Les Grenades

Le festival Des Blocs : quand les filles questionnent leur place dans l’espace public

© Thomas Noceto. Festival Des Blocs.

C’est le 5e anniversaire du Festival Des Blocs cette année, avec une place de plus en plus importante et centrale pour les filles de la Cité Modèle. Elles s’appellent Aïcha, Luna, Emilie, Nadège… Elles ont participé aux ateliers cet été, certains en non-mixité, et ont appris à utiliser divers outils artistiques pour proposer leurs propres créations. Un jour, comme d’autres jeunes de la cité, elles prendront leur envol !

Cité Modèle à Laeken
Cité Modèle à Laeken, festival annulé en 2020 suite à la crise sanitaire.
Cité Modèle

La Cité Modèle : une communauté à Laeken

A la base, la Cité Modèle a été créée pour l’expo universelle de 58. Trois grands immeubles qui étaient censés devenir une ville dans la ville, pour un public bourgeois. Inspiration : la Cité Radieuse de Marseille, signée Le Corbusier. La cité a été pensée à la base comme un projet moderniste et utopique, de rencontre et de cohésion sociale. Mais les fonds ont manqué. L’ambition a été revue à la baisse. Les travaux n’ont jamais été terminés. C’est depuis devenu une cité de logements sociaux.

Les logements sont précaires, il n’y a pas d’isolation sonore, les ascenseurs passent plus de temps à être en panne qu’à fonctionner alors que les immeubles montent très haut, l’électricité saute dès qu’on fait tourner deux appareils électro-ménagers en même temps.

Là où la Cité Modèle cadre bien avec le projet de base, c’est au niveau de la cohésion sociale. Il existe en effet, au sein du lieu, une vie associative socio-culturelle riche et une solidarité massive entre les habitant·es.

Un collectif de femmes à l’origine de la vie associative de la Cité

Tout a commencé avec Les Femmes du 8 mars : une association de fait, un groupe qui s’est créé de lui-même. En son sein : des femmes, des mamans d’une cinquantaine d’années, habitantes de la cité, qui ne travaillaient pas et se réunissaient chaque jeudi pour bricoler et parler de la place des femmes dans la Cité.


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C’est avec elles et l'ASBL City-zen (association pour les jeunes du quartier), puis avec le collectif Les Meutes (collectif de jeunes artistes extérieur·es du quartier), en 2016, qu’ont commencé les projets culturels qui ont mené au festival Des BlocsD’abord une pièce de théâtre. Et puis, la naissance des divers ateliers.

Les ateliers culturels mixtes : photo, cinéma, radio, musique

Les ateliers existent depuis plusieurs années au sein de la Cité Modèle, encadrés par des animateurs et animatrices et basés sur l’écoute, la considération de chacun.e et la responsabilisation. Ils entendent donner un cadre et des outils aux jeunes, pour créer selon leurs propres envies. Des outils concrets, qui leur permettent ensuite de s’exprimer et de développer leur créativité. Par exemple, on va leur apprendre à utiliser caméras, perches et micros, à rédiger un scénario… et puis, riches de leurs apprentissages, ils et elles pourront s’approprier ces outils et les utiliser à leur guise.

Dès le départ, les ateliers ont été bien accueillis par les habitants de la cité, et les jeunes s’y sont rendus avec plaisir.

La nécessité de créer des ateliers en non-mixité : juste pour les filles

Les garçons allaient et venaient sans problème aux ateliers. Par contre, ça a été plus compliqué pour les jeunes filles. Les animateurs et personnes référentes des ateliers ont systématiquement dû aller rencontrer les parents, leur expliquer les contenus des ateliers, les lieux, les horaires… et obtenir l’équivalent d’une permission des parents, beaucoup plus inquiets pour leurs filles que pour leurs garçons.

Malgré cela, après quelques années, les organisateurs et organisatrices des ateliers Des Blocs ont réalisé qu’ils et elles ne touchaient quasiment que les jeunes hommes de la cité. Ça a amené un questionnement, et une volonté d’aller chercher d’autres participants. Et en l’occurrence, des participantes. C’est comme ça qu’est venue l’idée de créer certains ateliers uniquement pour les filles, et ce depuis trois ans.

Tout a commencé avec l’atelier de calligraphie, auquel ont assisté un petit groupe d’adolescentes. L’atelier ne s’est pas contenté d’exister pour les filles, il a aussi tout de suite pris un fond féminin également, voire féministe, avec une volonté d’empowerment pour les jeunes filles (prise de pouvoir, pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles elles sont confrontées).

Les jeunes filles avaient comme tâche de chercher des citations de femmes inspirantes, d’expliquer en quoi elles les trouvaient inspirantes (les citations et/ou leurs autrices), et d’ensuite calligraphier les phrases en question.

Ce qui les a amenées assez rapidement à questionner la mixité de leur cité, et plus globalement, la place des femmes dans l’espace public, notamment dans le cadre de l’atelier cinéma.

La Cité Modèle d’Aïcha

Et puis, pour l’atelier radio, c’est Aïcha qui a eu la belle idée de créer une carte postale sonore pour nous raconter "sa" cité.

Aïcha a 16 ans, elle habite la Cité Modèle depuis deux ans. Grâce aux ateliers, Aïcha a pu apprendre à se servir du matériel adéquat pour enregistrer. Elle s’est sentie soutenue, épaulée, encadrée, guidée, conseillée par les deux animatrices du collectif. Elle a eu l’envie de créer un reportage immersif de la Cité Modèle, et de partager sa vision de la cité, de montrer comment la vie s’y passait réellement.

On n’a pas tous la même vision des choses sur les quartiers, j’avais envie de faire cesser certains préjugés.

