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Le football professionnel devant la justice européenne : la fin programmée de l’UEFA et de la FIFA ?

Gianni Infantino en mission au Qatar…

© BELGA

Le foot européen tremble sur ses bases : ce jeudi, la Cour de Justice de Luxembourg se penche sur plusieurs dossiers qui pèsent autant que, jadis, l’affaire Jean-Marc Bosman. Les murs de la FIFA et de l’UEFA se lézardent : que restera-t-il bientôt de leur pouvoir quasi absolu ? Plongée dans les perspectives du foot mondial, doté de bureaux luxueux mais aussi de fenêtres (très) opaques.

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Aujourd’hui, les vieux postiches ont laissé la place à un petit Italo-Helvète chauve et teigneux, au sourire fuyant et aux œillades suspectes, qui brasse des milliards de francs suisses : Gianni Infantino, ex-expert en boules chaudes/tièdes/froides des tirages au sort de Coupes du Monde, règne en maître sur la plus puissante fédération sportive du monde. Mais en 1954, 50 ans après la FIFA, voici aussi l’UEFA, confédération européenne… qui fait déjà froncer les sourcils à Zürich, siège de la FIFA depuis 1932.

Un Congrès de la FIFA aux origines…
Un Congrès de la FIFA aux origines… © BELGA

L’autoritarisme et le besoin de contrôle monopolistique : un style de vie, un art de vivre à la FIFA… qui gagne vite l’UEFA, puisque dès 1955, ces deux grandes Fédérations boycottent la création de la Coupe d’Europe, à l’initiative du journal L’Equipe et de 15 grands clubs européens (dont le Real Madrid). Mais depuis une trentaine d’années, la sécession gronde et le processus centripète est enclenché : les clubs, devenus entreprises commerciales mondialisées, grattent du pouvoir… tandis que le tandem des meilleurs ennemis UEFA/FIFA en perd. Jusqu’à la mort programmée ?

Onze de base belge

Le mouvement est parti de chez nous dans les années nonante. Depuis qu’un petit Gaulois cramponné, promis à un bel avenir mais saboté pour un transfert par son Président liégeois, a croisé la route d’un druide en toge féru de foot… et surtout de droit européen. Le Gaulois de service s’appelle Jean-Marc Bosman, le Panoramix qui passe par là se nomme Jean-Louis Dupont. Vous connaissez la suite : voici l’arrêt Bosman en 1995.

Depuis, le onze de base du coach Dupont (et de son centre-avant et associé Martin Hissel) s’est étoffé. En 2001, Tibor Balog, l’ex-médian hongrois de Charleroi, a obtenu la libre circulation des joueurs pros à l’échelle mondiale. En 2006, l’ex-piston gauche des mêmes Zèbres Majid Oulmers, revenu blessé d’un match international, obtient que la FIFA assure les joueurs sélectionnés en Equipe Nationale et dédommage les clubs employeurs durant les sélections (10.000 euros par joueur et par jour). Dès 2000, les 14 clubs les plus puissants d’Europe ont créé le G14 et poussent pour contrôler les droits commerciaux de la Champions League.

Le train est lancé, le ver est dans le fruit, il n’y aura plus de marche arrière. Fini de décider tout seul entre vieilles perruques : les clubs obtiennent d’être consultés par la FIFA et l’UEFA pour toutes les décisions qui les concernent.

Quand Majid Oulmers (Charleroi) faisait plier l’UEFA et la FIFA…
Quand Majid Oulmers (Charleroi) faisait plier l’UEFA et la FIFA… © BELGA

Oligarques privés et cooptés

Depuis le début, les clubs (et leurs avocats) enfoncent toujours le même clou : la FIFA et l’UEFA ne sont que des associations privées et non-élues, elles règnent sur des secteurs professionnels… qui doivent être organisés par la loi. Il n’est pas normal que ces joyeuses réunions d’oligarques, cooptés entre eux avec l’aide de leurs cotisants, gèrent un business avec de si lourdes implications financières et sociales, mettant en jeu des acteurs professionnels (employeurs et salariés).

