C’est une courte dépêche AFP, sur notre site info, qui aura fait beaucoup réagir. Intitulée "Le nouveau Superman, le fils de Clark Kent, sera bisexuel dans une BD qui sortira en novembre", celle-ci a récolté des centaines de posts Facebook parfois enthousiastes, souvent enflammés. Certains ont dû être supprimés car homophobes. Parmi ceux toujours visibles, on s’arrêtera ici sur un commentaire particulièrement récurrent : le fameux "on s’en fout".
Un commentaire exprimé tel quel ou davantage explicité, comme par exemple par Thomas : "en réalité, ça nous est égal, par contre c’est bizarre que ce soit précisé […] est-ce nécessaire par exemple de préciser que Superman préfère les jus de fraises plutôt que les jus d’orange ? […]".
Ou par Leonzio : "Batman (sic) est un personnage de fiction alors pourquoi souligner sa sexualité, ça commence à bien faire".
Ou Mateo : "En fait que le personnage soit bi, je m’en fous. Ce qui est gênant pour moi, c’est de le préciser et de le mettre en avant […]". Etc.
Alors question : en tant que média d’information, quel sens cela a-t-il de donner un écho – en publiant la dépêche – à un choix scénaristique portant sur les préférences sexuelles d’un personnage de fiction ?
Sachant qu’on l’a déjà fait pour des personnes bien réelles aussi. Comme lors de l’élection d’une femme "ouvertement lesbienne" - disait le titre - à la mairie de Bogota. Ou lors de la présentation au JT du candidat Pete Buttigieg à l’investiture démocrate aux Etats-Unis. Ce qui avait aussi fait réagir. Peut-on parler d’une forme de sensationnalisme ? Est-ce utile/informatif, ou inutile/privé/stigmatisant ?
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Pour Inside, nous avons posé ces questions à deux observateurs attentifs et concernés au premier chef par les questions LGBT + : Alice Coffin, journaliste féministe, lesbienne et militante, autrice du livre "Le Génie Lesbien" et Tom Devroye, coordinateur de la Fédération des Maisons Arc-en-ciel de Wallonie, lui-même gay et de genre fluide (donc oscillant entre une identité sexuelle de femme et d’homme). Des précisions qu’eux-mêmes jugent nécessaires, et vous allez comprendre pourquoi.
Un super-héros bi, c’est neuf
Indépendamment du jugement qui peut être porté sur l’idée de créer un personnage bisexuel, cette décision elle-même peut être considérée comme un élément d’information. Pas forcément de nature à faire la Une du JT mais à être relayé sur notre site info, oui. En soi, cela témoigne d’une évolution en cours dans la société.
"Si on était depuis toujours habitués à avoir des personnages lesbiens, gays, trans… Il n’y aurait probablement pas de dépêche qui serait créée, tout le monde trouverait ça totalement normal", relève Tom Devroye. En effet.
"Pour moi on est dans une période de transition, charnière, où il y a cette question de la visibilité qui est nécessaire et qui fait réagir. Nos identités sont politiques malheureusement. Peut-être qu’on arrivera dans un monde où ce sera une non-info – mais pour ça il faudrait une égalité en termes de droit, sociétale, et on n’y est pas encore."
Dans les cas des politiques Pete Buttigieg ou Claudia Lopez, la décision d’assumer et d’afficher leur orientation sexuelle prend une connotation politique, au sein de sociétés divisées sur la question – c’est une info. Tout comme la façon dont les populations vont réagir à cette publicité.
"Ça raconte quelque chose d’une société quand même, le fait qu’elle soit élue, ça raconte énormément de choses", commente Alice Coffin à propos de la maire de Bogota.
Au JT, nous avions par exemple montré Pete Buttiwieg embrassant son mari sur scène lors d’un meeting électoral – sans en faire le cœur du sujet mais comme un élément parmi d’autres permettant de dresser le portrait du candidat à l’investiture démocrate. "Ce que je fais en tant que gay, Obama l’a déjà fait en tant que Noir", a confié ce dernier à Alice Coffin (page 110 du Génie Lesbien). " La façon dont il a manié son identité raciale est intéressante. D’un côté c’était très important et pour lui, et pour le pays, qu’il soit le premier président noir, mais en même temps il a utilisé son histoire personnelle comme celle de tous ceux qui se sentent différents, qui ont une différence, mais qui sont transcendés par le fait qu’ils sont américains".