Convertissez-vous, je vous le demande à genoux ; c’est pour votre bien. Cette vie que vous vivez en ce moment, ne vous donnera aucun plaisir, ne vous donnera aucune joie, ne vous donnera aucun bonheur. Le pouvoir, l’argent que vous avez à présent, qui provient de tant d’affaires sales, de tant de crimes mafieux, est de l’argent ensanglanté, est du pouvoir ensanglanté, et vous ne pourrez pas l’emporter dans l’autre vie. Convertissez-vous, il est encore temps, pour ne pas finir en enfer. C’est ce qui vous attend si vous continuez sur ce chemin. Vous avez eu un père et une mère : pensez à eux. Pleurez un peu et convertissez-vous. "

    Une image de la messe à l’issue d laquelle le pape François reprendra la parole pour dénoncer la mafia calabraise…

    Le 21 juin suivant, à l’occasion de sa visite pastorale à Cassano All’Jonio, en Calabre, lors de la messe sur l’esplanade de Marina di Sibari, dans son homélie, François continue sa croisade anti-mafieuse, attaquant particulièrement la branche régionale qu’est la ‘Ndrangheta.

    Évoquant cette ouverture au péché qu’est l’adoration de l’argent à la place de celle de Dieu, il dit : quand on n’adore pas Dieu, le Seigneur, on devient des adorateurs du mal, comme le sont ceux qui vivent de la criminalité et de la violence. Votre terre, si belle, connaît les signes et les conséquences de ce péché. Voilà ce qu’est la 'Ndrangheta : adoration du mal et mépris du bien commun. Ce mal doit être combattu, il doit être éloigné ! Il faut lui dire non ! "

    Le souverain pontife terminera en disant que

    Ceux qui dans leur vie suivent cette route du mal, comme le sont les mafieux, ne sont pas en communion avec Dieu : ils sont excommuniés !

    Depuis la collaboration muette du XIXe siècle, l’Église a clairement changé d’optique via-à-vis de la mafia. Pour lutter contre le crime organisé, le pape François a souhaité la transparence sur les finances du Vatican, on se souviendra du scandale de la banque Ambrosiano, sous Jean-Paul II… Mais ce désir d’affaiblir la mafia ne risque-t-il pas d’un jour précipiter François vers un assassinat, même si la mafia à quelque peu perdu cette si déplaisante habitude ?

    " Le Dieu de la mafia ", un documentaire d’Anne Véron, à voir dans " Retour aux sources ", le samedi 29 avril 2023 à 20h35 sur La Trois et sur Auvio.

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