La réalité, les nombreuses condamnations judiciaires et l’intervention du politique ont obligé le duo FIFA/UEFA à quitter son île. Après l’Arrêt Bosman, le Commissaire (belge…) à la Concurrence, feu Karel Van Miert, va forcer l’UEFA à se mettre à table… faute de quoi, l’instance basée à Nyons se serait définitivement mise hors-la-loi. Mais en Suisse, dans ces cantons qui accueillent les sièges du foot international, la pilule a du mal à passer et les conduites peinent à évoluer. Même si, avec les années, l’UEFA a quelque peu amélioré sa gouvernance.

"Certaines choses ont évolué " explique Jean-Louis Dupont qui, avec son comparse Hissel, fait partie du team juridique des grands clubs européens en guerre contre l’UEFA. " Ainsi, suite à certaines décisions de la Commission européenne, l’UEFA a été obligée d’appliquer le droit UE de la concurrence pour la vente centralisée des droits médias des Coupes d’Europe. Mais, pour l’essentiel, les vices de gouvernance sont toujours bien là : l’UEFA veut conserver à tout prix le monopole de l’exploitation commerciale de toutes les compétitions de football au sein de l’UE (clubs et Equipes Nationales) mais dans le même temps, elle veut rester… le régulateur du marché qu’elle monopolise ! Les clubs assument seuls les risques économiques et juridiques des compétitions européennes… mais sont exclus de leur gestion, alors qu’ils contrôlent depuis longtemps leur propre destin au sein de leur Ligue nationale. L’UEFA tente d’échapper au droit européen par le subterfuge d’un arbitrage forcé, puisque ses statuts imposent aux clubs de porter tout litige devant le Tribunal Arbitral du Sport… opportunément établi en Suisse !"

L’ex-Commissaire belge à la Concurrence Karel Van Miert, aujourd’hui décédé.
L’ex-Commissaire belge à la Concurrence Karel Van Miert, aujourd’hui décédé. © BELGA

Un TAS financé par… la FIFA, l’UEFA et le Comité International Olympique ! Vous avez dit indépendance ? Ajoutons que plus de la moitié (28 sur 55) des Fédération nationales membres de l’UEFA émargent à des pays non-membres de l’Union Européenne (UE) : sur le territoire de l’UE, l’UEFA n’est donc pas en posture de jouer les régulateurs.

FIFA et UEFA, futures coquilles vides ?

La justice européenne est actuellement saisie de 4 dossiers concernant principalement le football. Ce jeudi, l’Avocat Général rendra ses conclusions sur le double dossier ISL/ESL (voir article de mardi). En mars prochain, tombera celle sur le dossier Lior Refaelov. Mais deux affaires, dont on ne vous a pas encore parlé, suivent encore : le dossier Lassana Diarra (ex-joueur du Real Madrid, de Chelsea… et presque de Charleroi, auquel la FIFA réclame des sommes colossales au motif d’un transfert non-abouti) et l’affaire Swift Espérange (un club luxembourgeois bloqué par la réglementation de sa fédération grand-ducale, qui applique encore un régime de transferts antérieur à l’Arrêt Bosman).

N’en jetez plus, la coupe est pleine : le duo FIFA/UEFA fuite (et écope) de partout. Comment le tandem va-t-il dès lors se positionner dans le futur ? FIFA et UEFA vont-elles devenir des coquilles vides, ne servant qu’à encadrer les compétitions et à désigner les arbitres ?