Aïcha ne se sent pas en danger dans la cité, ni plus ni moins qu’ailleurs en tout cas, "le danger étant partout". Elle sait que les quartiers sociaux ont une mauvaise image, et c’est pour cela qu’elle a souhaité créer une carte postale sonore de la Cité. Pour elle, il n’y a que lorsqu’on habite un quartier qu’on est à même de le comprendre.

Les gens sont gentils, accueillants, tout le monde se connaît, j’ai vraiment le sentiment d’avoir trouvé ma place.



Cette expérience sonore lui a donné envie de créer d’autres cartes postales. Et son avis sur les ateliers proposés par Des Blocs est très clair et sans équivoque : "Ça donne de la vie, sinon l’été serait trop calme, il n’y aurait rien à faire. Ici, on a la possibilité d’apprendre, de s’amuser, de prendre part à des activités intéressantes. On peut apprendre à s’exprimer et à parler clairement avec la radio, il y a de la remédiation, des salles d’études aussi."

Une vie de quartier riche et positive, selon elle, et qui permet une chouette cohésion dans la cité.

Evolution des positionnements filles-garçons depuis les ateliers

Si les groupes de filles et les groupes de gars restent très séparés globalement dans la vie de la Cité Modèle, les encadrant·es du festival Des Blocs ont néanmoins remarqué une évolution dans les rapports filles-garçons depuis le lancement des activités en non-mixité.

Par exemple, au départ, lors du festival, il n’y avait que des garçons sur le devant de la scène. Mais depuis la création des ateliers filles, les adolescentes sont beaucoup plus présentes au festival. Elles prennent plus de place et se sentent plus légitimes d’appartenir à l’espace public.

L’évolution se fait sentir aussi dans l’atelier musique, qui est mixte, et qui tourne le plus souvent autour du rap avec une majorité de garçons. Ils écrivent eux-mêmes leurs textes, parfois sexistes et misogynes (c’est là qu’interviennent les encadrant·es de l’atelier, pour mesurer les propos). Cette année, des filles sont venues plus nombreuses et plusieurs d’entre elles se sont également mises au rap, qui était jusque-là, dans la cité, une discipline exclusivement masculine !

Idem pour l’émission de radio proposée en plein air et en public pendant le festival : l’émission, qui se veut participative, n’accueille autour de la table et aux micros quasiment que des femmes et des filles de la Cité. Avides de faire entendre leurs voix dans cette émission streamée et destinée à être diffusée sur Radio Panik.

C’est comme s’il y avait un rééquilibrage naturel hommes-femmes qui se faisait petit à petit.

© Thomas Noceto. Collectif Des Blocs. Tous droits réservés. Cité Modèle.

Le Festival Des Blocs, cette année, c’est le samedi 2 octobre

Le temps d’une journée de fête, tout le monde est invité à rejoindre les habitant·es de la Cité Modèle pour célébrer la fin des ateliers. Le but est bien sûr de partager les créations avec toute la Cité, mais aussi avec le "monde extérieur". Avec les autres Bruxellois. L’accès est gratuit.

Au programme : savoureux mélange entre les créations des ateliers et des performances d’artistes réputé·es ou émergent·es. Photographie, arts de la scène, cinéma, musique, radio, calligraphie. Le festival se veut aussi lieu d’échange et de partage sur des thématiques de société.


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Et puis, place à la tournée : elle aura bel et bien lieu cette année, après le festival. Il s’agit de faire sortir les créations hors les murs de la Cité et de les apporter aux gens. La tournée passera donc bientôt par quelques lieux prestigieux de la capitale, comme le Théâtre National, le Beursschouwburg, le Cinéma Nova et le Kunstenfestivaldesarts. La tournée représente une super expérience pour les jeunes, dont certain·es – et c’est déjà le cas – se lanceront peut-être, grâce aux ateliers Des Blocs, dans l’une ou l’autre carrière artistique.

Flyer festival Des Blocs 2021.
Flyer festival Des Blocs 2021. © Vanessa Klak.

Mission accomplie ?

Après les ateliers, le festival et la tournée, les participant·es manifestent souvent l’envie de s’investir dans le collectif. Les jeunes deviennent alors bénévoles pour la préparation et la mise en œuvre du festival. Ensuite, ils et elles peuvent aussi choisir de devenir animateur ou animatrice ou encadrant·e pour les différents ateliers. Certains jeunes qui sont sortis de la cité et qui travaillent continuent même à venir encadrer des ateliers. C’est dire si l’attachement au projet est fort !

Le rêve, pour le Collectif Des Blocs et les organisateur.rice.s du Festival est double. Ce serait d’une part, qu’il y ait un max de femmes de la Cité dans la gestion du projet. Et d’autre part, que le projet revienne entièrement aux habitant.e.s de la Cité Modèle, et qu’on n’ait plus besoin d’eux.elles.

C’est l’engagement qu’on s’est fixé. Quand les habitant·es de la cité reprendront le flambeau, alors on aura tout gagné !

 


Merci à Justine Gloesener, Audrey Courbebaisse et Chloé Salembier pour leurs avis éclairés sur l’architecture et le genre. Merci à Aïcha, Daphna et Nastassja d’avoir partagé leurs ressentis et leurs projets avec nous.

© Toutes les photos sont issues des ateliers Photos organisés par le Collectif Des Blocs.

Pour découvrir leurs créations et celles des autres habitants de la Cité, RDV au Festival DES BLOCS samedi 2 octobre à partir de midi, Cité Modèle, métro Roi Baudouin, Bruxelles.

Les infos et le programme sont là : https://desblocs.be/


 

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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