Le dollar n’est pas près de perdre sa suprématie. Et aussi bien Washington que Pékin en sont conscients. Pour plusieurs raisons : le dollar permet d’avoir accès à l’économie américaine, qui reste le grand marché de consommation mondial. Cela reste important. Les marchés financiers y sont plus profonds, plus liquides et plus libres, qu’en Russie ou en Chine par exemple.
Il y a une certaine stabilité du dollar, aussi. Mais ce facteur-là risque justement de gêner aux entournures la suprématie du dollar à moyen terme. Pour des raisons strictement économiques – comme le niveau américain d’endettement, qu’il soit public ou privé.
Mais cela prendra du temps.
Absolument, le phénomène de "réserve" sur les monnaies rejoint toujours l’économie réelle avec un certain retard. Le jour où la Chine sera une puissance industrielle tout à fait comparable aux États-Unis, le dollar restera, au moins un temps, dominant dans les réserves.
Au début des années 50, la puissance occidentale évidente, ce sont bien les États-Unis. Mais pour des raisons d’accumulations et d’habitudes, c’est la livre sterling qui domine dans les réserves internationales. Et il faudra attendre les années 60-70 pour voir le dollar occuper une place prédominante dans les relations monétaires internationales.
Les dollars ne servent-ils pas, quand même à importer – notamment depuis les Etats-Unis – des biens à haute valeur ajoutée ?
Si, mais avec la stratégie chinoise actuelle, de montée en gamme de l’industrie locale, il sera sans doute possible de payer en yuans des biens à très haute valeur ajoutée, dans les 5 à 10 ans qui viennent. Un exemple : le projet de construction de la DS9 – du groupe PSA, Peugeot ! – une voiture premium, une grande berline, qui devait sortir au mois de mars. Elle sera entièrement construite en Chine. Une voiture premium, globale, chinoise.
La part du dollar, dans les échanges bilatéraux entre la Russie et la Chine est tombée en 2020 sous les 50%. Il y a cinq ans cette part était encore… De 90%. Cela veut dire quoi ?
Que le dollar autrefois ultra-dominant dans les échanges commerciaux entre ces deux pays est aujourd’hui marginalisé. Nous assistons à une dédollarisation de ces échanges.
Pour la Russie, ce mouvement commence en 2015 dans la foulée de l’annexion de la Crimée. L’accélération se produit à partir de 2017 avec l’émergence de la guerre Commerciale entre la Chine et les États-Unis. Donc, il y a eu un approfondissement de ce mouvement de dédollarisation, qui arrive aujourd’hui vraisemblablement à un point culminant.
On peut parler objectivement d’une alliance financière entre la Russie et la Chine. Une alliance qui était géopolitique, économique, militaire, qui sera peut-être industrielle demain, mais qui en tout cas aujourd’hui, est déjà financière. Dans le cas d’une prochaine administration américaine, éventuellement différente, qui apaiserait les relations commerciales avec la Chine, cette alliance pourrait en rester au stade actuel.
Quel intérêt concret ont ces deux pays à se détourner du dollar ?
L’intérêt d’éviter le dollar, c’est tout simplement que le gouvernement américain ne peut pas demander à une de "ses" banques de bloquer une transaction au prétexte que ces pays sont sous sanctions. Leurs échanges sont dès lors complètement libérés et souverains. Aucune banque, ou entité régulatrice américaine n’est impliquée dans ces échanges.
Et la prochaine étape de ce rapprochement, c’est sans doute la mise sur pied de système de paiement alternatif à Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, société de droit belge, détenue par les plus grands acteurs mondiaux du secteur bancaire, NDR) . Puisque dès que des opérateurs économiques s’échangent des dollars, il y a forcément à un moment donné de la transaction, une banque américaine liée au système SWIFT qui est impliquée.