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Le DSA, une "étape historique"? Cinq questions pour comprendre comment l’UE va réguler la jungle du web

Une jungle ou le Far West, internet ?

© Peter Dazeley – Getty images

Par Myriam Baele

Le Far West ou la jungle : une contrée de détrousseurs de diligences ou un chaos végétal repère de bêtes sauvages. La Commission européenne a déjà utilisé ces deux comparaisons pour décrire internet et expliquer son intention de réguler le réseau, de "mettre de l’ordre".

L’Union européenne a d’abord légiféré sur la protection de nos données personnelles en 2018, le règlement appelé "RGPD". Les institutions européennes se sont ensuite entendues sur des règles de concurrence à imposer aux géants du Web, le "DMA". Elles viennent à présent de s’accorder sur un troisième volet de législation important : un garde-fou pour les contenus en ligne.

Ce troisième texte, baptisé "Digital service act" ou DSA, imposera de nouvelles règles aux plateformes, les grandes en particulier comme les "GAFAM" (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), mais il nous concerne tous en tant qu’utilisateurs d’internet.

Comment ? Jean-Marc Van Gyseghem peut l’expliquer, lui qui a décortiqué le texte et connaît bien le droit du numérique, en tant que Directeur de recherche au "Centre de recherches information droit et société" de l’UNamur.

En cinq questions, voici l’ABC du DSA.

Qu’est-ce que ce texte pourrait changer ?

Ce texte imposera aux plateformes d’être plus actives dans la détection et le retrait de contenus haineux ou illicites, de réagir plus vite au signalement de contenus illicites par des utilisateurs.

De la même façon qu’un commerçant est responsable de la légalité des produits vendus dans son magasin ou qu’un rédacteur en chef répond du contenu de son journal, les plateformes seront responsables de veiller à la légalité de ce qui est proposé sur leurs sites.

Il ne faut pas chercher loin pour trouver des exemples : aujourd’hui, il y a des produits contrefaits sur de grands sites d’achat en ligne, des fake news virales, et des manœuvres d’influence ou de déstabilisation politiques via les réseaux sociaux, des contenus haineux ou pédopornographiques à portée de souris. L’Europe veut contraindre les plateformes à repérer, déclarer, supprimer plus rigoureusement et plus vite les contenus illicites.

"Ce texte appliquera à l’environnement numérique des principes que l’on trouve dans d’autres textes" explique Jean-Marc Van Gyseghem, "par exemple le principe de transparence ou la protection des consommateurs, la protection de l’ordre public. L’idée est que les règles appliquées dans la vie le soient aussi sur internet… Placer des limites, des règles de bonne conduite, canaliser le fouillis".

Que devront faire les plateformes ?

Plus la plateforme est grande, plus l’Europe exigera un repérage vigilant des contenus illicites et une réaction rapide. L’ampleur des contraintes fixées par l’UE dépendra de la taille mais aussi du rôle et de l’impact de la plateforme sur internet. Ces règles s’appliqueront aux plateformes qui comptent des usagers dans l’Union européenne, qu’elles y soient ou non établies.

La "veille" sur les contenus imposée aux très grandes plateformes est encadrée par ce "Digital Service Act" pour que leur repérage et retraits de contenus illicites soient effectués de manière non arbitraire et non discriminatoire. Et ce sera monitoré, c’est-à-dire contrôlé au niveau des Etats membres, sous la vigilance d’une autorité européenne.

Mais plus fondamentalement, les plateformes devront aussi s’interroger sur leurs façons de faire, explique Jean-Marc Van Gyseghem. "On leur demande aussi de se demander, de façon systémique, ce qui dans leur fonctionnement génère un risque, est propice à l’apparition de tels contenus".

Les très grandes plateformes devront également communiquer aux Etats membres, de façon transparente, les algorithmes sur lesquels elles se basent.

Cette transparence permettra aux utilisateurs de mieux comprendre sur quelles bases sont sélectionnés les contenus qui leur sont proposés : comment telle vidéo arrive sur leur fils de réseaux sociaux ou tel objet sur leur plateforme d’achat. Et cette transparence peut permettre aussi de déceler certaines discriminations et d’y remédier. Certains algorithmes perpétuent des discriminations, parce que fondés sur des bases, des choix de données, déjà discriminatoires.

Comment s’assurer que ce sera respecté ?

La perspective d’amendes lourdes pourrait être persuasive. "Si les plateformes ne respectent pas cette législation, elles pourraient être sujettes à des amendes allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires. Ce seraient des montants énormes puisqu’il s’agit de grosses plateformes, des montants de l’ordre de ceux réclamés à Google dans le cadre du RGPD" explique Jean-Marc Van Gyseghem.

Jusqu’ici, les grandes plateformes ne voulaient pas endosser la responsabilité du contrôle de leurs contenus. Elles étaient chargées de s’autoréguler mais aucune menace de sanction ne pesait sur celles qui ratissaient trop grossièrement les contenus illicites. Ce système a montré ses limites, commente le juriste : "On ne peut plus se satisfaire de la 'soft law', c’est-à-dire de ne mettre qu’un cadre légal léger et compter sur le fait que des standards se mettront en place. On a vu que ça ne marchait pas, que l’autorégulation ne suffisait pas. Dans ce domaine, les enjeux sont tellement gros qu’il faut passer à une législation plus stricte".

Est-ce que le DSA empiétera sur la liberté d’expression ?

Jean-Marc Van Gyseghem estime qu’il y a un risque. "J’y vois effectivement un risque parce que la supervision de la façon dont sont écartés les contenus illicites, haineux, cela se fera au niveau des Etats membres. Il faudra donc voir comment chaque État membre va se saisir de ce genre de concept. On le sait, en Europe, des Etats membres sont plus autoritaristes que d’autres. Ils pourraient considérer qu’un contenu est illicite simplement parce qu’il conteste son autorité. Donc il faudra vraiment voir en pratique ce que cela pourrait donner, on le verra à l’usage, dans chaque Etat européen".

Et il ajoute :"Ce risque n’est pas anodin. Quelques fois, à vouloir aller trop loin dans les réglementations pour défendre la démocratie, on peut être contreproductif, donner des armes à des Etats totalitaires pour museler l’opposition".

A ses yeux, une autre limite du DSA pourrait apparaître dans l’application des nouvelles règles sur les algorithmes. "Dorénavant, les Etats membres et la Commission européenne pourront aller voir les algorithmes utilisés pour le profilage des consommateurs. Il faudra voir s’ils y auront un accès réel, et s’ils auront la capacité de vérifier tout ça. Il y a des questions ouvertes sur les capacités de mettre cela en œuvre."

Quand est-ce que ce texte sera appliqué ?

Le contenu de ce texte a été figé au terme d’une longue négociation politique. Il a fait l’objet d’un accord politique mais doit encore être formellement avalisé par le Conseil et le Parlement européen. Une fois adopté par ces deux institutions, il pourra être appliqué dans les 27 Etats membres de l’Union européenne.

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