"Je pense que les situations de la FIFA et de l’UEFA sont extrêmement différentes " réfléchit Jean-Louis Dupont. "La FIFA est une organisation mondiale, son champ d’action porte surtout sur les compétitions entre Equipes Nationales. Elle devra bien sûr respecter les décisions de la justice européenne pour le recours à un véritable juge étatique plutôt qu’à un passage obligé par le Tribunal Arbitral du Sport, mais son core business ne devrait pas être significativement impacté. Pour l’UEFA, en revanche, tout dépendra du contenu précis des arrêts de la Cour de Justice. Dans les années 80 et 90, au niveau national, les clubs se sont rebellés contre l’autoritarisme et le monopole de leur fédération nationale et ont créé leur ligue professionnelle, pour concevoir, commercialiser et gérer leur compétition. Après une période de tension, tout cela s’est gentiment décanté et stabilisé. Cette évolution n’a pas entraîné la disparition des fédérations nationales. Il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement au niveau européen et qu’on ne redéfinisse pas de manière similaire le rôle des clubs et de l’UEFA… pour peu que l’UEFA y mette du sien et accepte enfin l’Etat de Droit de l’Union européenne."

Jean-Louis Dupont (à gauche), l’avocat belge qui cause tant de nuits blanches à la FIFA et à l’UEFA
Jean-Louis Dupont (à gauche), l’avocat belge qui cause tant de nuits blanches à la FIFA et à l’UEFA © BELGA

La FIFA hors d’Europe ?

Tentons dès lors le foot-fiction. La FIFA (211 Fédérations affiliées) semble avoir compris que l’Europe, avec tous ces clubs gourmands menés par leurs petits malins d’avocats, devenait un terrain compliqué et retire ses billes du Vieux Continent pour se redéployer vers l’Asie (Gianni Infantino a élu domicile au Qatar…), l’Afrique et l’Amérique du Nord. La FIFA a d’ailleurs encouragé la mise en place de la MLS nord-américaine et la création récente d’une Super League africaine… alors que devant le Juge de Luxembourg, ses avocats ont assimilé le projet européen d’European Super League (ESL) à la " mise à mort du football " !

Quant à l’UEFA, la situation est plus complexe puisque la moitié de ses fédérations affiliées (28 sur 55) ne jouent pas sur le territoire de l’Union Européenne. Pour représenter ses 27 autres membres ballants impactés par le droit européen UE, l’UEFA devra se comporter en élève discipliné et vertueux, à défaut d’être un premier de classe. Comprenez : concertation obligée, négociation indispensable, faute de quoi les recours pleuvront… et les 4-3-3 et autre 3-5-2 du moment se joueront dans les prétoires plutôt que sur le carré vert.

Aleksandar Ceferin, le Président de l’UEFA
Aleksandar Ceferin, le Président de l’UEFA © AFP

Ainsi dans le dossier ESL, l’UEFA (par la bouche de son patron Aleksander Ceferin) avait juré de bannir les clubs dissidents de la Champions League mais aussi de leur championnat national ! Mais passé l’effet de manche, le Slovène a vite fait marche arrière quand un tribunal madrilène l’a menacé de mesures pénales… allant jusqu’à la prison ! Dans tous les cas de figure, l’UEFA va perdre beaucoup de pouvoir et d’argent. Mais c’est cela… ou sa mort à moyen terme.

Un rôle central pour le politique ?

Après les décisions de justice, viendront les arbitrages politiques. Selon les observateurs, le rôle du politique sera d’imposer des passerelles financières du top vers la base, pour que le foot-spectacle professionnel soutienne le foot de proximité, comme ce fut (trop peu) le cas avec l’arrêt Bosman avec l’instauration de fonds de solidarité et des indemnités de formation. Pour ce faire, l’Europe devra se doter de règles générales pour la gestion du secteur sport. Un travail de titan et " la promesse d’un chaos " comme le clame l’UEFA ? Pas forcément…

"Après l’arrêt Bosman, réorganiser le marché du travail, en forçant la FIFA à mettre en place un nouveau règlement des transferts compatible avec des règles UE, n’a requis que 3 fonctionnaires à tiers temps pendant 3 ans " nous glisse un insider : " Pour réorganiser le marché de la production, ce ne sera pas davantage… "

Et dire que tout cela avait commencé par une réunion de vieilles barbes…

Si même Gianni Infantino se met à distribuer des cartons…
Si même Gianni Infantino se met à distribuer des cartons… © BELGA

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